Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Horace

En lat. Quintus Horatius Flaccus, poète latin (Venusia [auj. Venosa], Apulie, 65 - † 8 av. J.-C.).


Horace est avec Virgile*, son contemporain et son ami, un des poètes les plus brillants de l’époque augustéenne. Ses œuvres lyriques (Odes), sa pensée morale (Satires, Épîtres notamment), son Art poétique ont exercé une influence profonde sur le développement des formes littéraires et sur le devenir de la civilisation.

Horace est né le 8 décembre 65 av. J.-C. à Venusia, dans une famille de petites gens ; son père avait été esclave et venait d’être affranchi. À travers les allusions d’Horace, on l’imaginerait volontiers comptable, intendant, voire agent municipal ; homme de devoir en tout cas, connaissant beaucoup de gens et les observant de son coin avec un détachement amusé.

La famille s’était de bonne heure transportée à Rome, où l’ancien esclave fit tout pour assurer à son fils l’éducation la plus soignée. Après avoir achevé ses études libérales, Horace, qui vient de dépasser la vingtaine, part pour Athènes, où il vivra dans la compagnie de jeunes nobles, tel le fils de Cicéron, beaucoup plus riches que lui, mais également passionnés de poésie, de philosophie et de plaisir ; lui-même suit avec prédilection l’enseignement de l’Académie, la moins dogmatique, la plus scientifique des écoles d’alors.

Mais, en ces années cruciales pour l’avenir de Rome, les préoccupations politiques doivent aussi inquiéter beaucoup la jeunesse et, à la suite du meurtre de César (15 mars 44), elles vont tout emporter. Sans aucune hésitation, à ce qu’il semble, Horace s’est trouvé du côté des républicains, c’est-à-dire du sénat et des conservateurs. Plusieurs facteurs ont pu alors conjuguer leurs effets : les solidarités du milieu, où l’on n’a sûrement aucune tendresse pour l’idole des populares ; un tempérament positif et le dégoût de l’ambition ; l’amour de la liberté ; peut-être l’emprise personnelle de Brutus, qui passe alors quelques mois à Athènes. Horace s’enrôle ; il part en Asie pour rassembler la grande armée qui doit en finir avec les héritiers du dictateur abattu, Octave, Antoine ; il devient tribun militaire avec le commandement d’une légion ; il accède à la classe des chevaliers.

Brève équipée ; en octobre 42, l’armée républicaine est battue à Philippes. Dans un poème (Odes, II, 7) taillé sur le patron d’une pièce d’Archiloque (712 - v. 664) et, de ce fait, passablement obscur pour nous, Horace a évoqué sa participation à la bataille : il fit partie de ceux qui acceptèrent de déposer les armes lorsque tout parut perdu et qui ne refusèrent pas l’amnistie offerte par les vainqueurs.

Cette bataille de Philippes ouvre la période la plus sombre de la vie d’Horace. Pourtant, revenu à Rome, où il commence à écrire, celui-ci doit conserver l’appui de ses anciens amis d’Athènes. Ses premières pièces, les Épodes, se situent à bien des égards dans la tradition aristocratique d’un Catulle (v. 87 - v. 54), héritée elle-même des cercles ou cénacles de la fin du iie s. Ce sont des pièces conçues pour l’amusement et la prouesse, mais où la perfection de la forme est comme dérision de l’insignifiance ou de l’irréalité du sujet : invectives contre un mauvais poète ou contre une vieille dame insatiable, épigrammes précieuses, variations fantaisistes sur les scènes de magie noire. D’autres poèmes, dans le même recueil, sont d’une veine toute différente, telle l’épode XVI, qui date peut-être du début de 41 et où l’on retrouve le combattant de la liberté, déçu et amer : tout est fini, il faut renoncer à tout espoir, partir pour le bout du monde. Ou encore l’épode VII, cri d’horreur devant la montée de nouvelles haines.

Les circonstances, la volonté du poète ont juxtaposé à ces poèmes de protestation véhémente des vers où renaît une lumière — badinages d’amitié heureuse, espoir frémissant d’anxiété — à l’approche de la bataille d’Actium. C’est que, dans les dix ans qui ont suivi son retour, Horace a évolué : peu à peu il s’est résigné, puis rallié à Octave, devenu — il ne se trompait pas — le meilleur champion des chances qui restaient aux Romains. Une amitié aussi a contribué à cette renaissance intérieure, qui va rendre à Horace la joie de vivre. Un des fidèles du prince, Mécène, s’est intéressé à lui, et peut-être d’abord à l’homme plus qu’au poète. Grand seigneur sans préjugés, il n’a pas été choqué par la susceptibilité du partisan, naguère un ennemi, aujourd’hui une sorte de déclassé, qui hante des milieux si différents du sien. Horace l’a sans doute amusé et va devenir son ami pour toujours. D’où les premières Satires (v. 35), qui valent surtout par la peinture du petit peuple de Rome ou de ses idoles : chanteurs, danseuses, charlatans et philosophes de carrefour. C’est un grouillement d’anecdotes, d’allusions, un papillotement permanent du récit. Horace a mis son œuvre sous le patronage du poète Lucilius (v. 180 - v. 102), chevalier romain comme lui et inventeur du genre. Lucilius, effectivement, paraît lui avoir ressemblé par son goût de la confidence personnelle et de l’auto-ironie, par la liberté de ses jugements ; il prolongeait une tradition de réalisme, de vérisme populaire qu’il avait reprise dans l’ancienne comédie grecque et qui, après Horace, suscitera Pétrone († 66 apr. J.-C.) et Apulée. Les rapprochements qu’on a tenté d’établir entre la satire horatienne et les « diatribes » des prédicateurs stoïciens ou cyniques sont moins convaincants. Chez le poète, c’est le souci du trait authentique et plaisant qui prédomine ; la morale n’est encore que prétexte à faire ressortir la diversité des travers ou des folies des hommes.

Dans ces peintures un peu crispées, sarcastiques, il y a, par moments des zones plus claires : ainsi quand Horace parle de lui-même, de la métairie que Mécène lui a donnée en Sabine et où il goûte la paix. On voit aussi qu’il reprend confiance, que, dans une aisance retrouvée, ses qualités d’homme et de poète le mettent à peu près de plain-pied avec tous. Cette évolution est encore plus sensible dans un second livre de Satires, paru vers 29.