Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

expressionnisme (suite)

L’expressionnisme flamand (1920-1930)

À Bruxelles, après la guerre, la revue et la galerie Sélection patronnèrent l’« expressionnisme flamand » (ainsi nommé par analogie avec l’Allemagne) ; la première exposition (août 1920) rendait hommage au cubisme et à l’école de Paris, dans le sens large du terme (Picasso, Modigliani...), auxquels le nouveau mouvement devait beaucoup. Permeke en devenait le chef de file. L’expressionnisme flamand, que n’entachait point (sauf chez Van den Berghe dès 1925-26) l’érotisme obsessionnel, le sentiment foncier d’angoisse et d’oppression de son homonyme germanique, fut plutôt un réalisme expressif dont les moyens sont judicieusement calculés pour célébrer les mérites d’une terre et de ses habitants : Permeke, avec un souffle épique qu’aucun de ses compagnons n’égale, les pêcheurs, les paysans, les aspects de la mer et des saisons ; De Smet et Van den Berghe au début, mais avec plus d’ironie, les bonheurs paisibles d’une province demeurée rustique (De Smet : l’Été, 1926, Courtrai, coll. Herbert) ; Edgard Tytgat (1879-1957), les images naïves d’une collectivité surprise dans son loisir (Dimanche matin à la campagne, 1928, Bruxelles, coll. part.) ; Jean Brusselmans (1884-1953), la permanence du paysage brabançon. À ces peintres, il faut joindre les sculpteurs Oscar Jespers (1887-1970) et Jozef Cantré (1890-1957), très marqués par Ossip Zadkine (1890-1967), et le graveur sur bois Frans Masereel (1889-1972), proche de la « Nouvelle Objectivité » allemande.

Après 1930, la saturation du marché d’art et le retour offensif d’un réalisme n’admettant guère de transposition sont causes du déclin de l’expressionnisme, dont seul Permeke continue à enrichir le domaine. En marge du mouvement, Servaes créa entre 1919 et 1922 une série d’œuvres religieuses qui renouvelaient l’expression moderne de l’« art sacré », comme Rouault en France et Nolde en Allemagne l’avaient fait, et dont les formes exsangues, dégagées d’un réseau graphique enchevêtré, firent scandale (Chemin de croix dessiné et peint ; Pietà, musées de Bruxelles).


La Hollande

La Hollande développa un art plus dispersé que celui des Flamands, malgré l’impulsion initiale donnée par la diffusion de l’œuvre de Van Gogh ; pendant la guerre, Le Fauconnier fut l’animateur de l’école de Bergen, dont Sluyters, Leo Gestel (1881-1941) et Charley Toorop (1891-1956) furent les membres les plus importants. En 1918, à Groningue, H. N. Werkman (1892-1945) et Jan Wiegers (1893-1959) fondèrent le groupe « De Ploeg » (la Charrue) ; tandis que Werkman évoluait vers une figuration très dépouillée, presque abstraite, Wiegers, lié avec Kirchner, s’orienta vers un expressionnisme proche de celui de Die Brücke (Paysage aux arbres rouges, Amsterdam, Stedelijk Museum). Si Herman Kruyder (1881-1935) s’est dégagé de l’influence des Flamands et a laissé place à l’imaginaire dans son inspiration, Hendrik Chabot (1894-1949) a sauvegardé sa personnalité tout en interprétant des sujets voisins de ceux de Permeke (le Maraîcher, 1935, musée de La Haye).


Mexique et Brésil

À la cohésion du groupe flamand correspond seulement, au cours de la même période, celle des Mexicains Diego Rivera (1886-1957), J. D. A. Siqueiros (1896-1974), Rufino Tamayo (né en 1899) et J. C. Orozco (1883-1949), des Brésiliens Cândido Portinari (1903-1962) et Lasar Segall (1885-1957). S’ils se réfèrent, comme les Flamands, à leur terroir traditionnel (en exaltant leurs origines indiennes), ils y ajoutent une dimension révolutionnaire et sociale qui les a conduits à être davantage décorateurs (grandes fresques murales) que peintres de chevalet.

Dans les mieux venues de leurs toiles, ils évoquent, sans l’égaler par la qualité picturale, le lyrisme de Permeke, Rivera en particulier (la Broyeuse, 1926, Mexico, coll. part.). Les cycles de décorations murales, que Rivera inaugure en 1921 à l’École nationale préparatoire de Mexico, ont eu le mérite de remettre en honneur la peinture monumentale ; mais, malgré l’intérêt du dessein et l’évidente dignité des thèmes (lutte du prolétariat, glorification du travail humain), le réalisme emphatique du style nuit à l’efficacité de ces réalisations (Rivera : École nationale d’agriculture de Chapingo, 1927 ; Orozco : université de Guadalajara, 1936-1939). Tamayo, plus jeune, évita l’emprise d’un folklore qui paraissait impliquer une certaine soumission à la vision conventionnelle, et l’influence de Picasso fut, chez lui, libératrice. Au Brésil, Portinari développa un expressionnisme analogue, où la tension acérée du dessin, la stylisation violente des formes sont informées, là encore, de Picasso (l’Enterrement dans le hamac, 1944, musée de São Paulo).


L’expressionnisme en France et l’école de Paris

L’expressionnisme proprement dit répugne au génie français ; Rouault est une exception. Mais l’école de Paris fut le creuset d’un expressionnisme illustré surtout par des peintres et des sculpteurs d’origine israélite, sans qu’un style collectif ait été élaboré.

Marc Chagall* exerça une certaine séduction sur Der Blaue Reiter et notamment sur Campendonk. Mais il dépassa rapidement l’expressionnisme dû à ses premiers contacts parisiens (avec le fauvisme : le Père, 1911, Paris, coll. part.) ou inhérent à certains motifs (le Rabbin vert, Genève, coll. part.) au profit d’une poétique qui traite avec une grande désinvolture les rapports logiques. Exposé en Belgique, ainsi que Chagall, au lendemain de la guerre, Amedeo Modigliani* retint l’attention de Permeke lui-même par ses dessins ; mais on parlerait mieux du « maniérisme expressif » de Modigliani, tant chez lui le style, avec ses licences, canalise l’émotion, exception faite pour quelques portraits d’une verve inattendue, celui de Diego Rivera par exemple (1914-15, musée de São Paulo). La vie et la mort de Julius Pascin parent d’une aura singulière une œuvre demeurée fidèle à une réalité sans doute trouble — celle des maisons closes —, mais peu transposée sur le plan de l’art. Parmi ces peintres, seul Chaïm Soutine*, du début à la fin de sa carrière, est un expressionniste pur ; sans cesse en conflit avec lui-même pour ordonner le chaos de ses visions pathétiques, il frôle l’échec total ou atteint au chef-d’œuvre (la Femme en rouge, 1922, New York, coll. part.).