Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grande-Bretagne (suite)

« La vie est un halo lumineux, une enveloppe à demi transparente nous enveloppant du début de la conscience à sa fin... »

Aussi loin qu’on remonte dans la littérature de l’Angleterre brille une lueur incertaine dont l’œuvre de Shakespeare*, de A Midsummer Night’s Dream (1595) à King Lear (1606) et The Tempest (1611), apporte le témoignage éternel. Ce halo laisse deviner un monde étrange où se meuvent déjà avec ravissement les bardes gallois (Bataille des guerriers changés en arbres, de Taliesin), les scops anglo-saxons (Sir Bevis of Hampton) ou les auteurs des épisodes merveilleux de Havelok, des « romances » arthuriennes (Sir Gaxain and the Green Knight), auxquelles The Lord of the Rings (1954-1956), de J. R. R. Tolkien, offre un inattendu prolongement. Les élisabéthains ne se contentent pas seulement de créer des personnages de féerie. Du cœur de l’homme, ils sortent démons (Dr. Faustus, 1588, de C. Marlowe) et sorcières (Macbeth, 1605), symboles des insondables abîmes de l’âme (Hamlet, v. 1600). Franchissant un seuil encore inexploré, jacobéens et caroliniens, C. Tourneur, J. Webster, J. Ford... raniment la « veine noire » de Richard Cœur de Lion (v. 1300). L’irrationnel que Defoe aborde par le biais d’un « reportage » (A True Relation of the Apparition of One Mrs. Veal, 1706) s’épanouit dans Castle of Otranto (1764), de H. Walpole, père du récit moyenâgeux. Mystère, terreurs irraisonnées emplissent The Mysteries of Udolpho (1794), de Mrs. A. Radcliff, ou The Monk (1796), de M. Lewis. Sous l’influence du courant allemand, S. T. Coleridge (Christabel, 1797-1800), W. Scott (The Lay of the Last Minstrel, 1805) ou Keats* (Isabella, or the Pot of Basil, 1820) demeurent fidèles au « gothique », retrouvé d’instinct par les Brontë*, Charlotte (Jane Eyre, 1848), plus réaliste, Emily (Wuthering Heights, 1847), plus romantique. Toutefois, de plus en plus, l’aspect « médiéval » cède le pas à l’horreur, au fantastique purs chez Mrs. Shelley (Frankenstein, 1817) ou Ch. Maturin (Melmoth the Wanderer, 1820), Les victoriens n’étant pas épargnés, du Zanoni (1842), de lord Lytton, on passe à l’Étrange Cas du Dr. Jeckyll et de Mr. Hyde (1886), de Stevenson*. Désormais, la muse ténébreuse va reparaître régulièrement. T. F. Powys (Mr. Taskers Gods, 1925) et S. T. Warner (Lolly Wiliowes, 1926) rallument le flambeau de l’épouvante ou du macabre. Dans The Willows (1932), A. Blackwood pratique l’horreur surnaturelle, et, plus près de nous encore, Iris Murdoch (The Time of the Angels, 1966) prolonge l’atmosphère gothique, tandis que J. H. Chase (Blondes Requiem, 1949) se plonge dans une ambiance de cauchemar.


« Nous allons glorifier le gardien du céleste royaume »

Aux mondes étranges créés par l’imagination des vieux auteurs s’ajoute très tôt un monde de lumière. Avec Alcuin (viiie s.), les paraphrases de la Bible (Caedmonian Poems, v. 650), les paroles de sagesse d’Aldhelm (De laudibus virginitatis, viie s.), les chants d’allégresse de Cynewulf (Christ, Juliana, viiie s.) ou d’Aelfric (xe s.), l’inspiration religieuse, absorbant peu à peu la pensée païenne, fait son apparition dans la vie littéraire de l’Angleterre. Elle n’en sortira plus jamais. Ainsi, au xviie s., quand le pays, las des gibets et des bûchers religieux de ses premiers Tudors, s’adonne à l’ivresse du spirit of wonder, que mystery cycles (York Plays...) et moralities (Everyman), épanouis au xve s., cèdent sous la poussée irrésistible du théâtre profane, que triomphe l’humanisme païen et qu’euphuisme (J. Lyly, Euphues [1578-1580]) et arcadianisme brillent de tous leurs feux, la Renaissance produit la Bible Authorized Version de 1611. Monument religieux, clef de l’âme nationale, elle peut être considérée comme l’œuvre par excellence des lettres anglaises, qui, consciemment ou non, ont été conditionnées par elle. De la même manière, un demi-siècle plus tard, en pleine Restauration, et cependant que S. Butler campe Hudibras (1663), caricature du puritain fondant sa religion sur le « saint texte de la pique et du mousquet », que la poésie et le théâtre semblent prendre pour seules références esprit ou licence, deux hommes, bravant le courant des idées et des mœurs, John Milton* et J. Bunyan*, l’un érudit, l’autre inculte, se dressent pour défendre la foi et laissent ces œuvres immortelles que sont Paradise Lost (1667) et The Pilgrim’s Progress (1678-1684). Ce ne sont pas là les uniques marques d’originalité de la littérature anglaise, et singulièrement de son courant religieux, si l’on considère la place qu’y occupent les hommes d’Église et la galerie de types d’ecclésiastiques, dont certains ont atteint à l’universalité. Détenteurs presque uniques du savoir durant des siècles, de Bède le Vénérable, père de l’histoire anglaise (Historia ecclesiastica gentis Anglorum, 731), à W. Langland, ancêtre des satiristes (Piers Plowman, v. 1362), en passant par R. Rolle (Incendium amoris, xive s.), ils marquent de leur nom la littérature du Moyen Âge, dans laquelle J. Wycliffe*, premier traducteur de la Bible, jette le ferment de la Réforme. C’est encore aux premières places qu’on les trouve après la fermeture des couvents et la Réforme. Mystiques (H. Latimer, G. Fletcher) qui combattent la licence avec ses armes (R. Southwell) et la raison sur son terrain (G. Berkeley, W. Warburton), tolérants (J. Taylor), sectaires (W. Laud), sermonnaires (L. Andrewes) ou pamphlétaires (J. Collier), ils ne se laissent pas cantonner au domaine de la théologie. Poètes, comme J. Donne*, père des « métaphysiques », prince du wit ; comme E. Young, précurseur des romantiques (Night Thoughts, 1742-1745) ou G. M. Hopkins*, dont la beauté des Sonnets fait évoquer Joyce et Mallarmé ; romanciers, comme L. Carroll, L. Sterne* (Tristram Shandy, 1760-1767) ou, comme J. Swift*, pamphlétaire et satiriste (The Tale of a Tub ; The Battle of the Books, 1704), ils rejoignent dans la gloire le poor parson de G. Chaucer, le démoniaque moine de M. G. Lewis, le pur et naïf Dr. Primerose (Vicar of Wakefield, 1766) de O. Goldsmith, ou son confrère, le parson Adams de Fielding. À ces visages, il faudrait encore ajouter Robert Elsmere (1888), de Mrs. M. A. Ward ; George Rose de Hadrian the Seventh (1904), de F. Rolfe ; l’original Father Brown (1911-1935), de Chesterton ; l’évêque de South Wind (1917), de N. Douglas, ou encore le « padre » mexicain de G. Greene* et ce diable de Mr. Bolfry (1943), de J. Bridie.