Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

académisme (suite)

L’enseignement académique

La nouvelle forme donnée à l’enseignement des beaux-arts dans les académies présentait de nombreux avantages par rapport à celui que recevaient les élèves des anciennes maîtrises. Ceux-ci travaillaient essentiellement d’après les œuvres d’un seul maître, œuvres qu’ils étaient admis à terminer lorsque leur habileté était jugée suffisante. De plus, ils étaient d’un statut social proche de celui de l’apprenti et donc peu enviable par le nombre de besognes matérielles que cela comportait. Or, si le travail manuel était méprisé au Moyen Âge, il ne l’était pas moins à la Renaissance, et le programme « scientifique » des académies permettait de montrer combien l’artiste se distinguait de l’artisan.

L’étude d’après nature comportait avant tout celle du corps humain. La science anatomique étant encore à ses débuts, l’artiste qui désirait en avoir d’exactes notions se devait de pratiquer lui-même la dissection, ce que Michel-Ange fit souvent ; on a pu dire que Léonard était en avance d’un demi-siècle au moins sur le corps médical quant aux connaissances anatomiques. Suivant la manière de considérer l’imitation de la nature, l’étude du corps humain représentait la recherche de la beauté en soi ou seulement une façon de mémoriser ses différentes parties, afin de pouvoir dessiner ensuite n’importe quelle attitude. Par ailleurs, l’exploration de la perspective linéaire a véritablement obnubilé les artistes de la première Renaissance. Innombrables sont les documents figurés qui représentent des systèmes de quadrillage artificiel de l’espace permettant de respecter les proportions des objets dessinés. Le goût pour les connaissances mathématiques correspond à cette nécessité de se référer à des « règles certaines », même dans le domaine des arts.

On voit que l’enseignement académique était surtout un enseignement du dessin, les problèmes posés par la représentation des couleurs passant à l’arrière-plan, jusqu’à la fameuse querelle du dessin et de la couleur qui occupa les séances de l’Académie royale à Paris pendant le dernier quart du xviie s. On a qualifié d’« académisme » une certaine sécheresse dans l’exécution du dessin : cela vient de ce que, pour des raisons de convenances, l’enseignement académique, aux xviiie et xixe s. surtout, remplaça l’étude du modèle vivant par celle des « plâtres ». Mais d’une façon générale les académies, par la variété des modèles proposés — antiques ou maîtres de la Renaissance —, par la confrontation des personnalités et des expériences, souvent exprimée dans des séances de discussion régulières, constituaient des milieux infiniment plus riches que les anciennes corporations.


Théories des arts et premières académies

Ce modèle d’enseignement artistique adopté dans l’Europe entière du xvie au xixe s., sous des formes assez peu différentes, s’explique par la fidélité des milieux artistiques à certaines idées. On les trouve en germe chez Alberti : sa haute conception du rôle de l’artiste ; le devoir qu’il lui fait d’accroître ses connaissances en de nombreux domaines, allant des mathématiques à la poésie en passant par l’anatomie ; sa philosophie de l’art, fondée sur une confiance dans la beauté de la nature, qu’il faut imiter en en reproduisant les formes les plus satisfaisantes, en en faisant une synthèse qui ressemble à une moyenne arithmétique. Ces idées servirent de base à la majeure partie des discussions académiques. Pour Alberti encore, la valeur descriptive des arts plastiques doit égaler celle de la littérature, ce qui justifiera la prédominance du dessin sur les autres éléments de l’œuvre d’art.

Liées au courant maniériste, les premières académies virent le jour dans la seconde moitié du xvie s. À Florence, en 1563, le peintre Giorgio Vasari* fonda la première, appelée Accademia delle arti del disegno. En fait, la conception que Vasari avait du dessin était sans doute différente de celle de ses grands prédécesseurs Alberti, Léonard de Vinci ou Michel-Ange. Pour lui, dessiner signifiait surtout être capable d’inventer des scènes riches de connaissances mythologiques, d’allégories compliquées. Son talent dans ce domaine servit souvent à la glorification alambiquée du pouvoir, par d’ingénieuses figures costumées pour les fêtes et mascarades de la cour des Médicis. La rapidité, l’aisance apparente de l’exécution, ce qu’il appelle la « grazia », lui semblaient des qualités fondamentales ; Vasari critiquait sévèrement un peintre comme Paolo Uccello* pour son application trop apparente à traiter la perspective linéaire. Comme Alberti, il pensait que l’exemple de la Grèce et de Rome était le meilleur que l’on pût suivre, mais il ajoutait à ce culte celui de Michel-Ange et de Raphaël*. Il allait même jusqu’à accorder aux peintres vénitiens une compétence dans le domaine de la couleur. Ce qu’il apporta de plus original est peut-être la théorie selon laquelle le dessin « n’est autre chose qu’une expression visible et une manifestation tangible de l’idée qui existe dans notre esprit ». Ces remarques sont proches de celles de Giovanni Paolo Lomazzo (1538-1600), peintre et théoricien milanais pour qui cette idée, qu’il nomme « disegno interno », avait sa source en Dieu : on en revenait donc, dans une certaine mesure, à l’explication scolastique.

À Rome, en 1577, la Gilde de Saint-Luc se transforma en académie. Le peintre Federico Zuccari (v. 1540-1609), auteur, comme Vasari, de fresques allégoriques au programme fort compliqué, en fut le président. Sa pensée représente un recul par rapport au rationalisme d’Alberti et de Léonard, puisqu’il affirme que les mathématiques ne sont pas indispensables au peintre. Zuccari était membre d’autres académies, notamment à Pérouse et à Parme. À la fin du xvie s., on constate une extension du phénomène académique dans toute l’Italie, ne s’accompagnant pas forcément d’une identité de conceptions.

D’une façon générale, une vision de l’art moins moderne que celle des débuts de la Renaissance semble être le fait de ces premières académies, peut-être par suite des troubles religieux du temps. On ne sait rien de très précis sur une académie artistique qui aurait été fondée vers 1583 aux Pays-Bas, à Haarlem, sous l’autorité de Carel Van Mander (1548-1606), peintre et premier historien d’art des écoles du Nord. Les académies, et c’est ce qui importe, apparaissaient en d’autres pays que l’Italie comme une forme d’organisation souhaitable.