Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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formalisation dans les sciences humaines (suite)

La formalisation proposée par Piaget des stades des opérations concrètes et des opérations formelles entre bien dans cette catégorie. La structure de groupement, qui caractérise le premier de ces stades, indique les coordinations qui existent entre les opérations possibles pour un enfant de ce niveau. Ce n’est pas un modèle qui permet, à lui seul, de prévoir de façon précise le comportement d’un certain sujet dans certaines circonstances, mais il indique les limites de ses possibilités.

La sociométrie, qui étudie la structure des relations entre les membres d’un groupe, fait largement appel à la théorie des graphes, ce qui permet des descriptions systématiques et des comparaisons de groupes divers. Ce type de représentation permet un autre avantage : lorsqu’on réduit un groupe au graphe des relations qui existent entre ses membres, on peut envisager l’ensemble de tous les graphes possibles, ce qui nous donne une nouvelle structure, au second degré, à l’intérieur de laquelle on peut situer le ou les groupes effectivement observés. L’évolution d’un groupe pourra alors se représenter comme un chemin dans ce « graphe des graphes », ce qui permet de rendre compte des aspects dynamiques du phénomène.

Situer ainsi les structures observées dans la structure de l’ensemble des possibles est une démarche de plus en plus utilisée en anthropologie. L’étude des systèmes de parenté, un des points de départ de l’anthropologie structurale, a fait un pas en avant considérable lorsque les différents systèmes décrits par les ethnographes n’ont plus été considérés simplement comme une série de cas juxtaposés, hétérogènes les uns aux autres, mais comme différentes réalisations de l’ensemble des systèmes de parenté possibles, cet ensemble étant construit par combinatoire. C’est cela qui permet de se demander pourquoi ce sont ces systèmes-là qui sont effectivement réalisés, et par là de mieux les comprendre.

Ces quelques exemples de modèles que nous venons de donner sont loin d’épuiser tous les types de formalisation qui sont effectivement pratiqués dans les sciences humaines. Si nous avons pris nos exemples surtout en psychologie, c’est que c’est là qu’on trouve la plus grande variété de modèles. Mais la démarche formalisatrice se retrouve aussi bien en sociologie qu’en anthropologie, et surtout en économie.


Modèles et théories

Nous avons jusqu’ici employé ces deux termes sans les définir, espérant que le contexte rendrait leur signification suffisamment claire. Pour conclure, nous allons essayer de les situer l’un par rapport à l’autre. Notons que, bien qu’ils soient très couramment employés, leur usage n’est pas rigoureusement fixé et varie selon les auteurs, certains allant jusqu’à les considérer comme exactement synonymes.

L’usage le plus fréquent est d’utiliser le terme de modèle* pour la description en langage mathématique d’un phénomène bien déterminé, ou d’une catégorie limitée de phénomènes, réservant le nom de théorie à des constructions plus vastes, plus générales, peut-être moins rigoureuses, mais prétendant à plus de valeur explicative. On oppose ainsi les modèles descriptifs aux théories explicatives ; mais les distinctions qu’on peut faire à ce propos butent presque toujours sur l’impossibilité où on se trouve de préciser ce qu’est une « explication ». En fait, on a souvent fait remarquer que, lorsqu’une théorie est exprimée en termes parfaitement rigoureux, il n’est plus possible de la distinguer d’un modèle, si ce n’est éventuellement par sa plus grande généralité. Mais, actuellement, il n’y a guère de théorie de portée générale qu’on ait été en mesure de formaliser.

Une autre distinction, implicite sous plusieurs usages de ces deux termes, porte sur la croyance dans la réalité des processus décrits. Nous avons vu que, presque toujours, un modèle vise à prédire quelque chose qu’on pourra confronter à des aspects observables de la réalité. Pour cela, on suppose certains mécanismes, qui constituent le modèle lui-même, mais rien ne nous assure que ceux-ci décrivent bien les processus équivalents qu’on cherche à étudier et qu’on ne peut pas observer directement à cette étape de la recherche. Simplement, plus un modèle permet d’effectuer des prévisions exactes, plus on sera fondé à admettre que les mécanismes qu’il décrit sont bien corrects. Néanmoins, on est toujours tenté de faire précéder prudemment l’exposé d’un modèle de la restriction : « Tout se passe comme si... »

Mais lorsque le modèle s’est révélé capable de prédire correctement plusieurs caractéristiques observables différentes, lorsque les principes qui ont guidé sa construction se sont révélés également efficaces dans d’autres conditions ou dans des domaines voisins, alors on commence à croire à la réalité des processus décrits. C’est peut-être à ce moment qu’on pourra parler de théorie.

B. M.

➙ Apprentissage / Automates (théorie des) / Automatique (méthode) / Économétrie / Graphe / Intelligence artificielle / Langage formel / Logique combinatoire / Modèle / Sociométrie / Statistique / Structure.

 G.-G. Granger, Pensée formelle et sciences de l’homme (Aubier, 1960) ; Essai d’une philosophie du style (A. Colin, 1968). / M. Reuchlin, les Méthodes quantitatives en psychologie (P. U. F., 1962). / R. D. Luce, R. R. Bush et E. Galanter (sous la dir. de), Handbook of Mathematical Psychology (New York, 1963-1965 ; 3 vol.). / P. F. Lazarsfeld et N. W. Henry, Readings in Mathematical Social Science (Chicago, 1966). / R. Boudon, l’Analyse mathématique des faits sociaux (Plon, 1967). / H. A. Simon, The Sciences of the Artificial (Cambridge, 1968).

formation professionnelle

Ensemble de mesures et de méthodes destinées à former des travailleurs dans les divers secteurs de la vie économique.


Parmi les problèmes du droit du travail, et, plus généralement, de la vie au travail, la question de la formation professionnelle ne paraît peut-être pas à l’observateur (sociologue ou juriste) au premier abord comme la plus évidente. Chronologiquement, le « droit au travail » (1848), le salaire minimal, des conditions de sécurité et d’hygiène acceptables sont apparus comme des données plus contraignantes, sinon plus urgentes, de la vie des travailleurs. La formation professionnelle, que le siècle dernier, à dire vrai, malgré le développement déjà important des besoins en travailleurs spécialisés, ne connaît que sous la forme du contrat d’apprentissage réglementé par une loi de 1851, semble l’une des dernières conquêtes de la législation sociale : elle n’en paraît pas moins comme une étape capitale dans le mouvement de promotion du monde du travail contemporain.