Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

dessin (suite)

Mais, dès ces époques lointaines, le dessin n’a pas consisté seulement en tracés linéaires de contour, sans que soit transmise une certaine sensibilité à l’allure de la ligne par des « inflexions » plus ou moins larges ; de même rencontre-t-on des « mouvements » de modelé, comme à Altamira ou à Lascaux. Et, par là, coloration et définition d’une forme se trouvent de bonne heure nettement associées. Deux aspects fondamentaux de la conception du dessin ont donc été exprimés dès la préhistoire.

S’il nous est impossible de bien déterminer l’ancienneté relative des instruments et des techniques, nous savons néanmoins qu’au cours des périodes historiques les pointes de métal, le bois carbonisé, de menus fragments de roches colorantes, la plume et le pinceau ont constitué les plus anciens instruments de dessin. On notera tout de suite leur surprenante pérennité dans la mesure où ils demeurent le plus simple prolongement de la main et le complément expressif le plus direct et le plus nuancé du doigt lui-même, comme du geste. Cette « gestualité » immédiate du dessin, plus ou moins tributaire d’habitudes acquises et réglementées, ou, au contraire, de pulsions propres aux grandes individualités, constitue le fonds de l’histoire du dessin ; on peut en suivre facilement la passionnante dialectique tout au long des civilisations, un des aspects essentiels de ces divergences — ou confrontations — étant l’alternative engendrée par l’usage d’un dessin préparatoire à la peinture ou d’un dessin tendant plutôt à sa propre autonomie.

Après l’Égypte, qui distinguait le « scribe aux contours » de celui auquel incombait la charge de la coloration, c’est la Grèce surtout qui nous confirme l’importance propre à laquelle peut prétendre le dessin. Elle est remarquablement mise en valeur par la simplification des couleurs (surtout le rouge et le noir) sur les parois des vases. Mais plus encore, sur les lécythes funéraires des ve et ive s. av. J.-C., un style de croquis révèle une grande capacité de notation dessinée, associée il est vrai à la notion de ligne colorée par rapport au fond blanc et aux quelques surfaces plus nettement affirmées en rouge, bleu ou noir.

Ce dessin linéaire n’est toutefois pas le seul que l’Antiquité ait connu. Un dessin en modelé — par l’ombre et la lumière — peut se substituer au seul contour pour définir un drapé ou un visage. Mais la manière en « hachures » de certaines peintures nous révèle aussi combien l’Antiquité, évoluant, a pu découvrir bien avant la Renaissance des modes d’expression « dessinés », preuve de l’évolution réciproque des techniques de la peinture et du dessin. De même, elle préfigurait diverses expressions que la Renaissance allait mettre particulièrement en valeur : à côté du dessin lié à la peinture, celui plus libre de l’esquisse ou de la notation personnelle, conférant au dessin son autonomie.

Le Moyen Âge a surtout insisté sur le dessin-contour, conçu comme un accompagnement, comme une définition de la peinture. C’est la circonscription de la forme, pour reprendre l’expression d’Alberti* au xve s. Encore convient-il de noter que le modelé apparaît dans le dessin préparatoire à la peinture. Du dessin proprement dit, nous ne connaissons que peu d’expressions, en dehors du célèbre album de l’architecte Villard de Honnecourt, au xiiie s., comptant des dessins linéaires soumis à une stylisation que vont modifier peu à peu ses successeurs. Ceux-ci, d’ailleurs, évolueront plus rapidement, sans doute, lorsqu’ils feront une esquisse que lorsqu’ils dessineront « définitivement » pour la peinture, comme le montre bien la liberté de dessin des sinopie italiennes exécutées sur l’avant-dernier enduit de la fresque.


Moyens techniques

À mesure que se développent le dessin de notation et le dessin de préparation pour les peintures, les moyens techniques prennent également plus d’ampleur. Sont alors utilisés la plume, le pinceau et des produits minéraux ou végétaux qui fournissent eux-mêmes la matière traçante : pointes d’argent, pierres diverses ou petites branches de charbon de bois.

La pointe d’argent, pratiquement disparue aujourd’hui, représente un procédé de compromis entre la gravure et la trace, obligeant à recouvrir le subjectile — parchemin ou velin en général — d’un enduit fait de raclures d’os et de gomme arabique. Le tracé obtenu, légèrement incisé, est d’une couleur grise, alors que la pointe d’or, plus rarement utilisée, donnait un trait plus noir. C’est à ces procédés qu’on substituera d’abord le dessin à la mine de plomb sur papier, puis, au xviiie et surtout au xixe s., le dessin au crayon de graphite, dont la poussière est mêlée à la « terre de pipe » comme pour le pastel ; le crayon actuel, du type « Conté », remonte à la Révolution. Beaucoup plus courants étaient les procédés de dessin à la plume et au pinceau, perpétués jusqu’à nos jours. Ils permettaient l’usage d’une matière colorante à base d’encre issue de la noix de gale, de bistre fait avec du noir de fumée ou de la suie ; ces produits ayant tendance à pâlir, ils furent remplacés par les encres de Chine ou la sépia, qui se substituera au bistre à partir du xviiie s.

La plume, qui sert aussi bien à dessiner qu’à écrire, donc à tracer toutes sortes de signes de portée différente, a été empruntée dès l’Antiquité au règne végétal (roseau, bambou) ou à l’animal (oie, coq, cygne), en attendant que le xixe s. y ajoute la plume métallique, le xxe s. le système « à bille » et le feutre durci. La plume fournit par excellence un dessin au trait, qui a mené à définir par convention optique diverses combinaisons de « hachures » pour suggérer l’ombre et substituer un dessin « de valeur » à celui de contour. Van Gogh* en a donné toute une série de variantes remarquables.

Mais, avec un peu d’eau, on a pu également utiliser l’encre sous forme de lavis, véritable aquarelle monochrome qui, menée au pinceau et parfois combinée avec un dessin à la plume, engendrera à partir du xve s. une suite d’étonnants chefs-d’œuvre, comme ceux de Rembrandt* au xviie s. Notons que la combinaison plume et aquarelle, de son côté, fournira une nouvelle série d’expressions artistiques très appréciées.