Günther (Ignaz) (suite)
Il travaille surtout pour les puissantes abbayes du pays et aussi pour les églises de pèlerinage et de confréries. Ses chefs-d’œuvre sont le maître-autel des églises de Rott am Inn, de Weyarn, de Neustift, près de Freising, de Starnberg, de Mallersdorf, mais il a aussi laissé nombre de statues et de groupes en stuc ou en bois volontiers polychrome. Dans le chœur du monastère bénédictin de Rott am Inn, en 1761-62, il dresse de part et d’autre les figures des fondateurs, l’empereur Henri et sa femme Cunégonde, qui ont droit à leur place au maître-autel, puisqu’ils furent canonisés ; ils sont représentés en habits de souverains, dans un style plein d’une majesté qui s’impose et avec un contraste intéressant entre la fougue de l’Empereur, présentant sa maquette, et le recueillement de son épouse, au port de tête altier. Les autels latéraux sont aussi flanqués de statues dont l’artiste a étudié ingénieusement le contrepoint. Günther crée des types, mais toujours individualisés, comme saint Pierre Damien, cardinal, prince de l’Église, exprimant sur son visage sillonné de rides profondes cette sorte de dédain pour les choses temporelles qu’on retrouve chez beaucoup de personnages créés par l’artiste. Pour les augustins de Weyarn, il a taillé dans le bois une étonnante Annonciation, où éclate son habileté à rompre et à varier les axes de ses compositions : ici, avec la Vierge vue presque de profil, toute en courbes ondoyantes et jeu exquis des mains, fait contraste l’archange arrivant de face, allègre et impérieux dans son vol léger qui écarte les plis du manteau, cependant que l’aile gauche commence à se replier. Les baroques sont rarement allés aussi loin dans l’animation et l’instantané. Le sculpteur a travaillé aussi à des sujets profanes, et les bas-reliefs du château de Schleissheim (1763) montrent un style raffiné, non sans souvenirs maniéristes.
Son art s’est imposé rapidement par sa puissance et son originalité. Les attitudes ployées de ses personnages, stoppés dans leur élan d’enthousiasme et de douleur, ses visages aux yeux curieusement dessinés en diagonales, avec une paupière lourde et tombante, n’appartiennent qu’à lui. Des diverses sources de son art, Günther a su tirer, par la vigueur de son tempérament, une œuvre personnelle et poétique, parfois un peu stridente, souvent étrange, en tout cas profonde et d’un sentiment religieux intense : elle offre bien la plus haute expression de ce rococo bavarois à l’imagination créatrice incomparable. De son siècle, Günther retient une part d’élégance et de suavité dans l’allégresse de ses anges ; mais ses Vierges de douleur, ses apôtres, ses Pères de l’Église ont une gravité intérieure qui va bien au-delà d’une pose de théâtre. Il varie à l’extrême les attitudes, sinon les expressions, délivrant le corps de la pesanteur matérielle, déployant et fracassant les draperies avec une virtuosité n’excluant pas, parfois, certaine saveur paysanne. La Pietà de Nenningen (Wurtemberg), de 1774, si tragique et silencieuse, apparaît comme son testament.
F. S.
A. Schönberger, Ignaz Günther (Munich, 1954).