Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cuirassé (suite)

L’ère du bâtiment de ligne cuirassé

Désormais, les navires de ligne se différencient non seulement par le nombre et le type de leurs canons, mais aussi par leur mobilité et leur faculté d’encaisser. Du compromis entre ces trois composantes de leur puissance découlent dans le devis des poids les parts respectives de l’armement, de la vitesse et de la protection. À ceux-ci s’ajoute le poids de la coque, dont le pourcentage ira diminuant en raison de l’emploi de l’acier, plus solide, à densité égale, que le fer. De la répartition judicieuse de ces quatre éléments résultera la valeur du bâtiment de ligne au combat. L’épaisseur de la cuirasse allant en croissant, l’augmentation du calibre des canons et du poids des projectiles s’impose. L’artillerie à grande puissance permet de combattre à plus grande portée, ce qui exige une nouvelle conception du cuirassement (il ne peut plus se limiter à la ceinture du bâtiment et doit s’étendre à la protection des ponts). Les tonnages vont en augmentant, et seules les grandes puissances industrielles, Allemagne, Angleterre, Autriche-Hongrie, États-Unis, France, Japon et Russie, peuvent en supporter le coût.

À partir de 1906, le Dreadnought britannique, qui surclasse tous ses concurrents, sera imité par toutes les marines et constituera l’élément de base des escadres de combat. Le cuirassé atteint alors de 165 à 190 m de long, et son déplacement dépassera bientôt 25 000 t. À l’accroissement de l’artillerie (de 8 à 12 pièces de 300 ou 400 mm) s’ajoutent les progrès de la construction navale : disposition plus judicieuse des surfaces protégées, répartition meilleure de l’artillerie en tourelles multiples afin de gagner du poids. Avec l’accroissement des longueurs, il devient impossible de cuirasser les coques sur l’ensemble des surfaces offertes aux coups de l’ennemi. Ainsi est-on conduit à limiter le cuirassement aux parties vitales du bâtiment : machines, grosse artillerie, passerelle de commandement ou blockhaus. Aux grandes distances, les obus tombent avec une incidence presque normale sur les ponts, qui doivent, à leur tour, être protégés : ainsi naissent les ponts blindés, qui se raccordent sur les côtés à la ceinture cuirassée.

Les bâtiments construits entre 1920 et 1940 se caractérisent par une forte protection, dont le tonnage représente une part de plus en plus grande du déplacement : 40 p. 100 pour le Richelieu (français) et le Bismarck (allemand). En 1918, la vitesse des cuirassés est de 20 à 23 nœuds ; en 1930, elle dépassera 30 nœuds, et le cuirassé sera aussi rapide que le croiseur de bataille.


Fragilité et déclin du cuirassé

Arrivé à ce stade de développement, le cuirassé se montre déjà vulnérable à la torpille. Aussi, les tenants de ce type de bâtiment engagent-ils alors les ingénieurs à étudier un mode de cloisonnement plus serré, à calculer plus largement les réserves de flottabilité, à augmenter la stabilité transversale en accroissant la largeur du maître couple. Aboutissement de cette évolution, le Bismarck fait preuve de remarquables qualités au combat. Au cours de sa fameuse poursuite en mai 1941, il encaisse, sans couler, huit torpilles après avoir reçu environ huit cents obus de 356 et de 406 mm. Il est réduit à l’état de caisson flottant, mais son équipage doit aider sa destruction en faisant exploser des charges placées dans les fonds. Ce résultat n’est acquis que grâce à un tonnage de l’ordre de 56 000 t (soit le double de celui du cuirassé de 1914).

À cela s’ajoute la fragilité sous les coups de l’aviation, qu’elle soit basée à terre ou embarquée. Les supercuirassés Mushashi et Yamato, que les Japonais avaient poussés à 73 000 t, périront l’un et l’autre sous les bombes des avions torpilleurs en 1944 et en 1945. L’association du cuirassé et du porte-avions prolongera l’utilisation tactique du grand bâtiment de ligne et lui accordera un sursis jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, le débarquement de Normandie vit les derniers jours de gloire des cuirassés : les tirs des 406 du Rodney pulvérisèrent les défenses terrestres allemandes de Caen. En 1945, toutefois, la cause était entendue, et toutes les marines plaçaient leurs cuirassés sous cocon ou les utilisaient en casernes flottantes pour les écoles de spécialités. À partir de 1950, les cuirassés désarmés sont livrés à la ferraille. Seule la marine américaine pourra se permettre de réarmer occasionnellement le Missouri en Corée comme le New Jersey au Viêt-nam (1968) pour utiliser leur grosse artillerie contre les défenses côtières. Mais ces expériences ne seront guère concluantes. En France, le Jean-Bart participera à l’expédition de Suez en 1956 comme transport de troupes rapide, mais ses canons n’interviendront pas, et le Richelieu, ponton-école à Brest, sera démantelé en 1970 ; désormais, le terme même de cuirassé tend à disparaître du vocabulaire naval.

Quelques navires de guerre

bâtiment de ligne, navire de guerre capable de figurer dans une ligne de file à la bataille. De 1870 à 1945, le cuirassé est le bâtiment de ligne par excellence.

croiseur, bâtiment de 5 000 à 10 000 t, rapide et bien armé (de 8 à 12  canons de 152 à 203 mm). Conçu pour éclairer les cuirassés marchant 15 nœuds, il lui suffisait de pouvoir en donner 20, cette vitesse lui tenant lieu de protection. De 1910 à 1918, le tonnage du croiseur augmente avec la puissance de ses machines et la naissance d’une légère protection ; il est fixé à 10 000 t par les accords de Washington (1922). Le croiseur disparaîtra vers 1960 et sera remplacé par un bâtiment équivalent, lanceur d’engins (missiles).

croiseur de bataille, bâtiment dont le tonnage et l’artillerie étaient comparables à ceux des cuirassés, mais dont la vitesse (de 26 à 29 nœuds), supérieure, permettait de déplacer une puissance de feu considérable d’un point de la ligne à un autre au cours d’une bataille navale. Les Anglais connurent au Jutland (1916) de graves mécomptes avec leurs croiseurs de bataille du type Indefatigable, moins bien conçus que leurs rivaux allemands (Derfflinger). Les cuirassés ayant acquis après 1930 une vitesse de 30 nœuds, les croiseurs de bataille devinrent inutiles.

croiseur cuirassé, bâtiment dont la conception résulta, durant la Première Guerre mondiale, d’un compromis acceptable mais peu efficace entre le croiseur et le cuirassé.