Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guizot (François) (suite)

Ce qui, chez certains, n’était qu’opportunisme tactique devait se révéler chez Guizot le fondement théorique d’une conception de l’unité du pouvoir. Vers 1817, Guizot est l’un des membres influents du groupe des « Doctrinaires », constitué sous l’égide de Royer-Collard. Conseiller officieux du gouvernement, il rédige et défend les principaux projets ministériels. Dans la tribune doctrinaire, les Archives philosophiques, il exalte, avec rigueur et hauteur de vues, les droits de l’individu et l’égalité civile. Hostile aux forces aveugles de la populace, il entend distinguer néanmoins le grand élan libérateur de la Révolution, qu’il réhabilite d’ailleurs publiquement dans l’exposé des motifs de la loi Gouvion-Saint-Cyr en novembre 1817.

L’orientation libérale du cabinet Decazes s’inspire des conceptions doctrinaires et s’appuie sur leur influence. Le corps préfectoral est épuré, et c’est à Guizot que l’on confie, le 6 janvier 1819, la nouvelle Direction des affaires départementales et municipales. C’est encore Guizot et ses amis qui préparent les lois libérales sur la presse. Mais l’assassinat du duc de Berry (1820) met brutalement fin à l’expérience de conciliation de la légitimité et de la Charte : Guizot est révoqué le 17 juillet 1820.


Le retour à l’opposition (1820-1830)

Rendu à l’Université, Guizot poursuit le combat politique et publie une série de brochures hostiles au nouveau gouvernement. Ce dernier réplique en fermant son cours à la Sorbonne en octobre 1822, et le grand historien ne retrouvera sa chaire qu’avec Martignac en 1828.

C’est une période active et féconde qui s’ouvre alors pour l’universitaire. Il entame la publication de ses ouvrages historiques [Histoire de la révolution d’Angleterre, 1826-27 ; Histoire de la civilisation en Europe, 1828 ; Histoire de la civilisation en France, 1830), dans lesquels s’exprime sa conception systématique d’un sens de l’histoire justificateur de ses théories politiques. Il ne néglige pas pour autant la lutte sur le terrain. Il participe à la rédaction du Globe, organe du parti constitutionnel, et appuie les efforts de la société « Aide-toi, le ciel t’aidera ». En janvier 1830, il est envoyé à la Chambre par les électeurs de Lisieux et siège au centre gauche. Signataire du Manifeste des 221, il est réélu sans difficulté en juin et rédige le 27 juillet 1830 la protestation de 63 députés contre les Ordonnances. Au cours des Trois Glorieuses, il aide activement au triomphe de la solution orléaniste et, le 11 août, il est nommé ministre de l’Intérieur : il le restera jusqu’en novembre.


Guizot sous la monarchie de Juillet


Le temps des crises (1830-1839)

La Révolution est achevée, et la nouvelle monarchie marque le terme de l’évolution commencée en 1789. Cette idée commune à bien des libéraux de la Restauration est partagée par Guizot, qui se rallie rapidement à la « Résistance » et se range désormais dans le camp des conservateurs. Guizot appuie vigoureusement la politique de répression contre les républicains au temps des insurrections et des attentats (1832-1835). Ministre de l’Instruction publique d’octobre 1832 à février 1836, puis de septembre 1836 à avril 1837, il fait promulguer la loi sur l’enseignement primaire du 28 juin 1833, par laquelle les pouvoirs publics prennent en charge l’instruction élémentaire. Mais la loi Guizot, fruit des conceptions étroites de la classe dominante, est bornée dans ses principes comme dans ses effets. Elle refuse l’obligation, comme contraire à la liberté des familles, limite la gratuité aux indigents et maintient l’instituteur sous la surveillance étroite des notables civils et religieux.

Jusqu’en 1840, Guizot participe aux intrigues parlementaires qui voient se faire et se défaire de fragiles cabinets ministériels : tantôt chef de la droite contre Thiers* (févr.-sept. 1836), tantôt associé à Molé avec Thiers et O. Barrot (avr. 1837 - mars 1839). La chute du second cabinet Thiers (mars-oct. 1840) marque la fin des combinaisons et l’échec des tentatives de gouvernement parlementaire. Guizot, alors ambassadeur à Londres, est appelé aux Affaires étrangères du nouveau cabinet Soult. Ce ministère, qui apparaît à ses origines comme une solution de rechange temporaire, durera jusqu’à la fin du régime. Guizot en assumera la direction de fait jusqu’en septembre 1847 et, à cette date, en aura la présidence nominale.


Le gouvernement de Guizot (oct. 1840 - févr. 1848)

À la différence de ses prédécesseurs, Guizot va bénéficier de l’appui constant du souverain, dont les vues sur la plupart des questions s’accordent avec les siennes.

Le régime sera désormais un compromis : ni gouvernement personnel, le ministère étant responsable devant la Chambre, ni gouvernement parlementaire, le souverain participant activement, trop activement même, à la direction politique. De plus, Guizot possède un programme bien défini, qui séduit Louis-Philippe : assurer le gouvernement de la « classe moyenne » par la consolidation d’un ordre social résolument conservateur, dont les fondements sont la propriété et le système censitaire ; satisfaire les intérêts matériels de la bourgeoisie par une législation appropriée ; maintenir la paix à l’extérieur en assurant prudemment la rentrée de la France dans le concert diplomatique européen.

Le développement économique du pays s’accélère incontestablement à partir de 1840, et Guizot pratique une politique particulièrement favorable aux grands intérêts privés : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne... » L’activité des milieux d’affaires bénéficie d’encouragements officiels et de mesures concrètes : lois sur les concessions de voies ferrées, marchés fructueux passés avec l’État. La sollicitude du gouvernement est férocement sélective. Pour ne pas heurter les notables protectionnistes, on maintient une législation douanière malthusienne, mais le monde du travail est totalement abandonné à son exploitation et à sa misère. Personnellement probe, Guizot n’en couvre pas moins les scandaleuses pratiques de l’oligarchie financière, qui aboutit à discréditer son gouvernement et à dresser contre lui une large partie de l’opinion.