Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Franche-Comté (suite)

L’économie contemporaine

La situation actuelle est quelque peu différente : l’agriculture demeure apparemment fidèle à sa vocation, puisque l’élevage accentue sa prédominance, mais l’orientation laitière et fromagère est parfois remise en cause. La restructuration de l’exploitation se poursuit à un rythme plus rapide que dans bien d’autres régions françaises, ce qui se traduit par la dimension moyenne relativement élevée des exploitations familiales.

La région demeure en partie rurale, mais l’activité agricole ne pèse plus guère dans le bilan général. La Franche-Comté vit de l’industrie, mais une bonne partie des ouvriers demeure fidèle au village et préfère accomplir de longs déplacements quotidiens que de s’installer en ville. Les industries qui ont fait la réputation de la Franche-Comté stagnent ou régressent : c’est le cas des fabrications textiles dans les Vosges, de l’horlogerie dans le haut Doubs, de la lapidairerie et du travail du bois dans le haut Jura. Sans la multiplication des mouvements pendulaires vers la Suisse (pour la haute chaîne) et vers Belfort et Sochaux (pour les Vosges comtoises et la région sous-vosgienne), cette évolution se traduirait par des réajustements brutaux dans la répartition de la population.

La croissance industrielle a été rapide, mais elle est due pour l’essentiel à deux secteurs : celui de la mécanique de précision (qui prend le relais des fabrications horlogères, comme on le voit à Besançon) et celui des constructions mécaniques (automobile avec Peugeot dans le pays de Montbéliard et maintenant à Vesoul) et électriques (à Belfort avec l’Alsthom et Bull). L’usine de Sochaux traduit bien la puissance de ce secteur : avec plus de 30 000 ouvriers, elle constitue le plus grand établissement industriel de province. On trouve également des entreprises dynamiques dans le domaine de la chimie (Solvay à Tavaux, près de Dole), de la confection (Weill à Besançon) ou des industries alimentaires (Générale alimentaire à Besançon, Bel à Lons-le-Saunier). Au total, le nombre des emplois a augmenté considérablement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais la qualification moyenne est moins bonne, et la concentration géographique accentue l’accumulation de population sur l’axe Rhin-Saône, de Belfort à Dole.

La région de programme n’est pas ordonnée autour d’une métropole : malgré un développement récent rapide, Besançon ne rayonne pas dans tous les domaines sur l’ensemble de la province. La région urbaine de Belfort-Montbéliard pèse d’un poids supérieur au plan économique et au plan démographique (180 000 hab. contre 130 000). Il y a ainsi un véritable dualisme régional, sensible dans tous les aspects de la vie administrative. Est-ce à dire, comme le prétendent certains, que la Franche-Comté est une région mal structurée et qu’il conviendrait d’en détacher la partie nord-est pour articuler un grand ensemble autour de Mulhouse ou de Bâle ? Certainement pas : rien ne dit que les structures régionales caractérisées par la prédominance d’une métropole seront les plus viables dans l’avenir : une répartition linéaire de centres le long d’un grand axe de circulation peut constituer une forme plus efficace d’aménagement de l’espace : c’est ce qui se passe en Franche-Comté, où toute la vie s’ordonne autour de l’axe Rhin-Saône, dont l’équipement s’est amélioré avec l’électrification des liaisons ferroviaires et progressera encore avec la construction de l’autoroute le suivant.

La Franche-Comté d’aujourd’hui doit une partie de sa cohérence à un sentiment très puissant de solidarité, qui tient à l’histoire et aux réussites économiques qui ont donné à la région une si vive originalité dans ses spécialisations. Ce qui se développe aujourd’hui est sans doute bien moins original : mais le dynamisme récent de l’économie, les efforts pour restructurer la région ou pour améliorer ses centres urbains doivent sans doute beaucoup à l’attachement que les Comtois éprouvent à l’égard de leur petite patrie ; il y a, dans la dynamique actuelle de la croissance, un rôle du sentiment que l’on sous-estime souvent.

P. C.

L’art en Franche-Comté

Trop souvent présentée comme une parente pauvre de la Bourgogne, la Comté doit à son éloignement relatif, comme aux particularités de son histoire, des coupures d’époques et des rythmes, en général archaïsants, qui la distinguent des régions voisines. Elle y gagne un style particulier dans ses monuments, et plus encore dans la physionomie attachante de ses villes.

La province est relativement riche en œuvres du haut Moyen Âge et du premier art roman. Deux grandes abbayes, Luxeuil au nord — fondation des moines irlandais —, Saint-Claude au sud, furent des foyers de culture et d’art, dont la châsse de Saint-Dizier (près de Delle) ou l’évangéliaire de Saint-Lupicin (ixe s., Bibl. nat.) attestent l’importance. Ravagée par les invasions hongroises du xe s., demeurant pauvre et menacée, la Comté reçoit de Suisse l’art « lombard », qu’elle adopte dès le début du xie s. : églises bâties en petit appareil, plus souvent charpentées (Gigny, Baume-les-Moines) qu’entièrement voûtées, avec des piles puissantes, rondes ou carrées et pour seul décor les « bandes lombardes », des murs extérieurs et des clochers (Boussières, etc.). Cet art rude s’implante fortement en Comté, où l’on passe presque sans transition d’un roman archaïque à un gothique présentant les mêmes retards chronologiques. Le premier monument comtois du xiiie s., Saint-Anatoile de Salins, commencé en 1257, est encore « protogothique ». Et des églises monastiques, simples et sévères (Jacobins de Poligny, abbatiale de Luxeuil), maintiennent en plein xive s. le style du xiiie.

Par la suite, la Comté, bénéficiant d’une longue période de paix et de prospérité, connaît sa première floraison d’art. Les monuments religieux qui s’élèvent au xve s. (abbatiale de Montbenoît [1440-1450], etc.) s’enrichissent de décors nouveaux. Pour la statuaire de pierre, ce pays sans tradition sculpturale apparaît comme une simple colonie bourguignonne, avec quelques beaux exemples de pathétique slutérien (Saint-Paul de Baume-les-Messieurs). Mais l’habileté des artisans locaux se manifeste dans les boiseries et les stalles (Saint-Claude, Montbenoît). La voûte d’ogives et le décor flamboyant se maintiennent presque intégralement dans les grandes églises construites au xvie s. (collégiale de Dole) et jusqu’au début du xviie s. (Orgelet, Saint-Amour, etc.), auxquelles des chœurs polygonaux massifs et de puissantes tours carrées donnent une espèce de raideur militaire.