Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goncourt (les)

Edmond (Nancy 1822 - Champrosay 1896) et Jules (Paris 1830 - id. 1870), romanciers français.


Edmond et Jules Huot de Goncourt — leur arrière-grand-père avait acheté en 1786 la terre de Goncourt, en Lorraine — sont de purs Parisiens. La famille s’installe à Paris peu après la naissance d’Edmond, et c’est là qu’ils grandiront, faisant le tour, le dimanche, des antiquaires du faubourg Saint-Antoine. Le père meurt en 1834, la mère en 1848 ; le grand frère finit d’élever le cadet, et leur amitié, si parfaite, inspirera certaines de leurs œuvres (Henriette Maréchal, 1865 ; les Frères Zemganno, 1879). Les Goncourt ont beaucoup voyagé, en Algérie, en Suisse, en Belgique, en Italie, mais leur véritable patrie est Paris, d’abord la rue Saint-Georges (1849-1868), puis Auteuil, où ils aménagent le fameux « grenier » : les « dimanches d’Auteuil » sont l’un des principaux centres littéraires et artistiques de Paris à la fin du xixe s.

« Ils tenaient l’un à l’autre par des liens de natures toutes jumelles... » (les Frères Zemganno).

L’œuvre des frères Goncourt offre cette caractéristique exceptionnelle d’avoir été écrite à deux. Il est très difficile — sauf pour le « je » qui, trop souvent, hélas ! remplace le « nous » — de distinguer entre le Journal tenu par Jules jusqu’à sa mort et les pages qu’Edmond continuera d’écrire fidèlement chaque soir. Il n’est pas moins impossible de définir l’apport des deux frères dans leur œuvre historique, romanesque ou critique. Et pourtant, ils avaient « deux tempéraments absolument divers : mon frère, une nature gaie, verveuse, expansive ; moi, une nature mélancolique, songeuse, concentrée ; et fait curieux, deux cervelles recevant du contact du monde extérieur, des impressions identiques » (Journal, 27 déc. 1895).

« Nous avons passé par l’histoire pour arriver au roman » (Journal, mai 1860)

Après l’échec d’un roman humoristique, En 18... (1851), à la manière de Jules Janin et de Théophile Gautier, et une collaboration à l’Éclair et à Paris (1852-53), les Goncourt se tournent vers l’histoire et l’art du xviiie s., si bien défini par eux comme le « classicisme du joli » (Journal, 22 janv. 1875). Ils publient successivement Histoire de la société française pendant la Révolution (1854), Histoire de la société française sous le Directoire (1855), Marie-Antoinette (1858), l’Art au xviiie siècle (1859), les Maîtresses de Louis XV (1860)..., études qu’Edmond continuera après la mort de son frère (Mademoiselle Clavier, 1890, la Guimard, 1893). L’intérêt de ces ouvrages repose sur la recherche patiente et la publication minutieuse de documents inédits ou peu connus, loin de toute tentative de synthèse. Cette « étape historique » des Goncourt les mènera à un type de roman nouveau : « Notre chemin littéraire est assez bizarre. Nous avons passé par l’histoire pour arriver au roman. Cela n’est guère l’usage. Et pourtant, nous avons agi très logiquement. Sur quoi écrit-on l’histoire ? Sur les documents. Et les documents du roman, c’est la vie... » (Journal, mai 1860). Ou encore : « Les historiens sont des raconteurs du passé, les romanciers sont des raconteurs du présent » (Journal, 24 oct. 1864).

« Les romans de mon frère et de moi ont cherché, avant tout, à tuer l’aventure dans le roman » (Journal, 7 sept. 1895).

Les Goncourt abordent le roman avec les Hommes de lettres, Charles Demailly (1860) ; logiquement, ils commencent par l’étude du milieu qu’ils connaissent le mieux. Suivront Sœur Philomène (1861), roman fondé sur une anecdote contée par Louis Bouilhet et qui peint les milieux médicaux ; Renée Mauperin (1864), dont le premier titre était la Jeune Bourgeoisie, Manette Salomon (1867), qui décrit les milieux d’artistes. Mais, dès 1865, les Goncourt avaient exploré un nouveau domaine de recherches, non plus leur propre milieu, mais les classes pauvres de la société : « Vivant au xixe siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle les « basses classes » n’avaient pas droit au roman » (Germinie Lacerteux, préface). Ils choisissent de raconter la triste vie de leur propre servante, Rosé. Plus tard, Edmond publiera le dernier roman prévu par les deux frères, la Fille Elisa (1877), sur les milieux de prostitution.

Les romans des frères Goncourt sont toujours fondés sur une documentation de première main. Germinie était leur femme de ménage, comme leur tante deviendra l’héroïne de Madame Gervaisais (1869), une étude de psychologie religieuse. Ils se mettront en scène tous deux dans l’émouvant roman des Frères Zemganno (1879) : deux saltimbanques unis par la plus profonde amitié fraternelle, dont le cadet s’estropie et l’aîné, par amour pour son frère, renonce au trapèze. Le dernier roman d’Edmond de Goncourt — après la Faustin (1882), étude d’actrice —, Chérie (1884), sera le produit d’une enquête faite par écrit auprès des femmes de la bonne société. Toutes ces œuvres se présentent comme des chapitres de l’« histoire morale contemporaine » (Germinie Lacerteux, préface), car le romancier « n’est au fond qu’un historien des gens qui n’ont pas d’histoire » (la Faustin, préface). Mais si les romans des Goncourt se veulent scientifiques, ils se veulent aussi « artistes » : « Personne n’a encore caractérisé notre talent de romanciers. Il se compose du mélange bizarre qui fait de nous à la fois des physiologistes et des poètes » (Journal, 16 févr. 1869). À la différence de Flaubert, les Goncourt n’ont pas tenté de traduire le vrai par le beau. À propos de personnages ou de scènes volontairement insignifiants, ils recherchent l’« épithète rare », ils découpent et allongent la phrase, surtout la phrase nominale, en une sorte de nouvelle préciosité. L’influence des Goncourt s’est exercée tout autant sur les décadents et les symbolistes que sur les naturalistes. L’« écriture artiste » (les Frères Zemganno, préface) fera l’objet d’un pastiche admirable — non sans gratitude —, de Marcel Proust dans le Temps retrouvé.

« ... nous trouver des espèces d’êtres impressionnables d’une délicatesse infinie, des vibrants d’une manière supérieure... » (Journal, 18 sept. 1867)