Dubuffet (Jean) (suite)
L’originalité de Dubuffet ne se manifeste pas seulement par ces deux activités — littéraire et artistique — et par ce qu’elles recouvrent, mais aussi et surtout par son approche de l’art et de la culture en général. Il crée sans discontinuer, mais ne s’est jamais résigné à se considérer comme un artiste dans le sens traditionnel. Son œuvre, dans tous les domaines, est inséparable d’une démarche double et simultanée : récusation des arts dits « culturels », tels qu’ils sont pratiqués habituellement ; et en même temps, récupération de la production des simples, des illettrés, des schizophrènes, des solitaires, de ceux qui s’expriment en dehors de toute référence à des valeurs consacrées, de toute imitation des œuvres du passé ou contemporaines, classées et vénérées : tout un immense domaine est ainsi annexé par Dubuffet sous le nom d’art brut*. Et, comme les arts japonais, africains, océaniens eurent leur moment déterminant d’influence sur l’art moderne, ce nouveau monde des formes, plus agressif et plus angoissant que celui de l’art populaire, eut un retentissement certain sur de nombreux artistes, à commencer par son « inventeur » lui-même. La manière des Corps de dames et autres personnages, un style de graffiti, mais aussi des textes foisonnants et tortueux, sans ponctuation ni rigueur syntaxique, fourmillant de néologismes, certaines tentatives également dans le domaine musical, autant de reflets évidents de cet art brut chez Dubuffet. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement pour lui de créer ses propres œuvres, mais de récuser celles des artistes professionnels, de montrer leur aspect de jeu superficiel, de divertissement culturel de bon ton... L’Art brut préféré aux arts culturels (1949), Asphyxiante Culture (1968) : ces écrits ne laissent aucun doute sur les intentions de leur auteur. Il n’en reste pas moins que Dubuffet — ou du moins son art — est récupéré sans arrêt par cette culture qu’il récuse, et que son œuvre ne cesse de féconder l’art contemporain, rejoignant et renforçant des influences comme celle de James Ensor* et de Cobra* ; forme nouvelle et féconde de cette remise en question de la culture dont les épisodes jalonnent la création artistique depuis Marcel Duchamp* et dada*.
M. E.
P. Seghers, l’Homme du commun ou Jean Dubuffet (Seghers, 1944). / J. Fitzsimmons, Jean Dubuffet : brève introduction à son œuvre (Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1958). / Quelques introductions au « Cosmorama » de Jean Dubuffet (Collège de pataphysique, 1960). / P. Selz, The Work of Jean Dubuffet (New York, 1962). / M. Loreau, Dubuffet et le voyage au centre de la perception (la Jeune Parque, 1966) ; Jean Dubuffet, délits, déportements, lieux de haut jeu (Weber, 1971). / J. Berne (sous la dir. de), Jean Dubuffet (l’Herne, 1973). / G. Picon, le Travail de Jean Dubuffet (Skira, Genève, 1973).
Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, en cours de parution (J.-J. Pauvert, 1964 et suiv.).