Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

construction (suite)

Le souci de figer un morceau d’espace, comme de traduire la matière vivante en un matériau durable, répond à la volonté de l’espèce d’échapper à sa condition précaire en tentant de s’identifier aux forces naturelles personnalisées. L’art, qui devait naître de cette transposition [9], ménage aux dieux égyptiens l’ombre chaude de ses palmiers ou celle, grouillante d’animalité, de ses marais de lotus et de papyrus. En Grèce, le corps humain fournit la mesure d’une harmonie subtile, et la colonne devient une lumineuse procession d’éphèbes doriens ou de jeunes Ioniennes, tandis qu’en d’autres lieux l’abstraction cosmique engendre les voûtes étoilées et la combinaison des plans.

Même dans la vie quotidienne, lorsque l’homme avait à résoudre le plus économiquement possible, souvent au mépris de la durée, les problèmes de construction, il l’a fait selon des modalités qui échappent à notre raisonnement analytique. Sa maison, comme son champ et ses instruments, comme son village et son terroir, est le reflet d’une vision cosmique. Bien avant l’aube de l’histoire, toute construction avait reçu une motivation symboliste, qui persiste jusqu’en notre temps dans les cultures dites « prélogiques », même après avoir cessé d’être comprise [10]. Il serait puéril de vouloir l’ignorer et tout aussi dangereux d’en prétendre reconstituer la trame. Tout au plus pourrait-on montrer un parallélisme entre le domaine du mythe et celui de la matière. Car l’ensemble cellulaire formé par une construction est dominé par les fonctions d’échange vis-à-vis du milieu extérieur, aussi bien mythique [11] que physique ou humain.


Le choix des formes

Dans sa forme, la cellule est moins conditionnée par sa stabilité propre que par celle des espaces qu’elle sépare et des êtres qui l’utilisent. Ainsi, le plan horizontal du sol, la verticalité des murs sont adaptés aux caractéristiques motrices de l’homme. Et la préférence donnée, pour une cellule unique, au plan courbe [7] ou à la voûte trouvera sa limite dans la juxtaposition ou la superposition de plusieurs cellules. Sauf cas exceptionnel, la séparation entre deux cellules sera alors rectiligne, et chacun des volumes tendra au cube.

D’une manière générale, les matériaux qui travaillent à la compression, qu’ils soient modelés, taillés ou moulés par éléments, permettent toutes les dispositions compatibles avec la pesanteur (cellules cubiques, cylindriques, pyramidales, coniques ou sphériques) et leurs combinaisons. Au contraire, les matériaux fibreux, susceptibles d’un travail en flexion, qu’ils soient employés comme élément principal, comme ossature ou même comme coffrage, réduiront le plus souvent les possibilités aux seules formes à génératrice rectiligne [8].

La cellule peut être enterrée [5] ou surélevée [6], selon la nécessité de se protéger soit du vent (ou des projectiles), soit des animaux, de rechercher ou d’éviter l’humidité du sol (cause de ruine pour tant d’édifices).


Les échanges avec le milieu extérieur

L’étanchéité est surtout un problème de superstructure. En pays sec, une construction voûtée se suffit à elle-même ; mais, le plus souvent, dans la construction traditionnelle, des poutres jointives, de faible portée entre murs, supportent les planchers supérieurs et une terrasse de terre battue sur le clayonnage. Un revêtement en carreaux céramiques peut assurer une meilleure protection. Partout ailleurs se pose le problème de l’évacuation rapide de l’eau : toitures de formes et en matériaux divers, réceptacles et conduits d’égouts. Les murs eux-mêmes doivent être mis à l’abri des pluies fouettantes et du ruissellement par des auvents, des bandeaux, des revêtements, tout en tenant compte de la nécessité de laisser les matériaux se dilater ou se contracter selon leur nature. Cela suppose des solutions de continuité (joints) protégées contre les diverses intrusions par des couvre-joints.

Il n’y a pas, à vrai dire, de paroi absolument étanche ; tout matériau est plus ou moins perméable aux vapeurs, à la chaleur ou au froid. Il importe d’assurer aux occupants d’un local un certain volume d’air frais, un degré de température et d’humidité en équilibre avec le milieu extérieur. Cela implique d’abord le choix du site, de l’orientation vis-à-vis de l’ensoleillement et des vents dominants, aussi bien pour la toiture et les murs que pour les ouvertures (baies et conduits), mais aussi un équipement sanitaire et thermique qui est un élément essentiel de la construction. Il importe, enfin, d’assurer un équilibre de même ordre en ce qui concerne la transmission des sons à travers les parois, tout en créant un climat sonore propre à chaque catégorie de local.

De leur côté, la disposition des baies et leur mode de fermeture, la couleur et la surface des parois conditionnent la qualité et la quantité de lumière naturelle admises dans un local ; ces facteurs ont une importance particulière en ce qu’ils influent sur les rapports de l’habitant avec le monde extérieur. Ici encore, la notion d’échange est capitale : au confort physique vient s’ajouter un confort psychologique, assurant à chaque être sa part d’individualité.

Pour actuels qu’ils apparaissent, les problèmes qui viennent d’être évoqués se sont posés de tout temps. Ils ont donné lieu, du fait du climat, du genre de vie, des traditions et des influences, à des tentatives multiples, au moins dans la limite des matériaux disponibles et des possibilités de leur mise en œuvre. Un type de solution peut prévaloir en un temps et en un lieu donnés et engendrer, grâce à un homme ou à un groupe, un style, une école ou un genre. Mais aucun, du fait de la diversité des besoins et des exigences, ne saurait satisfaire l’ensemble des hommes.


Au stade de la conception

Quel que soit le matériau utilisé, l’élaboration et la réalisation d’un projet sont fonction des possibilités de traduction graphique. Dès le « lever » du terrain, et encore au stade des terrassements, se posent des problèmes de mesures et de formes, de géométrie au sens propre. En dépit d’une référence commune à l’homme (pouce, pied, coudée...), les anciennes unités de longueur variaient d’un lieu à l’autre, rendaient difficiles les calculs et la diffusion des plans ; toutes ces difficultés ont été aplanies par le système métrique, qui, du même coup, a fait perdre à la mesure son caractère humain. Par contre, la triangulation* a permis très tôt aux Égyptiens de relever une forme quelconque à l’aide d’une corde divisée en parties égales par des nœuds. Cette « chaîne d’arpenteur », disposée selon un triangle dont les côtés sont proportionnels à des grandeurs 3, 4 et 5, bien avant Pythagore, leur fournissait aussi un moyen pratique de tracer sur le terrain un angle droit et, par là, des rectangles de proportion 3/4, 3/5, 4/5 (notons-le au passage, le champ d’une vision normale correspond au rectangle 3/5, ou 1/1,66, équivalent, à 4,2 p. 100 près, de celui dit « proportion dorée », objet de tant de gloses). La simplicité du procédé lui a valu une large diffusion, et son emploi est attesté presque jusqu’à nos jours.