Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

La population

L’analyse démographique confirme le fait que la Grèce néglige une partie de son potentiel économique. Sa population s’élevait en 1971 à 8 750 000 habitants, soit 1 100 000 de plus qu’en 1951, mais à peine 350 000 de plus qu’en 1961, ce qui représente une augmentation de 4 p. 100 seulement pendant la dernière période intercensitaire. Trois séries de causes rendent compte du phénomène. Alors que la guerre étrangère, puis la guerre civile ont coûté à la Grèce 7 p. 100 de sa population totale en moins de dix ans, le taux de natalité s’est abaissé au voisinage de 18 p. 1 000 et ne laisse plus — le taux de mortalité se stabilisant à 9 p. 1 000 —, qu’un excédent naturel réduit. L’exode rural diminue d’autre part le poids démographique des campagnes du nord et de l’ouest, où la natalité demeura plus élevée jusque vers 1965. Parallèlement, la croissance des villes de plus de 10 000 habitants, qui groupent désormais plus de la moitié de la population totale, s’accompagne d’une réduction du nombre des naissances ; la même tendance gagne les campagnes, où sont diffusées, avec l’augmentation relative des niveaux de vie, des habitudes de consommation urbaines. L’émigration de travail vers l’étranger, qui est en Grèce un phénomène ancien, explicable à l’origine par l’exiguïté des exploitations agricoles, accentue enfin les conséquences de cette évolution démographique ; l’émigration transocéanique vers l’Australie, le Canada et les États-Unis n’a pas cessé : elle absorbe des individus jeunes, hommes et femmes, partant sans esprit de retour ; mais l’émigration intra-européenne a pris le relais depuis quinze ans et mobilise d’importants contingents de travailleurs, qui se dirigent surtout vers l’Allemagne fédérale et sont de plus en plus souvent accompagnés de leur famille : on compte aujourd’hui plus de 100 000 départs par an, intéressant une majorité de jeunes adultes qui restent en moyenne trois ans et demi à l’étranger. Ce vaste mouvement migratoire, qui touche toutes les régions et gagne même la population turque, pourtant fort traditionaliste, autorisée à demeurer en Thrace après les échanges de 1923, n’entraîne pas seulement une diminution de la natalité : divers signes de pénurie de main-d’œuvre apparaissent, affectant notamment le secteur agricole aux périodes de pointe ; l’épargne des travailleurs revenus de l’étranger se tourne plus vers la spéculation immobilière urbaine ou le secteur du commerce et des services que vers des activités capables de multiplier les emplois.

À la stagnation numérique de la population se combinent les effets d’une urbanisation accélérée, qui profite surtout aux plus grandes villes, et particulièrement à la capitale : alors que l’ensemble de la population urbaine a augmenté de 26 p. 100 entre 1961 et 1971, la population de l’agglomération d’Athènes s’est accrue de 37 p. 100 (contre 34 p. 100 pendant la décennie précédente) et celle de Thessalonique de 44 p. 100 (contre 26 p. 100), absorbant à elles deux 844 000 nouveaux habitants des villes sur un total de 950 000. La concentration de la population dans quelques villes d’une taille disproportionnée en regard de celle de la Grèce exagère des déséquilibres régionaux assez graves désormais pour menacer le développement économique de cet État.


