Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

Si lourdes de conséquences que soient ces révolutions, elles n’en sont pas moins de simples étapes de la civilisation technicienne, amorcée par la première révolution industrielle. La civilisation technicienne, que Georges Friedmann caractérise par la production de masse, la consommation de masse et les moyens de diffusion de masse, substitue à l’environnement naturel un environnement technique toujours plus dense qui modifie les façons de voir et de sentir. En effet, le prodigieux développement des techniques a débordé le cadre de la production, où il s’était d’abord essentiellement cantonné, pour envahir et conditionner l’ensemble de la vie sociale.

La société industrielle présente plusieurs traits notables. Elle est fondée sur le calcul rationnel. Quel que soit le régime économico-politique, elle suppose une accumulation du capital ; qu’il soit assuré par les investisseurs ou, indirectement, par l’intervention de l’État, le réinvestissement des bénéfices est une condition de son fonctionnement. Capitaliste ou non, la société industrielle implique également la généralisation du salariat. C’est une société dominée par les grandes organisations, donnant lieu à des fortes concentrations ouvrières sur le lieu de travail. La vie de travail se sépare de la vie de famille. C’est une société urbaine. Elle repose sur une symbiose originale de la science et de la production au point que ce sont les termes d’économie ou de société technologique qui, pour certains, désigneraient le mieux l’état des sociétés industrielles avancées. Alors que la connaissance scientifique était autrefois séparée de la production et peu encline à s’en préoccuper, celle-ci, par la mise en œuvre systématique de la première, a atteint un degré de complexité tel que l’accumulation et la production des connaissances deviennent le capital le plus précieux et source de la puissance. La diminution massive des crédits consacrés à la recherche, ces dernières années, dans les pays les plus développés et les critiques des savants contre la subordination de la recherche aux fins de l’industrie indiquent que cette symbiose n’est cependant ni si complète ni si idyllique qu’on a voulu le croire un moment. On n’en assiste pas moins à un développement sans précédent des systèmes d’éducation et d’éducation de masse. En effet, la société industrielle a un besoin croissant de personnel hautement qualifié (chercheurs, ingénieurs, cadres). Elle requiert de ce fait un certain degré de mobilité professionnelle, non seulement au niveau des générations, mais à celui des carrières individuelles. L’apparition en certains lieux sociaux — et pour des impératifs de bon fonctionnement — de phénomènes de mobilité et de traits qualifiables de démocratisation ne saurait être généralisée. La disparition d’anciennes barrières est plus visible que l’apparition de nouvelles, plus subtiles, mais non moins contraignantes. Les sociétés industrielles ne sont pas, en soi, plus fluides que les sociétés traditionnelles ; il s’agit seulement d’un changement dans les modes de stratification, de structuration et de domination sociales.

Bien d’autres caractéristiques ont été avancées pour donner une description aussi complète que possible de la société industrielle. Ces sortes d’inventaire, outre leur caractère risqué, ont l’inconvénient de renforcer la tendance trop répandue à considérer la société industrielle comme un système social équilibré, relativement stable. Cette façon de voir vient surtout de l’intérêt porté à l’industrialisation des pays en voie de développement. L’industrialisation représentant pour ces pays un bouleversement ou, en tout cas, un changement social important, on est normalement conduit à penser leur développement comme le passage d’un état stable, relativement équilibré, à un autre état postulé comme étant également relativement stable. Cela tend, d’une part, à faire de la société industrielle un modèle unique vers lequel, en s’uniformisant, tendraient toutes les sociétés : à l’hétérogénéité des sociétés traditionnelles s’opposerait l’homogénéité croissante des sociétés industrielles. Rien pourtant, en dépit de la multiplication des échanges et des communications, n’indique une telle uniformisation. Il y a, d’autre part, quelque paradoxe à considérer comme stable et équilibrée une société dont l’une des caractéristiques serait précisément qu’elle est ouverte aux changements. Les descriptions et les analyses que suggère chaque nouvelle transformation, ainsi que les qualificatifs par lesquels on désigne aussitôt le type de société qu’elle est censée inaugurer (on parle même aujourd’hui de sociétés postindustrielles), suffisent à l’indiquer.


Les conditions, les étapes et les formes de l’industrialisation

Il est aisé d’avancer sans grand risque d’erreur quelques conditions économiques de l’industrialisation. Celle-ci requiert indéniablement les éléments énumérés ci-dessous.

• Une force de travail disponible. C’est le plus souvent ce qui fait le moins défaut.

• Une source de financement des investissements. Ce capital peut provenir de la richesse et de l’épargne privées, de l’épargne publique ou de l’étranger.

• Un accès aux matières premières. Celles-ci peuvent être situées à l’étranger (l’exemple du Japon montre que la pauvreté d’un pays en matières premières n’est pas un obstacle insurmontable à son industrialisation).

• Un marché pour les produits finis. Cette condition est peut-être l’une des plus difficiles à obtenir pour les pays aujourd’hui en voie de développement. Les nations avancées se montrent en effet plus disposées à exporter leurs capitaux et leur technologie dans les pays en voie de développement qu’à ouvrir librement les frontières à leurs produits.

• Un accès à la technologie. Celui-ci est sans doute plus impératif aujourd’hui qu’il ne l’était par le passé et nécessite un développement de l’éducation de masse.