Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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francophones (littératures) (suite)

Dans le voisinage, sur le continent, la Guyane presque vide a pourtant produit un romancier, Bertène Juminer, et surtout Léon-Gontran Damas, qui a publié en 1947 la première anthologie de la « négritude » ; il s’en était fait dès 1937 le coryphée dans ses Pigments, qu’ont suivis plusieurs autres recueils et le poème de Black Label (1956), un des plus extraordinaires de notre langue par sa structure et son rythme de tam-tam.

Enfin, nous ne saurions oublier que l’île de la Dominique, autrefois française et devenue britannique, avait produit dès la génération précédente un poète parnassien de bon aloi, Daniel Thaly (1880-1952).

Aimé Césaire

(Basse-Pointe, Martinique, 1913). Élève de l’école normale supérieure, Aimé Césaire publie dès 1939 le Cahier d’un retour au pays natal, qui reste peut-être son œuvre maîtresse. Il fonde en 1941 à Fort-de-France la revue Tropiques, très influencée par le surréalisme et encouragée par André Breton ; il devient en 1945 député de la Martinique, maire de Fort-de-France, et s’inscrit au parti communiste, qu’il quittera en 1956 en l’accusant de mettre les peuples noirs à son service, mais tout en protestant de ses convictions marxistes. Ses recueils de vers se succèdent : les Armes miraculeuses (1946), Soleil cou coupé (1948), Ferrements (1960), Cadastre (1961). Il aborde le théâtre avec une tragédie, Et les chiens se taisaient, dès 1956, mais c’est en 1964 qu’il trouve dans l’histoire d’Haïti un sujet moins allégorique et qu’il fait jouer la shakespearienne Tragédie du roi Christophe, son chef-d’œuvre en ce genre, suivie en 1966 d’Une saison au Congo, où il met en scène Lumumba. En prose, il a donné, outre un Discours sur le colonialisme (1951) et la Lettre à Maurice Thorez qui déclare sa rupture avec le parti communiste, un essai sur Toussaint Louverture (1960).


Littérature mauricienne

Il existe des analogies entre les Antilles et les Mascareignes, les unes et les autres peuplées d’abord de colons français et d’esclaves noirs (avec, aux Mascareignes, différence notable, une forte proportion d’Asiatiques venus surtout de l’Inde), puis, à l’époque napoléonienne, occupées par les Anglais, qui rétrocéderont la Réunion comme la Martinique et la Guadeloupe, mais garderont l’île Maurice. En dehors de quelques écrivains régionaux, la littérature de la Réunion se confond avec celle de la France. Mentionnons toutefois que son représentant le plus illustre, Leconte de Lisle, a exercé dans cette partie du monde une influence durable, ainsi que Marius et Ary Leblond, inventeurs et propagandistes infatigables de la littérature « coloniale ».

L’île Maurice a vécu beaucoup plus sur elle-même. C’est pourtant à l’influence de Leconte de Lisle que se rattache son premier poète de talent, Léoville L’Homme (1857-1928), et c’est à la manière des Leblond que des romanciers et nouvellistes, Clément Charoux, Arthur Martial, Savinien Mérédac, ont décrit les mœurs locales et les conflits de races. Mais la littérature trouvera sa place originale lorsqu’elle se fera l’écho de la rencontre des civilisations en un « indianocéanisme » qu’a défini Camille de Rauville, fondateur de l’Académie mauricienne (1964). On ne saurait trop souligner l’importance majeure, à cet égard, du poète Robert Edward Hart, surtout dans la dernière partie de son œuvre, quête d’une réalité supérieure où l’homme fusionnerait avec la nature animale et végétale. Malcolm de Chazal (né en 1902) poursuit cet effort dans ses deux ouvrages principaux, Sens plastique (1948) et la Vie filtrée (1949-50), qui émergent d’un ensemble marqué par l’occultisme. Loys Masson (1915-1969) a pris aussi dans son île natale le point de départ d’une carrière de poète et de romancier qui s’est poursuivie en France et où s’entrecroisent les mêmes hantises envoûtantes. Autour de lui, d’autres romanciers, son frère André Masson, Marcelle Lagasse, Alix d’Unienville, et toute une floraison de poètes : Édouard Maunick, « enfant de mille races pétri d’Europe et des Indes », qui dépasse les barrières ethniques tout en s’affirmant « nègre de préférence » ; Jean-Georges Prosper, auteur d’une Apocalypse mauricienne en versets, sorte de Lautréamont qui finirait par vaincre la malédiction ; Jean Fanchette, hermétique et subtil ; Joseph Tsang Mang Kin (né en 1938), nostalgique de son Extrême-Orient ancestral ; et les plus récents, Kenneth Nathaniel (les Poèmes de septembre, 1967), Emmanuel Juste (Pleine Lune sur les morts, 1970), Raymond Chasle (né en 1930), dont le Corailleur des limbes (1970) utilise les ressources de la typographie à la manière du Coup de dés mallarméen.

Robert Edward Hart

(1891 - Souillac, île Maurice, 1954). Si Robert Edward Hart, malgré son talent et son influence locale, est demeuré relativement peu connu au dehors, il le doit à l’ascèse qui lui a imposé de se replier sur son île après deux voyages en Europe et de n’imprimer ses ouvrages majeurs qu’à 100 ou 150 exemplaires hors commerce. Son hérédité à la fois irlandaise et française le prédisposait autant que la géographie au mélange des cultures. Ses premières Pages mélancoliques, en 1912, procèdent de Leconte de Lisle, et cette veine parnassienne, additionnée de Toulet et de Camo, persiste dans la plupart des recueils, dont il extraira, en 1930, ses Poèmes choisis. Son vers se libère cependant et se teinte de folklore malgache dans Mer indienne (1923). Mais c’est avec le Mémorial de Pierre Flandre (1928) que débute le cycle de poèmes en prose, cinq en tout, échelonnés jusqu’à 1931, d’une rare intensité, où fond et forme se renouvellent en partie sous l’influence du mysticisme hindou (il a traduit la Bhagavad-Gītā), en partie sous celle d’une exploration apparentée à celle du surréalisme.


Littérature d’Afrique noire et de Madagascar

Dans l’immense Afrique noire, le français est une langue seconde, superposée aux idiomes locaux et d’importation généralement récente, mais devenue indispensable comme véhicule des communications avec l’extérieur et facteur d’unité nationale. La littérature a donc pris tout naturellement une double orientation : soit traduire en français l’âme des peuples et leurs traditions demeurées orales, soit participer activement à la construction des sociétés. Elle a commencé par des travaux érudits ; la création artistique n’est venue que plus tard et sert le plus souvent à des fins militantes ; l’art pour l’art n’est guère admis.