Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dieu (suite)

Les noms de Dieu

De tous les noms possibles pour faire connaître Dieu, certains dépassent en valeur tous les autres, en premier lieu ce terme : Dieu. Son sens primitif est difficile à déterminer. Il se rattache probablement à la racine devah, signifiant le fait de briller. Le monde païen attache au nom de Dieu une idée de lumière.

Dans l’Ancien Testament, les noms propres donnés à Dieu sont le plus habituellement El, Elohïm, d’un radical signifiant « haut, élevé » : Dieu serait celui vers qui monte le désir et la prière de l’homme. Ce nom se retrouve en arabe : Ilāh, Allāh, et dans toutes les langues sémitiques. Mais le nom par excellence de Dieu est son nom révélé, le tétragramme que nous transcrivons, faute de mieux. La signification du nom sacré est discutable. Le radical d’où il vient exprime le fait d’être, au sens le plus simple et sans acception métaphysique spéciale.

Moïse ne pouvait pressentir, en utilisant les quatre caractères du nom sacré, tout ce que, après lui, des siècles de réflexion philosophique attacheraient à ce nom : Il est. Il faudrait pouvoir se contenter de ce nom. C’est déjà s’avancer au-delà que de traduire : Dieu est l’Être, car l’être est toujours pour nous tel ou tel, un étant déterminé qui oriente la connaissance. L’innommable ne saurait devenir source de connaissance. Cependant, nous connaissons Celui qui s’est révélé. Mais nous le connaissons de façon ineffable, sans en pouvoir rien dire. L’abîme qui sépare l’idée que nous nous faisons de Dieu de sa réalité doit demeurer toujours présent, car nous devons parler de Dieu, mais il nous faut garder à l’esprit l’inadéquation de nos expressions. Cette perception fonde la théologie apophatique ou négative, qui a trouvé son expression la plus forte chez les Pères cappadociens (Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze) et qui est toujours antérieure à la théologie cataphatique ou affirmative.


Les « cinq voies » de l’existence de Dieu dans la théologie du Moyen Âge

Est-il possible à l’esprit humain, cela étant posé, d’affirmer l’existence de Dieu et d’y parvenir par ses seules forces ?

La question de la validité des « cinq voies » classiques mises au point par la théologie médiévale (qui ne sont pas cinq démarches distinctes) est tributaire de leur juste interprétation. Les cinq voies sont partie intégrante de la théologie, mais au titre de « préambules à la foi » seulement. Les préambules à la foi sont cette démarche particulière qui, tout en relevant essentiellement de la raison, et en soi d’elle seule, supposent cependant la foi. Ils supposent l’esprit tout à la fois en état de découverte et en état d’adhésion. Ils ne relèvent ni du doute méthodique cartésien ni de l’épochè husserlienne. Car le théologien y envisage l’homme dans son existence concrète, en situation engagée et tel que Dieu l’a voulu et le voit ; il considère l’homme inséré dans l’économie de la révélation. Mais sa démarche présente est autonome en elle-même, car elle pourrait se soutenir et se maintenir sans cette référence à la révélation historique, bien que concrètement elle en soit, de fait, inséparable. Nous voilà, dira-t-on, en plein impérialisme théologique : on préconise une démarche alors qu’on est sûr d’avance du résultat ! Non. L’aboutissement n’est pas donné au préalable et la raison prétend critiquer, et vérifier ou rejeter, ce qui est annoncé. Mais c’est un fait que la démarche n’est pas indépendante de certaines conditions ; elle ne vise donc pas à s’affranchir du donné plus qu’elle ne prétend l’avaliser, ce donné étant par ailleurs d’autant plus pris en considération qu’il est plus réellement présent à l’esprit.

L’homme que le théologien envisage est l’homme historique, situé ; ce n’est donc pas seulement celui qui entend la révélation et lui obéit ; c’est aussi celui qui la conteste et s’en éloigne. Car, au niveau des « préambules de la foi », l’accent n’est pas tant mis sur la découverte de Dieu que sur la reconnaissance d’un fondement qui embrasse toute l’activité de l’esprit et reçoit son adhésion entière. On n’entame donc pas cette démarche en faisant bon marché de la réflexion philosophique, mais en s’appuyant sur elle, de sorte qu’un Thomas d’Aquin considère les cinq voies comme devant se situer au terme de la philosophie et comme une sagesse qui serait la fin de toutes les sciences (Commentaires sur Aristote, Métaphysique, i, lect. 2). On est donc bien loin de la connaissance innée ou a priori de Dieu. Dieu ne peut être que reconnu a posteriori, à partir de l’univers, par une démarche de l’intelligence discursive. Thomas d’Aquin tient avec la philosophie classique que l’objet de l’intelligence est l’être, et même que l’étant est ce qui tombe d’abord dans l’intelligence. Mais cela ne signifie pas que l’intelligence atteigne à la connaissance immédiate de l’être en tant qu’être, car le premier objet de l’intelligence est ordinairement l’étant de l’être sensible.

C’est donc à partir du sensible que surgit pour l’intelligence la question de Dieu, qui est liée immédiatement à celle de l’être. La question, aussi bien que l’affirmation, apparaît obvie. La contestation de la question et sa négation sont au contraire complexes. Les cinq voies se présentent ainsi en première approximation comme une démarche simple, bien qu’elles ne soient pas évidentes et doivent prendre forme de démonstration. En effet, au terme de toute réflexion sur les étants, ce n’est pas un quelconque premier de série qui est posé mais une transcendance qui est reconnue, comme corrélat d’une immanence. C’est quelque chose ou Quelqu’un hors de toute détermination et de toute série, un Autre irréductible à toute similitude et à toute chose, qui n’est ordonné à rien et à quoi rien n’est ordonné, mais sans qui rien ne tiendrait en soi ni à rien. Thomas d’Aquin dit à ce sujet qu’il n’y a en Dieu aucune relation réelle aux créatures, mais seulement une relation rationnelle, en tant que des créatures ont une relation à lui, qui, à son tour, ne se superpose pas à leur être mais est leur être même (Somme théologique, Ia, q. 13, 7 concl.).