Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

électricité (suite)

L’existence de monopoles de fait au niveau de la distribution a souvent conduit les États libéraux à intervenir directement dans le domaine de la production et de la répartition de l’énergie électrique : au minimum, un contrôle est exercé sur les prix ; parfois, l’État ou des organismes publics prennent en charge une partie de l’équipement ; la puissance publique va jusqu’à nationaliser l’ensemble du secteur. C’est dans ce cas que les pratiques de discrimination peuvent se développer au maximum, comme le montre l’exemple français.

Le souci de protéger le consommateur, celui de pratiquer une politique volontaire d’aménagement de l’espace ne sont pas les seuls motifs qui expliquent les interventions publiques ou les nationalisations dans ce domaine. La croissance rapide de la consommation nécessite des investissements si considérables que les marchés financiers sont incapables d’y faire face dans bien des cas ; l’intervention de l’État est motivée par le souci de permettre un accroissement satisfaisant des capacités. Dans la mesure où l’électricité peut provenir de plusieurs sources, l’économie de l’ensemble de la nation se trouve engagée par les choix effectués. Les installations hydro-électriques ont l’avantage d’utiliser des ressources renouvelables et d’origine nationale, mais elles nécessitent des investissements plus lourds. Les centrales thermiques reviennent moins cher, mais, très souvent, leur fonctionnement suppose l’importation de combustibles (et, dans tous les cas, leur consommation). Enfin, dans le domaine de l’énergie nucléaire, les dépenses de recherche et de développement sont si lourdes qu’elles ne seraient pas possibles sans intervention de la puissance publique, sans liaison aussi entre les programmes d’armement et les impératifs de l’équipement économique.

La production d’électricité à partir de l’énergie hydraulique est particulièrement intéressante dans certaines zones : climats équatoriaux, par suite de l’importance de l’écoulement et de sa régularité ; régions montagneuses, par suite de la multiplicité des sites de chute et parfois ou temporairement de l’importance des débits ; vieilles plates-formes marquées par la glaciation (Canada, Scandinavie par exemple). Les progrès réalisés dans l’équipement des basses chutes ont permis également de mettre en valeur les cours d’eau de plaine au débit important (le Rhône, en aval de Lyon, et le Rhin en France ; aménagement de la Volga en Union soviétique).

La production hydro-électrique souffre essentiellement de l’irrégularité des débits. On peut y remédier en établissant des interconnexions entre régions dont les caractéristiques hydro-électriques sont différentes, ce que visait essentiellement le réseau de lignes à haute tension créé durant les années 30 en France. La création de retenues artificielles aboutit à une correction du même ordre. On ne peut, cependant, parvenir à une production parfaitement régulière, si bien que les installations ne servent à plein qu’une partie de l’année. Au fur et à mesure que l’équipement progresse, on est obligé de passer des sites les plus faciles à des sites qui nécessitent des installations plus complexes : malgré les progrès de la productivité dans le domaine des travaux publics ou dans celui de l’équipement même de la chute, cela entraîne une hausse progressive du prix du kilowatt-heure marginal.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et même dans les années qui l’ont immédiatement suivie, l’électricité d’origine hydraulique était souvent la plus avantageuse. La production d’électricité thermique n’intervenait, là où les cours d’eau étaient propres aux installations, que pour faire face aux pointes de la demande ou pour remédier aux irrégularités saisonnières. L’électricité thermique ne l’emportait que dans les vieux pays charbonniers, mais, lorsque des possibilités hydro-électriques importantes existaient, on ne les négligeait pas, comme le montraient les exemples des États-Unis, de l’U. R. S. S. et, dans une moindre mesure, de l’Allemagne. Pour des nations comme l’Italie, la Suisse, l’Autriche, le Japon, le Canada, la Suède, la Norvège, l’énergie hydraulique était prépondérante. En France, les deux secteurs s’équilibraient, ce qui traduisait une certaine médiocrité des ressources charbonnières, leur localisation périphérique et la richesse des eaux dans la moitié sud-est du pays.

Depuis une vingtaine d’années, la situation s’est profondément modifiée : les progrès réalisés dans le rendement des turbines à vapeur ont permis d’abaisser considérablement le prix de revient du kilowatt-heure d’origine thermique. Le pétrole et le gaz naturel, qui se transportent facilement, autorisent la création de centrales dans des régions dépourvues de gisements d’énergie fossile. La hausse du taux de l’intérêt, assez générale dans les pays industriels, a pénalisé la construction des équipements hydrauliques. Enfin, depuis une dizaine d’années, il est devenu possible d’édifier des centrales nucléaires produisant de l’énergie à des prix compétitifs.

Dans la plupart des pays, on a assisté à un glissement vers le secteur thermique ou nucléaire : il est particulièrement net en France, en Italie, au Japon. Seuls les pays scandinaves et le Canada demeurent fidèles, pour l’essentiel, à l’énergie des cours d’eau. La hausse relative du prix de revient du kilowatt-heure hydraulique a eu d’autres conséquences : les installations servent de plus en plus à la fourniture de l’énergie de pointe, plus fortement valorisée. Les équipements qui sont réalisés à l’heure actuelle ne le sont souvent que dans la mesure où ils ont plusieurs fins : régularisation des débits, protection contre les crues, navigation, irrigation, aménagements de plans d’eau pour la détente et le loisir. C’est à cette condition et à cette condition seulement que la production nouvelle est rentable.

Les installations thermiques sont implantées soit sur les zones productrices de combustible, soit à proximité des zones de consommation (souvent aussi sur un cours d’eau important ou en bordure de mer, en raison des grandes quantités d’eau de réfrigération nécessaires). Tout dépend du coût relatif du transport de l’énergie sous forme de courant ou sous forme de combustible. Jusqu’à 100 km, le courant est plus avantageux. Au-delà de 500 km, pour le pétrole et le gaz naturel transportés par bateaux ou par conduites, comme pour le charbon de bonne qualité transporté par voie d’eau, l’avantage va aux localisations près du marché. Entre ces deux seuils, la situation dépend de la qualité des combustibles, des conditions d’utilisation des lignes : en France, des centrales se sont récemment installées à proximité de l’agglomération parisienne. En Angleterre, elles se rapprochent au contraire des zones productrices de charbon de qualité moyenne des Midlands orientales et du Yorkshire.