Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Góngora (Luis de Argote y de) (suite)

Góngora à lui seul changea le cours de la littérature espagnole. Ses plus ardents critiques, qui lui reprochaient un style hors de tout style, une arrogante affectation et son impatience à leur égard, peu à peu succombèrent à sa fascination et pratiquèrent tant bien que mal une langue « à la Góngora ». C’est le cas de Juan de Jáuregui et de Lope de Vega. Plus qu’une école, le gongorisme, ou culteranismo, fut une maladie. Pour juger de la subtilité de leurs élèves, les jésuites dans les collèges leur donnaient à commenter le Polyphème (Fábula de Polifemo y la Galatea) et les Solitudes (Soledades). Les prédicateurs cultivaient en chaire un amphigouri qui se disait culto, culterano. Leurs ouailles, qui n’y comprenaient rien, s’efforçaient pourtant d’imiter ce langage. Au théâtre, toutes les classes mêlées applaudissaient aux tirades merveilleuses, mais alambiquées, de Calderón, imbu de Góngora. Les lecteurs se complaisaient aux gongorismes dont tous les poètes et les romanciers, sans exception, vernissaient (ou, au mieux, émaillaient) leurs vers et leur prose. Or, le malheur, pour les lettres espagnoles, c’est que Góngora est tout à fait inimitable. En vain le savant jésuite Gracián, entièrement acquis au gongorisme, voulut-il donner une armature morale, idéologique à tous ces épigones étourdis et à leur production. Son traité « sur l’ingéniosité dans les lettres » et son roman édifiant le Criticón, rédigé dans un style très gongorin, ne trouvèrent guère d’écho parmi eux. Et la littérature s’enlisa pendant près de deux siècles dans un jargon précieux que nul bon sens bourgeois, honni par principe en Espagne, ne pouvait ridiculiser.

• Chansonnettes (Letrillas). Góngora ne s’abuse pas sur lui-même : « Comme au chaud, je me sens bien, riez de moi à votre aise, gouvernez le monde et parlez politique. Ce qui me gouverne, moi, c’est du beurre sur du pain tendre, et en hiver une orange pressée avec une rasade de gnole. »

Il regarde les petites filles, tout attendri et sans doute concupiscent : « Le romarin, petite Isabelle, à cette heure, c’est une petite fleur bleue, demain, ce sera du miel. » Rien de tel que l’amour pour transformer le monde : « Parmi les fleurs chantent les rossignols. Mais il y a aussi de petites clochettes d’argent pour annoncer l’aube et puis de petites trompettes d’or pour saluer à l’aurore deux grands beaux yeux, soleils de mon cœur. »

• Première Solitude. Un garçon, sauvé des eaux, rejoint la pâle lumière d’une cabane de bergers. Il y dîne, il y dort ; du haut d’un tertre, il contemple le pays ; il entend chanter les fillettes ; il les voit danser pour célébrer le mariage d’une amie. Un vieux sage raconte alors les périls de la mer. Le garçon reconnaît dans l’épousée une belle qui jadis l’avait banni. Les bergers rivalisent dans les exercices du corps ; ils s’affrontent dans les courses et les pugilats amicaux.

• Deuxième Solitude (inachevée). Le naufragé chante ses malheurs ; un marin raconte ses pêches en mer ; dans un bois apparaissent des chasseurs.

Partout, en suivant les méandres savants de l’expression, le lecteur retrouve, sous une forme qui est épurée des circonstances quotidiennes, de vieux mythes ou des légendes archétypiques : le retour du marin, la marche dans la forêt touffue et les ténèbres, l’homme naufragé rejeté nu sur la plage (la « déréliction »), la lumière d’espoir qu’apporte le retour à la nature, le retour de l’enfant prodigue au foyer du père, de l’ouaille à son bercail, les ébats en plein air, la danse rituelle. Les deux Solitudes font jouer ensemble des morceaux de bravoure : églogues « piscatoires » et « vénatoires », pastorales, hyménées, chœurs. Surtout, il apprend que c’est le verbe qui donne leur signification aux données confuses de notre sensibilité et de notre entendement, leur lumière aux choses et une forme au chaos.

Jáuregui disait de la poésie de Góngora qu’elle n’avait ni corps ni âme. Rien n’est plus vrai. Elle n’emprunte pas son corps au langage de la communication, à l’espagnol des moines prêcheurs, des reîtres ou des hâbleurs de la Cour. Chaque poème a son propre corps, fait de mots à lui, solidement charpentés entre eux ; et son âme, qui lui est propre aussi, émane comme un parfum de l’épaisseur même du tissu verbal. C’est ainsi que chaque lecture renvoie chaque lecteur au langage de son enfance quand tous les mots étaient virtuels, tout neufs, qui est aussi la langue balbutiante, informulée de ses rêves ; elle lui fait retrouver, soudain et par éclairs, ses bonheurs oubliés et latents, des espoirs depuis longtemps perdus et toujours sensibles, l’innocence de ses premiers regards et tous les printemps de son cœur, les joies secrètes de l’isolement, de la solitude.

Laissons parler Góngora. Le corps du poème ? « Edifice en balance, stable dans l’instable, fermé sur soi, ouvert à tous. » L’âme du poème ? « Elle s’égare en quête de son égarement, toute à ses douces erreurs, à ses suaves errances. »

C. V. A.

 P.-L. Thomas, Gongora et le gongorisme considérés dans leurs rapports avec le maniérisme (Champion, 1911). / E. Orozco Díaz, Góngora (Barcelone, 1953). / A. Comas et J. Reglá Campistrol, Góngora, su tiempo y su obra (Barcelone, 1960). / V. Bodini, Studi sul barocco di Góngora (Rome, 1964). / P. Darmangeat, Góngora (Seghers, 1964). / R. Jammes, Études sur l’œuvre poétique de don Luis de Góngora y Argote (Féret, Bordeaux, 1967).

Gonocoque

Bactérie appartenant à la famille des Neisseria (comme le Méningocoque), responsable d’affections contagieuses par voie essentiellement génitale, les gonococcies.



Gonocoque et gonococcies

Après la Seconde Guerre mondiale, l’efficacité des antibiotiques semblait pouvoir résoudre le problème médico-social des gonococcies. Actuellement, ces affections sont, comme la syphilis (dont il faut bien les distinguer), en nette recrudescence. De nombreux agents bactériens ou viraux sont à l’origine de syndromes urogénitaux, articulaires ou oculaires, simulant les aspects cliniques des gonococcies.