Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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drapeau (suite)

Drapeaux nationaux

Jusqu’à la Révolution française, personne n’éprouvait le besoin de symboliser la réalité de la nation : le drapeau était réservé aux militaires et partout la patrie était incarnée dans la personne des monarques. Pourtant, au xviiie s. déjà, certains signes distinctifs de nationalité étaient généralement adoptés. On peut citer d’abord les pavillons de la marine, qui avaient fini par s’uniformiser par pays : si les bâtiments de guerre français battaient pavillon blanc fleurdelisé, les bateaux marchands portaient un pavillon bleu à croix blanche. D’autre part, il y avait les cocardes portées au chapeau. Depuis 1767, en France, elle était blanche pour les militaires et donc pour le roi. Rappelons à ce propos que les insurgés du 14 juillet 1789 avaient, dès la veille, arboré une cocarde bleu et rouge aux couleurs de la ville de Paris. Aussi, lorsque, trois jours après, Louis XVI, venu à l’Hôtel de Ville, l’arbora sur la sienne, il créa ainsi la cocarde tricolore qui fut à l’origine du drapeau national. Celui-ci prit d’autant plus d’importance que la personne du roi, image même du pays, s’éclipsa puis disparut. C’est ainsi que dès 1792, le drapeau tricolore fut adopté comme emblème national ; il le demeura, sauf pendant la Restauration, et sa primauté sera définitivement confirmée par Lamartine lors de la Révolution de 1848.

Au xixe s., divers pays imitèrent la France et le plus souvent firent du drapeau militaire leur emblème national. L’Union Jack en fut à partir de 1800 l’un des premiers exemples, et les États-Unis d’Amérique ne connurent jamais qu’un seul drapeau. Tout au long du siècle, 1’affirmation populaire du principe des nationalités, la multiplication des rencontres et des échanges internationaux amenèrent une grande extension de leur emploi. Peu à peu, drapeaux militaires et nationaux s’identifièrent dans leur forme. Cependant, à la fin du siècle, seuls les pays européens ou américains en avaient de nettement déterminés, alors que de nos jours tous les pays qui accèdent à l’indépendance s’empressent de définir leur emblème national. À la différence des drapeaux militaires, ce sont de simples étoffes de couleur qu’on devrait plus exactement appeler pavillons ; quand ils sont arborés dans des lieux publics, ils sont honorés comme représentation de leur pays.

Leur mise en place donne souvent lieu à une cérémonie appelée l’envoi des couleurs, qui est d’origine maritime. Lorsqu’on en élève de diverses nations, sur des mâts voisins, on doit les placer dans l’ordre alphabétique du nom de ces différents pays. On notera, d’autre part, que des organismes importants, quoique non souverains, ont des emblèmes qui sont officiellement reconnus (O. N. U., Conseil de l’Europe, Croix-Rouge internationale, jeux Olympiques).

Quelques drapeaux

Drapeau blanc. Une vieille tradition veut que toute personne qui cherche à parlementer avec un adversaire arbore un linge blanc au bout d’un bâton. Aujourd’hui, du fait de l’existence de la radio, cette coutume est tombée en désuétude. En revanche, elle est toujours en vigueur dans les petites unités militaires ou pour tout groupe de personnes demandant à se rendre. De même, on arbore un drapeau blanc aux fenêtres des édifices que l’on souhaite voir épargnés par les combats.

Drapeau noir. Il était arboré autrefois par les pirates qui ne reconnaissaient aucune autorité. Il est devenu le symbole des anarchistes, qui se refusent à admettre quelque « soumission » que ce soit.

Drapeau rouge. Il était autrefois déployé par la troupe qui devait rétablir l’ordre. En souvenir de son emploi le 17 juillet 1791 sur le Champ-de-Mars à Paris, où les manifestants eurent 50 morts, il est devenu le symbole de la révolution. Utilisé comme tel par les révoltés de 1848 et les communards de 1871, il a été choisi comme emblème national par les Soviétiques en 1918, puis par l’Albanie, la Chine populaire, la Turquie, le Viêt-nam du Nord, etc.

Drapeau vert ou étendard vert du prophète (en arabe Sandjak-i-cherif : « le noble étendard »). Enseigne de couleur verte vénérée dans l’ancien empire ottoman comme ayant été portée par Mahomet. Il désigne souvent aujourd’hui les peuples de religion islamique et, par extension, l’islām lui-même.

H. de N.

 J. Lerondeau, Au drapeau. Histoire et légende du drapeau français (Quéreuil, 1934). / C. Hacks et général Linarès, Histoire du drapeau français (Union latine d’éditions, 1935). / P. Noury, Nos drapeaux (Éd. de Cluny, 1939). / J. Regnault, les Aigles impériales et le drapeau tricolore (Peyronnet, 1967).

Dreiser (Theodore)

Romancier américain (Terre Haute, Indiana, 1871 - Hollywood 1945).


De l’échec de Sister Carrie en 1900 au triomphe d’Une tragédie américaine en 1925, Dreiser apparaît comme le promoteur du roman « réaliste » américain. Ce terme de réalisme ne désigne pas une technique littéraire qui rend compte objectivement de la réalité. Dreiser n’est pas plus réaliste que Henry James*. Mais il saisit une autre réalité. Il prend pour modèle la société urbaine, industrielle et capitaliste, et pour méthode la « science », c’est-à-dire le déterminisme matérialiste qui fleurit à la fin du xixe s. À l’exemple de Zola, il veut traiter ses héros en spécimens de laboratoire et analyser l’influence du milieu et de l’hérédité. Ce déterminisme, qui contraint l’individu à un destin modelé par des forces extérieures, aboutit paradoxalement à une réhabilitation de la fatalité romantique. « Réalistes », les romans de Dreiser, comme ceux de Frank Norris* ou de Zola, sont en fait des romans de destin qui relèvent autant de la poésie épique que du réalisme.

Ce réalisme s’alimente d’une part des origines sociales de ce prolétaire qui a une expérience personnelle de la misère, d’autre part de l’expansion industrielle de l’Amérique. L’Amérique de 1900 n’est plus celle des pionniers. Dans cette formidable puissance en gestation, l’industrie a remplacé l’élevage, et la jungle de macadam la Prairie. Au lieu des vastes horizons de la liberté naturelle, c’est l’entassement des taudis et les vices d’un capitalisme à l’état sauvage que dénoncent populistes et « muckrakers ». L’optimisme libéral américain fait place à un certain pessimisme. Le roman réaliste américain naît de ces bouleversements. Les théories de Darwin, de Spencer, de Thomas Huxley fournissent aux romanciers une idéologie qui représente l’homme comme un atome social, un être biologique dans un univers matérialiste. La diffusion des romans réalistes français alimente encore cette tendance. « Tous les fils qui me retenaient au catholicisme, écrit Dreiser, se brisèrent à la lecture de Huxley ; les Premiers Principes de Spencer me firent littéralement exploser intellectuellement... Balzac m’influença plus que tout autre écrivain. » Avec Dreiser, la compétition sociale prend des allures de sélection naturelle.