Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Günther (Ignaz) (suite)

Il travaille surtout pour les puissantes abbayes du pays et aussi pour les églises de pèlerinage et de confréries. Ses chefs-d’œuvre sont le maître-autel des églises de Rott am Inn, de Weyarn, de Neustift, près de Freising, de Starnberg, de Mallersdorf, mais il a aussi laissé nombre de statues et de groupes en stuc ou en bois volontiers polychrome. Dans le chœur du monastère bénédictin de Rott am Inn, en 1761-62, il dresse de part et d’autre les figures des fondateurs, l’empereur Henri et sa femme Cunégonde, qui ont droit à leur place au maître-autel, puisqu’ils furent canonisés ; ils sont représentés en habits de souverains, dans un style plein d’une majesté qui s’impose et avec un contraste intéressant entre la fougue de l’Empereur, présentant sa maquette, et le recueillement de son épouse, au port de tête altier. Les autels latéraux sont aussi flanqués de statues dont l’artiste a étudié ingénieusement le contrepoint. Günther crée des types, mais toujours individualisés, comme saint Pierre Damien, cardinal, prince de l’Église, exprimant sur son visage sillonné de rides profondes cette sorte de dédain pour les choses temporelles qu’on retrouve chez beaucoup de personnages créés par l’artiste. Pour les augustins de Weyarn, il a taillé dans le bois une étonnante Annonciation, où éclate son habileté à rompre et à varier les axes de ses compositions : ici, avec la Vierge vue presque de profil, toute en courbes ondoyantes et jeu exquis des mains, fait contraste l’archange arrivant de face, allègre et impérieux dans son vol léger qui écarte les plis du manteau, cependant que l’aile gauche commence à se replier. Les baroques sont rarement allés aussi loin dans l’animation et l’instantané. Le sculpteur a travaillé aussi à des sujets profanes, et les bas-reliefs du château de Schleissheim (1763) montrent un style raffiné, non sans souvenirs maniéristes.

Son art s’est imposé rapidement par sa puissance et son originalité. Les attitudes ployées de ses personnages, stoppés dans leur élan d’enthousiasme et de douleur, ses visages aux yeux curieusement dessinés en diagonales, avec une paupière lourde et tombante, n’appartiennent qu’à lui. Des diverses sources de son art, Günther a su tirer, par la vigueur de son tempérament, une œuvre personnelle et poétique, parfois un peu stridente, souvent étrange, en tout cas profonde et d’un sentiment religieux intense : elle offre bien la plus haute expression de ce rococo bavarois à l’imagination créatrice incomparable. De son siècle, Günther retient une part d’élégance et de suavité dans l’allégresse de ses anges ; mais ses Vierges de douleur, ses apôtres, ses Pères de l’Église ont une gravité intérieure qui va bien au-delà d’une pose de théâtre. Il varie à l’extrême les attitudes, sinon les expressions, délivrant le corps de la pesanteur matérielle, déployant et fracassant les draperies avec une virtuosité n’excluant pas, parfois, certaine saveur paysanne. La Pietà de Nenningen (Wurtemberg), de 1774, si tragique et silencieuse, apparaît comme son testament.

F. S.

 A. Schönberger, Ignaz Günther (Munich, 1954).

Gurvitch (Georges)

Sociologue français (Novorossiisk, Russie, 1894 - Paris 1965).


Après de brillantes études de philosophie, Georges Gurvitch devient professeur à l’université de Tomsk. Il participe à la révolution d’Octobre, au cours de laquelle il connaît Lénine, puis, à la suite de divergences de vues avec les nouveaux dirigeants de son pays, il s’exile volontairement. Il enseigne à l’université de Prague, puis en France, où il s’établit définitivement et obtient sa naturalisation. Reçu docteur ès lettres en Sorbonne, il occupe divers postes d’enseignement à Bordeaux et à Strasbourg. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se réfugie aux États-Unis, où il exerce des fonctions au ministère de la Guerre. De retour en France, il crée le Centre d’études sociologiques et les Cahiers internationaux de sociologie. En 1949, il est nommé professeur de sociologie à la Sorbonne. Il fonde ensuite le Laboratoire de sociologie de la connaissance et de la vie morale et l’Association internationale des sociologues de langue française.

La sociologie de Georges Gurvitch peut se rattacher à diverses sources d’inspiration : la philosophie de Fichte, la phénoménologie, le bergsonisme, le marxisme, l’anthropologie de Marcel Mauss. Lui-même appelait son système un « hyperempirisme réaliste, pluraliste et relativiste ». Il refusait donc de s’enfermer dans une philosophie unitaire et fermée, quelle qu’elle fût. Aussi retenait-il beaucoup d’enseignements de diverses autres sociologies, comme celles de Marx, de Proudhon, de Saint-Simon, de Durkheim, tout en les critiquant sévèrement dans la mesure où elles lui semblaient risquer de figer la réalité sociale ou d’anticiper avec trop de détermination sur son évolution future. D’autre part, il réagissait très vivement contre une certaine tendance de la sociologie empiriste américaine qui paraissait borner son ambition à constater des faits, à mesurer et à décrire des phénomènes. Selon lui, la sociologie devait se donner pour tâche d’expliquer, et, pour cette raison, il était nécessaire qu’elle opérât une jonction entre la pratique et la théorie, celle-ci, particulièrement, ne devant jamais être négligée.

L’effort théorique considérable de Georges Gurvitch se manifesta surtout par l’invention d’un appareil conceptuel qui devait lui permettre de saisir sous tous ses aspects et à ses divers niveaux le « phénomène social total ». Par cette dernière expression, empruntée à Marcel Mauss, il voulait d’abord insister sur le danger qu’il y aurait à isoler les éléments du contexte global où ils prennent leur sens, et il voulait désigner l’objet même de la sociologie dans ce qu’il a de mouvant, d’irréductible à des structures. Ce qu’il fallait tenter d’expliquer, selon lui, c’était bien plutôt un incessant flux et reflux de structuration, de déstructuration et de restructuration. La réalité sociale est donc par essence dialectique, et la seule méthode qui convienne à la science chargée de l’étudier est la méthode dialectique, qui, dans la pratique, conduit à l’élaboration d’un certain nombre de procédés opératoires (complémentarité, implication, polarisation, ambiguïté, réciprocité des perspectives). Le pluralisme permet de concilier la vocation scientifique de la sociologie avec ces caractères spécifiques de son objet et de ses méthodes, car c’est précisément la multiplicité des déterminismes qui permet l’insertion de la liberté dans des phénomènes qui peuvent se situer à tel ou tel niveau de structuration. On peut ainsi parvenir à trouver sinon des lois, du moins des corrélations fonctionnelles ou des régularités tendancielles entre divers aspects de la réalité sociale. À cet égard, la sociologie de la connaissance doit révéler les rapports entre divers types de connaissance et divers contextes sociaux.