Les grandes divisions régionales


La Grèce du Nord

Les trois provinces (Thrace, Macédoine et Thessalie) qui la constituent abritent un tiers de la population totale sur plus des deux cinquièmes du territoire national. Dans ce domaine, le plus balkanique de la Grèce, les plaines ne furent longtemps que des piémonts, annexes de cantons montagnards où la population grecque avait trouvé refuge lors des invasions slaves, puis ottomane. Les montagnes sont aujourd’hui rapidement abandonnées et vivent désormais dans la dépendance des plaines : les nomes de Ghrevená et de Flórina, en Macédoine, ont perdu un habitant sur cinq depuis 1961 ; seule exception à cette décadence, Kastoriá (16 000 hab.), unique ville de montagne en Grèce, doit à la prospérité de l’artisanat de la fourrure de récupération (une spécialité mondiale) un accroissement de 36 p. 100 du nombre de ses habitants pendant la dernière décennie. Cependant, les grands travaux de drainage et d’irrigation ont révélé les qualités agricoles des terres basses, qui sont systématiquement colonisées depuis la fin des guerres balkaniques : plusieurs centaines de milliers de réfugiés grecs de Turquie y furent installés après 1923 ; des groupes de montagnards descendant des massifs voisins sont venus y chercher de meilleures conditions de vie ; diverses communautés d’éleveurs semi-nomades (Valaques, Sarakatsanes) s’y sont sédentarisées quand la vulgarisation des machines de culture, puis des engrais a permis de transformer en labours une partie de leurs anciens pâturages d’hiver. Les champs de coton, de betterave à sucre, de tabac, de luzerne, de maïs, de riz, les vergers, etc., donnent aux plaines de Thessalie, à la Kampania de Thessalonique, aux bassins de Sérrai et de Dhráma, au delta du Néstos, à la vallée de l’Evros une allure de prospérité qui contraste avec leur désolation d’autrefois... Mais les exploitations sont, comme ailleurs en Grèce, étriquées, morcelées, endettées ; ces belles campagnes ne sont plus à l’abri de l’exode rural, qui a déjà raréfié la population des montagnes en y provoquant le déclin de l’élevage et la disparition de l’artisanat, puis emporté une partie des habitants des piémonts traditionnellement consacrés au tabac d’Orient ; déjà les nomes céréaliers de Kilkís et de l’Evros ont perdu respectivement 18 et 11 p. 100 de leur population en dix ans ; ceux de Sérrai et de Dhráma, consacrés à la polyculture, en ont respectivement perdu 18 et 25 p. 100.

Toutefois, l’exode rural favorise le progrès technique d’une agriculture de plus en plus soucieuse de s’assurer des marchés extérieurs, et il pourrait faciliter la restructuration foncière, rendue urgente par le partage successoral des petits domaines égalitaires nés de la réforme agraire de l’entre-deux-guerres. La diminution de la population rurale traduit d’autre part une nouvelle répartition de la population active, fixée dans les villes par la multiplication des emplois industriels et tertiaires. L’agglomération de Thessalonique* (545 000 hab.) est devenue depuis 1965 un centre industriel notable à l’échelle européenne grâce à la pétrochimie et à la sidérurgie, autour desquelles viennent s’agglutiner d’autres activités de transformation. En Thessalie, Lárissa (73 000 hab.), la capitale de l’intérieur, l’a emporté sur Vólos (71 000 hab.), le port régional, au cours de la dernière décennie : elle le doit au dynamisme des régions agricoles qu’elle dessert et domine, alors que quelques industries textiles et mécaniques n’ont pas encore ranimé Vólos, dont le trafic maritime est court-circuité par le port du Pirée. La « route nationale no 1 » est devenue, bien qu’inachevée, l’axe essentiel de cette région, qu’elle relie à Athènes. Plus à l’écart, Sérrai et Kavála (ou Kaválla) ne sont, à l’est de Thessalonique, en dépit de populations supérieures à 40 000 habitants, que de grosses bourgades en déclin. À l’opposé, au contact du Pinde et de plaines enrichies par les cultures commerciales, Vérria (30 000 hab.), Kozáni (24 000 hab.) et Tríkala (ou Tríkkala, 38 000 hab.) ont vu leur population augmenter de 11 à 17 p. 100 depuis 1961. Toutes ces régions du Nord, riches de possibilités diverses, gagneraient à l’augmentation des échanges avec l’Europe centrale, que la grande voie du Danube à la mer Égée par les vallées de la Morava et du Vardar rendrait faciles.