Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Guillaume de Machaut (suite)

L’usage même des teneurs ne laisse pas d’être remarquable. Alors que les devanciers et les contemporains de Machaut tronçonnaient le thème servant de teneur selon des schémas rythmiques arbitraires qui la dénaturaient, la rendaient méconnaissable et la réduisaient au rôle de procédé de composition, Machaut semble retrouver pour le texte liturgique un respect dont les œuvres de l’époque fournissent peu d’exemples, et par là il rend à ce qui n’était que travail de dissection une vie qui s’en était échappée et un intérêt mélodique renouvelé. Si, dans les trois volets du Kyrie, le découpage isorythmique nuit encore quelque peu à la perception de la ligne, dans les autres pièces tout se passe comme si Machaut évitait (ce qui, à cette époque, n’était pas un mince mérite) de désarticuler le motif grégorien.

B. G.

D. P.

 ŒUVRES. Le Livre du voir dit de Guillaume de Machaut, publ. par P. Paris (Soc. des bibliophiles, 1875). / La Prise d’Alexandrie ou Chronique du roi Pierre Ier de Lusignan, publ. par M. L. de Mas-Latrie (E. Leroux, 1877). / Œuvres de Guillaume de Machaut, publ. par E. Hoepffner (Firmin-Didot, 1908-1921 ; 3 vol.). / Poésies lyriques, éd. complète par V. Chichmaref (Champion, 1909 ; 2 vol.). / Musikalische Werke, publ. par F. Ludwig (Leipzig, 1926-1930 ; 2e éd., 1955 ; 4 vol.).
L. Schrade, Polyphonic Music of the Fourteenth Century (Monaco, 1954-1957 ; 3 vol.). / A. Machabey, Guillaume de Machaut, la vie et l’œuvre musicale (Richard-Masse, 1955 ; 2 vol.). / D. Poirion, le Poète et le prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans (P. U. F., 1965).

Jalons biographiques

1300

naissance.

1323

au service de Jean de Bohême comme clerc aumônier.

1325

voyage à Prague.

1327-1329

expédition en Silésie, en Lituanie et en Pologne.

1330

notaire et secrétaire du roi de Bohême.

1335

renonçant à divers canonicats, garde celui de Reims. 1340 participe effectivement au chapitre de Reims.

1349

prudemment enfermé pendant la peste, retrouve avec joie la campagne.

1350

cité par Gilles le Muisit comme grand musicien.

1349-1357

en relation avec Charles de Navarre.

1360

assiste au départ de Jean de Berry en captivité.

1361

reçoit chez lui le régent, Charles de Normandie.

1363

fréquente les grands de la Cour à Crécy-en-Brie.

1364

sacre de Charles V à Reims.

1371

a vendu un manuscrit à Jean de Berry, un autre à Amédée de Savoie.

1377

meurt en avril.

Guillaume d’Occam

Philosophe nominaliste (Occam [ou Ockham], près de Londres, v. 1300 - Munich v. 1349).


Le franciscain Guillaume d’Occam a gardé les surnoms contraires de Venerabilis Inceptor et Doctor invincibilis, le premier rappelant peut-être qu’il fut maintenu par le chancelier d’Oxford John Lutterell au rang de « débutant » en philosophie pour avoir enseigné des théories logiques suspectes, différentes de celles d’Aristote. Il appliqua par la suite ces théories à la présence du Christ dans l’eucharistie. Appelé à la cour pontificale d’Avignon pour se justifier, il vit reconnaître ses positions comme hardies, mais non erronées.

À Avignon, Occam prit parti dans le conflit qui opposait alors son ordre et le pape Jean XXII tant sur les constitutions de l’ordre franciscain que sur l’élection impériale. Il soutint le général des Franciscains, Michel de Césène, dans sa défense des « spirituels », qui prétendaient réformer l’ordre franciscain et l’Église en vivant dans une pauvreté absolue et qui étaient combattus par le pape. Tous deux se rangèrent ensuite du côté de Louis IV de Bavière, qui venait d’être élu empereur, contre le candidat du pape, Frédéric d’Autriche, manifestant par là leur opposition au pouvoir temporel du Saint-Siège. Accusés d’hérésie, ils durent bientôt fuir Avignon pour Pise, où Louis IV de Bavière les accueillit (1328).

Guillaume d’Occam commença alors une carrière d’écrivain ecclésiastique et politique. Il rédigea un Compendium errorum Iohannis papae XXIIo (1334-1339) et un Dialogus super dignitate papali et regia (1338-1342). Puis il s’établit à Munich, où il entra en relation avec les légistes impériaux en vue de soutenir la cause de Louis IV de Bavière et où il composa une série d’ouvrages politiques antipontificaux. Il semble que, lors du chapitre général de son ordre en 1348, il se soit réconcilié avec le pape.

La principale œuvre philosophique de Guillaume d’Occam, son Commentaire sur les sentences de Pierre Lombard, est l’exposé le plus célèbre de la doctrine nominaliste. Il y conteste les « universaux », qui, selon lui, n’ont d’existence que dans l’esprit, non dans la réalité. Seul l’individuel concret existe. Dès lors, la science ne saurait prétendre à aucune prise sur le réel ; elle n’est que représentation, assemblage de concepts, de mots (nomina) qui sont de pures conventions. La connaissance ne résulte pas, comme dans la philosophie scolastique, d’un jugement de séparation ou d’abstraction du réel, aboutissant à reconnaître des degrés d’être, mais d’une intuition qui n’est fondée sur rien d’autre que sur la position autonome de l’esprit. Ces positions s’accompagnent du risque d’un extrême agnosticisme : Occam nie les preuves classiques de l’existence de Dieu et le bien-fondé de la distinction entre l’essence de Dieu et les attributs de Dieu. En théologie, il est « fidéiste », c’est-à-dire qu’il suspend toute chose, bien plus radicalement encore que son maître Duns* Scot, à la volonté divine. Puisque les universaux n’offrent aucune prise sur le réel (un des principes de l’école nominaliste, demeuré sous le nom de rasoir d’Occam, s’exprime ainsi : « Les êtres ne sont pas multipliables sans nécessité » [Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem]), seule la révélation permet de connaître l’ordre de la création. De même dépendent de Dieu seul la prédestination et la foi des individus.

Les théories d’Occam ne furent jamais censurées par le Saint-Siège ; elles le furent seulement par l’université de Paris. C’est là, cependant, que le nominalisme se développa par la suite et qu’Occam trouva ses plus célèbres disciples : Jean Buridan, Pierre d’Ailly, Jean Gerson. Par Gabriel Biel, qui distingue rigoureusement la foi et la raison, et qui fut le maître à penser de Luther, le nominalisme d’Occam a préparé la voie à la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule, et fut le précurseur des empiristes anglais.