Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

La situation n’est pas pour autant apaisée en Égypte. Le sort du Soudan restant réservé, les étudiants reviennent à la charge et fomentent des manifestations encore plus violentes. Le mécontentement est alors quasi général en Égypte. La persistance des problèmes sociaux aiguise la conscience des ouvriers, qui organisent plusieurs grèves pour obtenir la semaine de 40 heures et les congés payés. Et la défaite de l’armée égyptienne engagée en 1948 en Palestine contre les Israéliens finit par discréditer le roi et son gouvernement aux yeux de la population. Le climat est alors à la violence : le 15 mai 1948, le gouvernement proclame la loi martiale et l’état de guerre ; à la fin de 1948, le Premier ministre, le chef de la police du Caire et le guide de la puissante confrérie des Frères musulmans, Ḥasan al-Bannā’, sont tour à tour assassinés.

Pour préserver son régime contre les étudiants, les ouvriers et les Frères musulmans, le roi Farouk renoue avec le Wafd, considéré comme la seule force capable de sauver la situation. Des élections organisées au début de 1950 assurent la majorité parlementaire au parti de Naḥḥās pacha. Ce dernier constitue en janvier 1950 un gouvernement et s’apprête à mettre un terme au désordre dans lequel le pays est plongé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut tout d’abord effacer le souvenir du coup de force britannique de 1942, par lequel son parti a été porté au pouvoir, et détourner la population des problèmes économiques et sociaux. Pour cela, le Wafd engage une campagne contre l’Angleterre, dénonçant le traité de 1936 et réclamant l’évacuation des troupes britanniques de tout le territoire égyptien. Et, devant le refus de la Grande-Bretagne, le gouvernement organise la résistance passive, tandis que des commandos se montent pour harceler les soldats anglais. Le 25 janvier 1952, 250 gendarmes égyptiens, cernés dans leur caserne à Ismā‘īliyya (Ismaïlia) par 2 000 soldats britanniques, reçoivent l’ordre de résister. Cinquante d’entre eux sont tués et une centaine sont blessés. Le lendemain, 26 janvier, c’est l’incendie du Caire. Une foule déchaînée brûle la capitale égyptienne, s’en prenant essentiellement aux beaux quartiers. La loi martiale est proclamée, mais la situation semble échapper au gouvernement wafdiste.

L’initiative appartient désormais à l’armée, qui constitue la principale force organisée de la vallée du Nil. Profondément humiliée par la défaite de 1948, celle-ci voit dans le roi et son entourage les responsables de tous les malheurs de l’Égypte. Son avant-garde, l’Association des officiers libres, fondée par Gamal Abdel Nasser* (1918-1970) quelques années auparavant, décide en 1952, devant le pourrissement de la situation, de passer à l’action. Elle se propose de supprimer la corruption et d’assurer l’indépendance de l’Égypte dans la dignité. Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, les officiers libres s’emparent du pouvoir et chassent le roi Farouk, qui quitte l’Égypte le 26 juillet.


L’Égypte nassérienne

‘Ali Māher, un vieux politicien, est chargé de former un nouveau cabinet. Mais la réalité du pouvoir appartient au Comité des officiers libres, qui prend le nom de Conseil de la révolution. Le général Néguib (ou Muḥammad Nagīb) en est le président, mais le véritable maître de la situation, Nasser, inconnu du grand public, agit encore dans l’ombre. Il ne tarde pas à éliminer tous ses détracteurs et à prendre le devant de la scène politique. Il s’agit d’abord pour lui de se débarrasser des formations politiques traditionnelles hostiles à toute réforme de structure de la société égyptienne, dans laquelle 6 p. 100 des propriétaires possèdent alors 65 p. 100 des terres cultivées. Dès 1952, une réforme agraire limitant le droit de propriété à 200 feddāns (84 ha) rencontre, malgré sa timidité, l’opposition des partis politiques mais permet au nouveau régime de consolider sa position. En janvier 1953, les partis politiques sont dissous, et une nouvelle formation, « le Rassemblement de la libération », est inaugurée sous la présidence de Nasser. Celui-ci fait proclamer, le 18 juin 1953, la république, dont la présidence est confiée au général Néguib. En 1954, il réussit d’obtenir que la Grande-Bretagne accepte l’évacuation de ses troupes dans un délai de vingt mois. Quelques mois plus tard, il parvient à éliminer définitivement le général Néguib, accusé de complaisance à l’égard de l’association des Frères musulmans, qui est franchement hostile au nouveau régime. Au début de 1955, Nasser est donc le véritable maître de l’Égypte. Le nouveau régime a désormais toute latitude de réaliser son objectif : l’indépendance politique et économique de l’Égypte.

Il s’agit de se dégager de l’emprise du bloc occidental sans pour autant tomber dans le giron du bloc socialiste. Pour cela, l’Égypte opte en matière de politique étrangère pour le « neutralisme positif », doctrine fondée sur l’indépendance du tiers monde et la coexistence pacifique avec les deux blocs. Et, conformément à ce principe, elle pratique une politique de bascule entre l’Est et l’Ouest.

En septembre 1955, l’Égypte marque son indépendance à l’égard de l’Occident en achetant à la Tchécoslovaquie les armes que les États-Unis refusent de lui vendre. Les puissances occidentales dont les intérêts sont encore immenses au Moyen-Orient durcissent alors leur position à l’égard du régime égyptien, d’autant plus que ce dernier ne manque pas de dénoncer le pacte de Bagdad et d’encourager les mouvements de libération nationale dans le monde arabe.

Le 19 juillet 1956, les États-Unis retirent leur offre de financer le barrage d’Assouan, qui devait promouvoir le développement économique de l’Égypte et consolider son indépendance. Quelques jours plus tard, le 26 juillet 1956, Nasser, alors président de la République, proclame au cours d’un meeting à Alexandrie la nationalisation du canal de Suez, pour, dit-il, consacrer ses apports à la construction du haut barrage. Ce défi, lancé pour la première fois par un pays sous-développé à l’Occident tout-puissant, provoque une riposte vigoureuse. Suivant un plan concerté dans le plus grand secret et sans consulter les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et Israël attaquent l’Égypte en octobre et novembre 1956 dans le but d’occuper la zone du canal. Malgré la supériorité militaire de l’adversaire, le gouvernement égyptien tient tête et refuse de céder.