Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dubuffet (Jean) (suite)

L’originalité de Dubuffet ne se manifeste pas seulement par ces deux activités — littéraire et artistique — et par ce qu’elles recouvrent, mais aussi et surtout par son approche de l’art et de la culture en général. Il crée sans discontinuer, mais ne s’est jamais résigné à se considérer comme un artiste dans le sens traditionnel. Son œuvre, dans tous les domaines, est inséparable d’une démarche double et simultanée : récusation des arts dits « culturels », tels qu’ils sont pratiqués habituellement ; et en même temps, récupération de la production des simples, des illettrés, des schizophrènes, des solitaires, de ceux qui s’expriment en dehors de toute référence à des valeurs consacrées, de toute imitation des œuvres du passé ou contemporaines, classées et vénérées : tout un immense domaine est ainsi annexé par Dubuffet sous le nom d’art brut*. Et, comme les arts japonais, africains, océaniens eurent leur moment déterminant d’influence sur l’art moderne, ce nouveau monde des formes, plus agressif et plus angoissant que celui de l’art populaire, eut un retentissement certain sur de nombreux artistes, à commencer par son « inventeur » lui-même. La manière des Corps de dames et autres personnages, un style de graffiti, mais aussi des textes foisonnants et tortueux, sans ponctuation ni rigueur syntaxique, fourmillant de néologismes, certaines tentatives également dans le domaine musical, autant de reflets évidents de cet art brut chez Dubuffet. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement pour lui de créer ses propres œuvres, mais de récuser celles des artistes professionnels, de montrer leur aspect de jeu superficiel, de divertissement culturel de bon ton... L’Art brut préféré aux arts culturels (1949), Asphyxiante Culture (1968) : ces écrits ne laissent aucun doute sur les intentions de leur auteur. Il n’en reste pas moins que Dubuffet — ou du moins son art — est récupéré sans arrêt par cette culture qu’il récuse, et que son œuvre ne cesse de féconder l’art contemporain, rejoignant et renforçant des influences comme celle de James Ensor* et de Cobra* ; forme nouvelle et féconde de cette remise en question de la culture dont les épisodes jalonnent la création artistique depuis Marcel Duchamp* et dada*.

M. E.

 P. Seghers, l’Homme du commun ou Jean Dubuffet (Seghers, 1944). / J. Fitzsimmons, Jean Dubuffet : brève introduction à son œuvre (Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1958). / Quelques introductions au « Cosmorama » de Jean Dubuffet (Collège de pataphysique, 1960). / P. Selz, The Work of Jean Dubuffet (New York, 1962). / M. Loreau, Dubuffet et le voyage au centre de la perception (la Jeune Parque, 1966) ; Jean Dubuffet, délits, déportements, lieux de haut jeu (Weber, 1971). / J. Berne (sous la dir. de), Jean Dubuffet (l’Herne, 1973). / G. Picon, le Travail de Jean Dubuffet (Skira, Genève, 1973).
Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, en cours de parution (J.-J. Pauvert, 1964 et suiv.).

Du Caurroy (Eustache)

Compositeur français (près de Beauvais 1549 - Paris 1609). En 1575, il était chantre de la Chapelle d’Henri III et remporta un prix au Puy de musique d’Évreux. Il fut ensuite sous-maître de la Chapelle, puis compositeur de la Chambre d’Henri IV.


Hautement estimé de son souverain, il bénéficia de nombreuses prébendes lucratives et fut chanoine de la Sainte-Chapelle de Dijon et de Sainte-Croix d’Orléans, et prieur de Saint-Cyr-en-Bourg, de Passy (diocèse de Sens) et de Saint-Ayoul de Provins. De son vivant, il ne publia que deux chansons à 5 voix (XXIIe Livre de chansons, Paris, A. Le Roy et R. Ballard, 1583) et deux livres de Preces ecclesiasticae (1609) qui réunissent 44 motets, 4 psaumes et 3 Te Deum de 4 à 7 voix. Sa famille fit éditer ses autres œuvres : les Meslanges (1610), recueil de 62 pièces (chansons, psaumes et noëls), et les 42 Fantaisies à III, IV, V et VI parties (1610). Il aurait composé trois messes ; une seule est connue, la Missa pro defunctis (v. 1633), qui fut chantée aux funérailles des rois de France jusqu’au xviiie s. Du Caurroy n’était pas un novateur. Sa musique profane reste en marge du développement de l’air de cour. Il s’intéressa pourtant aux activités de l’Académie de poésie et de musique fondée par A. de Baïf (1570), puis de l’Académie du Palais, et composa quelques chansons (et psaumes) de « musique mesurée à l’antique » qui ne sauraient rivaliser avec celles d’un Claude Le Jeune*. Sa musique religieuse et sa musique instrumentale ont beaucoup plus d’importance, bien qu’il y reste fidèle à l’ancienne tradition polyphonique. Ses motets, dont quelques-uns sont à « double chœur » — ce qui était alors en France une nouveauté —, procèdent librement du style d’imitation. Ses fantaisies, écrites pour l’orgue ou pour les violes, ont une écriture proche de celle du motet vocal, mais d’autant plus libre et plus souple qu’elles sont délivrées des entraves des paroles. Sans adopter des formes précises, elles se présentent comme des constructions d’un seul jet, fondées soit sur un thème dont chaque fragment est le sujet d’une exposition fuguée, soit sur un cantus firmus exposé en valeurs longues (choral contrapuntique), soit enfin sur la variation (Une jeune fillette). En dépit de leur virtuosité un peu gratuite, Du Caurroy s’y montre un grand maître du contrepoint. On a tendance à le juger aujourd’hui avec quelque injustice. Il était pourtant considéré, même après sa mort, selon Mersenne (Harmonie universelle, 1636), comme un des plus grands compositeurs de son temps.

A. V.

Duccio di Buoninsegna

Peintre italien (Sienne milieu du xiiie s. - id. v. 1318).


Avant lui, le milieu artistique siennois était imprégné d’une esthétique très byzantinisée, telle que la pratiquait Guido da Siena (actif entre 1250 et 1280). En 1285, Duccio reçoit commande d’un grand panneau de la Vierge pour l’église Santa Maria Novella de Florence : c’est la Madone Rucellai du musée des Offices. Il y demeure fidèle aux schémas iconographiques byzantins de ses prédécesseurs, tout en s’évadant déjà de la rigueur de la « manière grecque » traditionnelle, à l’exemple de Cimabue*, son contemporain à Florence, dont il fut probablement l’élève (il travailla sans doute sous sa direction à l’église supérieure d’Assise).