Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

exotisme

Vers 1850, le Dictionnaire de la conversation et de la lecture définissait le mot exotique de la manière suivante : « Ce mot, particulièrement consacré à l’histoire naturelle, est l’opposé d’indigène, et s’applique à toute production étrangère au pays où on l’emploie : ainsi, la plupart des plantes cultivées dans les serres des jardins botaniques, telles que les cierges, les palmiers, etc., sont des productions exotiques, c’est-à-dire apportées de climats plus ou moins éloignés. »


Vingt ans plus tard, Littré était plus laconique encore et ignorait le terme exotisme. Il s’agit donc d’un phénomène dont on a pris conscience à une date relativement tardive. Il a pourtant des origines anciennes. Certes, la mentalité grecque considérait tout ce qui était extérieur à la communauté culturelle comme barbare et inintéressant. On constate cependant dans les récits de voyage — et, à commencer, dans l’Odyssée — une curiosité incontestable pour les terres lointaines, leurs produits et leurs coutumes. Rome, qui est en situation d’héritière culturelle de la Grèce, est plus sensible encore au charme de ce qui vient d’ailleurs. On y constate le développement d’un véritable exotisme hellénique qui affecte la décoration, le vêtement, la manière de vivre, la langue et même la littérature. En outre, ce que nous appelons le Proche-Orient — de la Thessalie à l’Égypte — exerce dès cette époque sur les esprits une sorte de fascination qui le peuple de sages, de devins, de magiciens et d’inventeurs de religions nouvelles. La propagation du christianisme a certainement dû beaucoup à ce qu’on pourrait appeler plaisamment un « ésotérisme exotique ».

L’écroulement de l’Empire romain et les invasions ont pour plusieurs siècles fait disparaître le goût de l’exotisme, mode de civilisations prospères et lasses de leur propre quotidienneté. Vers la fin du Moyen Âge, on le voit cependant réapparaître, en général comme une utilisation de thèmes ornementaux empruntés à l’art byzantin, arabe ou persan. Mais, du point de vue littéraire, un texte du début du xive s., tel que le Livre de Marco Polo, relatant un voyage et un long séjour en Chine, est plutôt perçu soit comme un ensemble d’observations pratiques intéressant les découvreurs — marchands ou missionnaires —, soit comme une somme de fictions fantastiques destinées à flatter l’imagination. C’est si vrai que le livre de voyages parfaitement apocryphe rédigé quelque soixante-quinze ans plus tard par Jean de Bourgogne sous le pseudonyme de sir John Mandeville fut confondu dans le goût public avec le témoignage largement authentique de Marco Polo.

Les débuts de la découverte du Nouveau Monde ne se sont guère teintés d’exotisme. Poussés par des motivations pratiques, les découvreurs avaient plutôt tendance à projeter sur les civilisations inconnues qui leur étaient révélées des calques de leur propre civilisation, c’est-à-dire de la civilisation chrétienne occidentale, conçue jusque-là comme universelle et immuable.

Cette découverte fut pourtant le signal de ce que Paul Hazard appelle la « crise de la conscience européenne », dont le principal ressort fut le choc culturel provoqué par la double rencontre du devenir et de la différence. Le sens de l’exotisme est le corollaire du sens de l’histoire. Il apparaît chez Montaigne sous sa forme philosophique dans le chapitre des cannibales (Essais, I, 31).

Pourtant, ce ne fut pas l’Amérique qui inspira les premières manifestations de l’exotisme littéraire, mais bien plutôt l’Orient, et en particulier le Proche-Orient, avec lequel existaient déjà de nombreuses relations culturelles et commerciales. C’est dès le xviie s. que se développe la turquerie, dont le ballet du Bourgeois gentilhomme (1670) est un des plus célèbres exemples. Relève aussi de l’exotisme l’utilisation satirique de la sagesse orientale comme dans les Lettres persanes de Montesquieu et les contes de Voltaire. À la recherche de couleurs nouvelles, qu’il puise d’ailleurs également dans le Moyen Âge et dans les coutumes nationales, le xviiie s. trouvera un merveilleux aliment dans les traductions de textes orientaux et notamment dans celle des Mille et Une Nuits, connues dès 1704 grâce à l’adaptation d’Antoine Galland.

La multiplication des voyages soit au Maghreb, soit en Orient, auxquels s’ajoutera à la fin du siècle la découverte de l’Égypte, à l’occasion des guerres de la Révolution, en arrive à susciter un genre bien particulier, celui de l’« orientale ». Ce genre, souvent lié d’ailleurs au goût de l’ésotérisme, se développe en Angleterre, en Allemagne, en France bien avant le romantisme, et le texte le plus représentatif en est le Vathek (1782) de William Beckford, fable fantastique et philosophique dans un décor des Mille et Une Nuits. Mais c’est évidemment le romantisme qui fera le plus grand usage du décor oriental, notamment sous l’influence de lord Byron, à qui Mme de Staël donnait en 1813 le conseil avisé : « Stick to the East ! », c’est-à-dire « Accrochez-vous à l’Orient ! »

L’Extrême-Orient fait aussi partie de l’exotisme du xviii s., qui est épris de « chinoiseries ». Mais ses manifestations sont moins littéraires que plastiques. On situe volontiers en Chine l’utopie et la sagesse philosophique, et les Jésuites font connaître la pensée de Confucius, mais c’est surtout la soie, la porcelaine, le laque qu’on apprécie, qu’on collectionne et qu’on imite. La Chine est partout, dans l’ornement, dans la peinture, dans la mode, dans l’architecture, dans le jardinage d’art. Suivant la route du thé et passant par l’Angleterre, elle pénètre l’Europe, notamment grâce à la Compagnie des Indes orientales.

Les navigations ouvrent des horizons plus lointains encore. Depuis qu’à la fin du xvie s. Richard Hakluyt a compilé des récits de navigateurs anglais, l’imagination littéraire n’a cessé de puiser dans ce fonds, et en particulier Daniel Defoe pour écrire son Robinson Crusoé (1719), père de la longue lignée de la robinsonnade. Swift s’en est servi pour introduire les inventions délirantes des Voyages de Gulliver (1726). Mais ce sont d’authentiques voyages qui inspirent Diderot pour décrire en 1772, dans le Supplément au Voyage de Bougainville (publié en 1796), le paradis des mers du Sud. Vers la fin du siècle, c’est là que Bernardin de Saint-Pierre, avant Chateaubriand, situe l’Eden de Paul et Virginie (1787). Dans ces terres lointaines et neuves se situe indistinctement la patrie du bon sauvage aux mœurs pures et aux institutions vertueuses.