Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

étymologie (suite)

Il est facile pour n’importe qui de constater que, d’une génération à l’autre, les sons qui forment un mot ne sont pas prononcés tout à fait de la même manière, de même que, d’une région à l’autre, les mêmes mots peuvent être prononcés de manière assez différente. Certaines évolutions se sont produites à une époque assez récente pour qu’on en trouve des traces dans les textes ou dans certains témoignages. Ainsi, nous savons que, jusqu’au xviie s., ce que nous écrivons fille s’est prononcé avec une sorte de l dit « l mouillé » analogue à celui de l’italien figlia. À partir du xviie s., à la place de « l mouillé », d’abord dans le peuple parisien, on a prononcé le même son que ce qu’on écrit y dans yeux. De même, en partant de certaines similitudes ou de certains faits historiques, on a pu émettre l’hypothèse qu’une partie des mots de certaines langues (dites dès lors « indo-européennes »), comme le latin, le grec, le vieux germanique, le vieux slave, etc., provenaient d’évolutions divergentes, se produisant de génération en génération et presque imperceptibles sur-le-champ. La découverte du sanskrit permit d’établir plus facilement les correspondances. On a même pensé un certain temps, à tort, que les langues indo-européennes venaient du sanskrit lui-même. En réalité, la forme unique d’où pouvaient dériver ces formes divergentes est purement hypothétique.

De la même manière, on posait en principe que des formes actuelles du français, de l’italien, de l’espagnol, du portugais, du roumain et des dialectes qui leur sont rattachés venaient de mots latins, généralement attestés à l’époque classique ou sinon des formes que ces mots avaient pu prendre sous le Bas-Empire.


Étymologie et évolution phonétique

Dans un premier temps, on est conduit à rendre compte de l’évolution de la forme qu’on a posée comme étymon ou source de la dérivation. On édicté ainsi un certain nombre de lois phonétiques (v. phonétique). Ainsi, pour le radical indo-européen posé comme origine commune du grec hepo- et du latin sequo-, on établit une unité hypothétique *sekwo- (l’astérisque indique dans ce cas-là le caractère hypothétique de la forme) ; on constate assez souvent que s- peut s’affaiblir en une simple aspiration et que kw, dans certaines positions, peut se transformer en p, alors que les évolutions inverses sont difficiles à admettre. De même, l’italien studio et le français étude seront rattachés au latin studium ; on établira des faits communs aux deux langues (disparition de -m final), des points sur lesquels seul le français change (s remplacé en apparence par é, alors qu’en réalité on est passé par un stade es-, prononciation comme la lettre française u de ce qui se prononçait comme les lettres françaises ou, disparition de -i-) et des évolutions en apparence divergentes (à la fin du mot, ce qui en latin s’écrivait u et se prononçait comme le français ou donne e, qui ne se prononce plus que dans certaines conditions, dans une langue et -o- dans l’autre). L’étymologie s’appuie ainsi sur la phonétique historique.


L’étymon, les dictionnaires étymologiques

L’étymon peut être soit une base ou un mot existant dans la langue, soit un mot ou une base existant dans une autre langue : dans le premier cas, on a par exemple bord, étymon de aborder ; dans le second, le latin lingua, étymon de linguiste (innovation lexicale à partir d’un mot existant en latin), ou ratio donnant raison (par évolution phonétique). L’étymon peut aussi être une forme posée à titre d’hypothèse pour expliquer les formes qu’on rencontre dans différentes langues à diverses époques. Selon une terminologie rigoureuse, on distingue la racine, sorte de formule qui permet de rendre compte d’une série de formes de même famille, et le radical, forme que prend la racine dans un mot donné et à partir de laquelle, par addition d’affixes (préfixes, infixes, suffixes), on obtient un certain nombre de mots. Ainsi la racine indo-européenne t(e/o)lə apparaît en latin dans le radical tol- de tollo, « enlever », dans le parfait de « porter » tuli, dans le participe passé latus venant de tlatus, en grec dans tlētos.

L’étymologie ne peut, évidemment, se contenter de recherches formelles, comme on l’a cru un certain temps. L’étymon peut avoir un tout autre sens que la forme dérivée. Ainsi, il ne suffit pas de montrer comment on est passé du latin testa (boîte crânienne ou cruche) à tête par l’ancien et moyen français teste. Encore faut-il expliquer l’évolution du sens et, par conséquent, à chaque époque, rendre compte des rapports de sens entre d’une part caput « tête » en latin, qui donne chef, et d’autre part testa. De même, la disparition de l’ancien verbe ouir s’explique autant par les rapports qu’il entretenait avec entendre et écouter que par des raisons purement phonétiques.

Les dictionnaires étymologiques ont pour objet de rendre compte de tous ces rapports et de toutes ces évolutions. Groupant généralement les mots par racine ou par chefs de famille, ils font appel à des documents, surtout écrits, pour fournir le plus d’indications possible sur les formes et les sens de manière à trouver les chaînons manquants.


Étymologie populaire
Étymologie structurale

On tend, aujourd’hui, à prendre en considération ce qu’on méprisait jadis comme « fausse étymologie » et qu’on appelle plutôt étymologie populaire. On constate, par exemple, que nombre de gens donnent à forcené (venant de fors sené, « hors du bon sens ») force comme étymologie ; dans ce cas, l’orthographe a même consacré cela. On estime que la relation établie à une époque donnée par les sujets parlants entre deux mots qui ne sont pas génétiquement parents est très importante pour les rapports que ces mots entretiennent entre eux et avec d’autres (champs sémantiques).

Ces considérations sous-tendent des recherches, comme celles de P. Guiraud, qui conduisent à remettre partiellement en cause le caractère arbitraire du signe linguistique, affirmé par F. de Saussure. Sans pour cela revenir à la théorie onomatopéique, on admet qu’il peut y avoir des constantes entre certains groupements purement formels de mots et certains invariants de sens. Ainsi, les mots à radical chik-chok, pik-pok, tik-tok, crik-crok se retrouvent dans des familles sémantiques comportant l’idée commune de « coup », quelle que soit la nature du coup. L’alternance i/o correspond à l’idée d’un coup aigu, d’une piqûre opposée à celle d’un coup contondant : chiquer et choquer, piquer et poquer, tiquer et toquer. Cette famille existant, toutes les unités nouvelles, quelle que soit leur origine, qui auront cette composition formelle se verront attirées, pour le sens, vers cette famille.

J.-B. M.