Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fermi (Enrico) (suite)

Les dernières années

Après la capitulation japonaise, Fermi désire abandonner ce genre d’activité et, en 1946, il retourne à Chicago, comme professeur à l’Institut de physique nucléaire. Il y étudie la diffraction des neutrons par les cristaux, ainsi que les interactions entre particules élémentaires. Il s’intéresse aussi à l’origine du rayonnement cosmique. C’est pour lui une occasion de retourner fréquemment en Europe et de satisfaire à sa passion de l’alpinisme.

Mais Fermi ne verra pas les expériences qui auraient pu confirmer sa théorie. Comme beaucoup de savants qui ont de trop près côtoyé l’atome, il meurt d’un cancer au mois de novembre 1954.

Lorsque fonctionna à Chicago le premier réacteur nucléaire, Arthur Holly Compton (1872-1962), qui dirigeait l’équipe des chercheurs, téléphona au président Roosevelt ce message sibyllin : « Le navigateur italien a pris pied dans le Nouveau Monde. » Émule de Christophe Colomb, Enrico Fermi avait en effet traversé l’Atlantique pour explorer le monde de l’atome.

R. T.

 L. Fermi, Atomes en famille (Gallimard, 1959). / P. de Latil, Enrico Fermi (Seghers, 1964).

fermiers généraux

Traitants sous l’Ancien Régime.


Pour percevoir les impôts indirects, comme les traites (taxes de circulation à l’importation et à l’exportation), la gabelle du sel ou les aides (taxes sur les denrées de consommation et les ventes de marchandises), la royauté française n’a pas recours à des fonctionnaires, mais à des personnes privées : les fermiers généraux. Ces financiers se groupent en « partis » pour passer avec le roi un « traité » ; ils prennent en adjudication (bail à ferme) le droit de perception. Puis ils se remboursent, et largement, sur les contribuables.

Pour éviter les malversations et disposer plus rapidement d’une masse d’argent frais, la monarchie a, depuis Louis XIV, commencé à concentrer les fermes entre les mains de quelques traitants. En 1726, l’évolution aboutit à la constitution d’une ferme générale des impôts indirects. Elle est contrôlée par 40, puis par 60 fermiers. Cette ferme a des droits régaliens que lui abandonne le roi ; elle dispose d’une multitude d’employés, plus de 30 000 à travers la France. Ceux qui sont assermentés ont le droit de perquisitionner chez les particuliers, sur les vaisseaux du roi et sur ceux des armateurs ; les bateaux sur les fleuves sont l’objet de telles visites. Ainsi, sans la permission des juges de Sa majesté, des sujets peuvent être emprisonnés. Tout homme qui se rebelle contre les employés assermentés est considéré comme résistant au roi.

Les fermiers généraux brassent des capitaux importants : en 1774, les baux de la ferme atteignent 152 millions de livres. Leur fortune, dans une société peu habituée au drainage massif de l’argent, frappe l’imagination populaire et attire la haine des humbles qu’ils pressurent. Ainsi Jacques Matthieu Augeard a des recettes qui atteignent 489 263 livres dans un temps où un compagnon n’a guère plus de 50 sous par jour.

La fortune personnelle des fermiers généraux ne suffit pas à rassembler les sommes nécessaires aux baux de la ferme. Ces traitants utilisent un réseau de prêteurs à travers la France : ils distribuent ainsi des « croupes », ou parts d’intérêt dans leur entreprise. Comme plusieurs milliers de ses sujets, Louis XV fut ainsi « croupier ». Les bénéfices de l’entreprise servant à l’achat notamment d’emprunts d’État, la monarchie s’endette auprès de ceux qui s’enrichissent à ses dépens.

Mais la ferme générale, qui fournit près de la moitié des impôts royaux, semble indispensable. Attaquée par des banquiers comme Necker ou par les encyclopédistes comme Diderot, qui place pourtant son argent chez elle, la ferme évitera la régie directe. Elle n’en forme pas moins un groupe de pression important de l’Ancien Régime : à la veille de la Révolution, elle aidera Calonne à devenir ministre. Elle dispose, durant tout le xviiie s., d’appuis à la Cour. Ce sont les maîtresses du roi, telle la marquise de Pompadour, ou les contrôleurs généraux des finances qui reçoivent d’elle des pots-de-vin officiels. Ce sont enfin les courtisans qui bénéficient de croupes et que la ferme conseille dans leurs placements.

Les liens avec la noblesse sont d’ailleurs multiples. Si les fermiers généraux sortent de la roture, ces fils de manieurs d’argent ou de marchands forment un groupe social ouvert qui permet l’élévation vers la noblesse. Les mariages entre nobles et filles de fermiers sont fréquents au xviiie s. Ainsi, un Joseph de Laborde marie ses filles avec des fils de ducs. Quant aux fils de fermiers, nombreux sont ceux qui abandonnent les affaires paternelles pour entrer dans la magistrature ou dans l’armée, qui les anoblissent.

Participant à la mentalité noble qui fait du faste une vertu, ils utilisent les talents des artistes de leur temps à orner le cadre de leur vie quotidienne. Plusieurs villes de France, comme Paris, Versailles, Reims, Nancy ou Bordeaux, leur doivent la construction de pavillons d’octroi et d’hôtels par des architectes de la valeur d’un Gabriel. Parfois même, des quartiers entiers ont été bâtis par eux ; ainsi, à Nantes, par le receveur Graslin. La ferme projeta même la construction d’une ville qui devait entourer une manufacture de sel dans la forêt de Chaux ; seuls quelques bâtiments industriels furent élevés.

En mars 1791, l’Assemblée constituante supprima la ferme générale. Le 24 novembre 1793, la plupart des fermiers furent arrêtés, accusés d’avoir attenté à la santé des consommateurs en mêlant un septième d’eau dans le tabac râpé dont ils avaient le monopole. On leur reprochait, en outre, d’avoir retenu des fonds au lieu de les verser au Trésor. Le 19 floréal an II (8 mai 1794), ils furent condamnés à mort et exécutés. Parmi eux, le chimiste Lavoisier*. Ceux qui échappèrent à la guillotine émigrèrent avec leur famille. On retrouve leurs fils dans le personnel de Napoléon. Ainsi Adrien Godard d’Aucour, qui fut préfet de la Nièvre, conseiller d’État et baron d’Empire.

J.-P. B.

 Y. Durand, les Fermiers généraux au xviiie siècle (P. U. F., 1971).