Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Espagne (suite)

La vie économique


Des structures économiques et sociales paralysantes

De sa longue stagnation économique, l’Espagne a hérité des structures peu adaptées aux nécessités du développement.


Les structures agraires

Jusqu’à une date récente, l’Espagne est restée un pays agricole, et, encore aujourd’hui, près de 30 p. 100 de sa population active est employée dans l’agriculture ; mais cette branche d’activité n’assure que 13 p. 100 du revenu national. Cette situation paradoxale résulte de la structure agraire, que caractérise la prédominance de deux types de propriétés : les latifundia et les minifundia. Tandis que 52,2 p. 100 des propriétaires possèdent moins d’un hectare de terre et se partagent 4,23 p. 100 du sol, 1,7 p. 100 détient 62,25 p. 100 de la superficie totale. Le régime du faire-valoir direct prédominant largement (75,7 p. 100), cette structure de la propriété se reflète dans celle des exploitations. D’après le recensement agraire de 1962, sur 2 850 495 exploitations couvrant 43 890 967 ha, 1 838 700 (64,5 p. 100) ont moins de 5 ha et totalisent 3 436 065 ha (7,8 p. 100), alors que 52 200 de plus de 100 ha (1,8 p. 100) se partagent 23 160 500 ha (52,8 p. 100).

Dans l’ensemble, la petite exploitation domine dans le nord du pays. Le morcellement est extrême dans la Galice et les provinces cantabriques, où, de plus, les exploitations sont divisées en un grand nombre de parcelles. La petite exploitation est aussi dominante dans le Levant et le sud de la Catalogne. La superficie moyenne un peu plus élevée des exploitations de Vieille-Castille et du bassin de l’Èbre, grâce à l’adjonction de terres louées à la propriété familiale, ne doit pas faire illusion puisque, dans ces terres sèches, les jachères rendent improductive une part notable du sol. Les latifundia dominent, au contraire, au sud du Tage, particulièrement en Estrémadure, dans la Manche et en Andalousie, où les exploitations regroupent un petit nombre de parcelles de grandes dimensions ; mais la grande propriété voisine aussi avec la petite exploitation dans les Castilles.

Cette opposition de la structure agraire entre le Nord et le Sud trouve ses origines dans les modalités de la Reconquista. Jusqu’au xiiie s., elle se fit lentement ; la forte pression démographique des montagnes cantabriques, où s’étaient réfugiés les chrétiens, assurait des effectifs nombreux de petits paysans pour coloniser les terres reconquises. Après la victoire de las Navas de Tolosa (1212), la Reconquista s’accéléra, et l’on se trouva à la tête d’immenses territoires dépeuplés, alors que les réservoirs de population étaient taris. La Couronne fit don de grands domaines aux ordres militaires, aux dignitaires et aux communautés villageoises. Ces vastes étendues incultes furent livrées à un élevage extensif exigeant peu de main-d’œuvre. L’espace était suffisant pour accueillir en hiver des troupeaux transhumants du Nord ; regroupés en une puissante association qui obtint l’appui du roi, la Mesta, les éleveurs imposèrent des siècles durant l’interdiction de clore et de défricher les terres de parcours que les grands propriétaires et les conseils communaux mettaient en défens (dehesas) à leur profit. Les petits paysans se virent cantonnés aux abords des villages dans une situation précaire.

La grande propriété fut encore renforcée au xixe s. lorsque l’État, dans le dessein d’éponger la dette publique, confisqua tous les biens amortis et les mit en vente. Seuls les propriétaires assez riches purent racheter ces terres et se constituèrent à bon marché de grandes exploitations, tandis que les petits paysans perdaient l’usage des communaux. La structure capitaliste succédait à la structure féodale en même temps que s’accusaient les contrastes sociaux.

Tant les minifundia que les latifundia sont un obstacle à la modernisation des campagnes. Les premiers sont le plus souvent au-dessous du seuil de rentabilité et ne laissent aucun capital disponible pour investir ; de plus, leur morcellement en parcelles minuscules y rend la mécanisation difficile ; enfin, le faible bagage intellectuel et technique des petits paysans n’encourage guère les innovations. Les latifundia souffrent de l’absentéisme de leurs propriétaires ; ceux-ci confient la gestion du domaine à des administrateurs et se contentent de toucher les revenus, avec lesquels ils vivent suffisamment à l’aise pour qu’ils n’envisagent pas d’intensifier l’exploitation. Quand bien même ils voudraient le faire, le capital à investir dans d’aussi vastes propriétés dépasse largement leurs possibilités.


Les structures industrielles

Les entreprises industrielles espagnoles sont dans l’ensemble étonnamment petites : une étude de 1961 révèle que 80 p. 100 d’entre elles emploient moins de dix ouvriers, le nombre moyen de salariés par entreprise étant de 11. De plus, un certain nombre de grandes entreprises de plus de 500 ouvriers ne sont en fait qu’un agrégat d’ateliers concourant à la fabrication d’un produit commun. Les entreprises moyennes (50 à 500 ouvriers) sont particulièrement peu nombreuses. Il est évident que, dans des établissements industriels de cette taille, la capitalisation reste faible. Aussi l’équipement est-il souvent vétusté. Comme, par ailleurs, les méthodes d’organisation du travail sont peu rationalisées, la productivité est basse, les prix de fabrication peu compétitifs et la capacité de production limitée.

À l’extrême dispersion des entreprises s’oppose la forte concentration capitaliste. Certains secteurs comme la métallurgie du zinc, les fertilisants potassiques et phosphatés ou le pétrole sont de véritables monopoles ; pour d’autres, comme la sidérurgie, le ciment ou le sucre, le degré de concentration dépasse 70 p. 100. En particulier, les six grandes banques privées (Espagnole de Crédit, Hispano-américaine, Centrale, Bilbao, Biscaye et Urquijo) contrôlent tous les secteurs clés de l’économie. Cependant, à l’échelle mondiale, cette concentration reste très modeste.