Farazdaq (al-) (suite)
À sa mort à Bassora, vers 730, al-Farazdaq laissait une œuvre considérable, peut-être déjà fixée partiellement pour ce qui concerne les odes d’apparat, mais plus généralement confiée à la seule mémoire d’amis, de parents et de « rapporteurs », ou rāwī pour ce qui touche la plus grande partie de ses compositions. De cette masse subsistent seulement quelque sept mille six cents vers, ce qui constitue l’ensemble le plus important mis sous le nom d’un poète d’époque archaïque. Réunie en un dīwān par des « logographes » de Bassora et de Kūfa au cours du ixe s., cette œuvre constitue plus ou moins consciemment, aux yeux des érudits iraniens du temps, un des spécimens les plus typiques de la poésie des nomades d’Arabie orientale sous la dynastie omeyyade. La figure même d’al-Farazdaq, dans ces milieux, demeure contrastée ; l’homme est certes un paillard, un panégyriste vénal allant dans le sens du vent et des gloires ascendantes, mais il est aussi à l’occasion un père bouleversé par la perte de ses deux fils et un amant capable de passion véritable, comme le montre son attachement à sa femme Nawar. À Bassora, dans les cercles érudits, l’intérêt se porte plus naturellement sur le poète. Le trio al-Farazdaq, Djarīr et al-Akhṭal (v. 640 - v. 709) fournit un thème où convergent les traits anecdotiques et les jugements de valeur sur les mérites de chacun des personnages ; parfois, dans cette littérature, on voit apparaître al-Farazdaq comme l’arbitre du bon goût en poésie.
Par-delà cette imagerie, l’œuvre d’al-Farazdaq est à l’évidence pour nous une des plus caractéristiques de la poésie archaïque. En elle se découvrent en effet à nos yeux toutes les permanences de la bédouinité, les attaches profondes à la société tribale, la superficialité de l’imprégnation de l’islām sur le poète nomade, l’aisance avec laquelle le chantre tribal sait s’élever au rang de panégyriste dynastique sans pour autant rompre avec son ancestralité. L’œuvre aussi témoigne à tout moment de ces permanences. L’instrument poétique, les mètres — il y en a six de vraiment usuels chez al-Farazdaq — appartiennent à la plus authentique « école » du Désert ; les deux cadres, à savoir le thrène et la qaṣīda, s’offrent chez lui en leur forme réelle et non en celle que des théoriciens iraqiens s’efforceront d’imposer au ixe s. ; la qaṣīda, par exemple, est très souvent, chez ce poète archaïque, dépouillée de son prologue élégiaque et réduite ainsi à deux mouvements. Est-il besoin de dire quelle place occupent dans cette œuvre le genre laudatif et son antithèse, la satire ? Comme chez ses prédécesseurs du Désert, al-Farazdaq se complaît dans le fakhr, où s’exaltent sa jactance et son invention verbale, sa truculence dans l’épigramme.
L’œuvre d’al-Farazdaq — comme celle de Djarīr et d’al-Akhṭal — est donc d’une valeur inestimable pour qui recherche l’évolution des formes et des genres dans la poésie arabe à l’époque archaïque. Grâce à elle nous saisissons cette poésie dans la plénitude de ses réussites. Par elle aussi nous éprouvons ses insuffisances et mesurons sa pauvreté devant les appels qui retentissent en Iraq et dont Bachchār* est le porteur.
R. B.
J. Hell, Das Leben des Farazdak nach seinen Gedichten und sein Loblied auf Al-Walîd ibn Jazîd (Leipzig, 1903). / R. Blachère, Histoire de la littérature arabe (A. Maisonneuve, 1952-1966 ; 3 vol.).