Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

concentration (camps de) (suite)

SS et police politique dans le IIIe Reich

La complexité théorique des rapports administratifs entre la police allemande (organisme d’État) et les SS (organisme du parti) se résolut très simplement sur le plan pratique par la mainmise progressivement totale du parti sur l’État. Pour la police, celle-ci est consommée le 17 juin 1936 lorsque Himmler, chef suprême (Reichsführer) des SS depuis 1929 et ne relevant en cette qualité que de Hitler lui-même, est nommé « chef de la police allemande au ministère de l’Intérieur du Reich ». À ce titre, il coiffe les deux départements de l’Ordnungspolizei, police d’ordre traditionnelle en uniforme, et de la Sicherheitspolizei (Sipo), ou police de sûreté. Dès le 26 juin, la direction de cette Sipo, organisme d’État dont les deux branches sont la police criminelle (Kriminalpolizei) et la police secrète d’État (Geheime Staatspolizei, ou Gestapo), est donnée à Reinhard Heydrich (1904-1942), qui est alors et demeurera chef du Sicherheitsdienst (ou SD), organe de police intérieure du parti nazi.

C’est au profit de Heydrich qu’est créé le 27 septembre 1937 l’Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt, ou RSHA), qui, sous l’autorité de Himmler, coiffe l’ensemble des services de l’État et du parti et auquel est confiée la direction des camps de concentration. En fait, le RSHA (dont le chef, après l’assassinat de Heydrich, sera Ernst Kaltenbrunner, 1903-1946) et son homologue administratif le Wirtschaftsverwaltungshauptamt, WVHA (que dirige le général SS Oswald Pohl), constitueront les deux grands états-majors subordonnés à Himmler. Ses troupes sont les formations militaires SS, les SS Verfügungstruppen, qui prendront en mars 1940 le nom de Waffen SS et les SS Totenkopfverbände, ou SS tête de mort, troupe de police sélectionnée « pour action particulière de nature politique » qui sera chargée de la garde des camps (15 000 hommes en 1942, 35 000 en 1945).

Quelques éléments de la vie concentrationnaire

Arbeitsstatistik, bureau de la hiérarchie des détenus chargé de leur répartition dans les commandos de travail adaptés aux entreprises allemandes (c’est l’organe d’exécution de l’Arbeitseinsatz SS).

Blockältester, doyen de bloc (hiérarchie des détenus).

Blockführer, chef de bloc (hiérarchie SS).

Bunker, bâtiment en dur comprenant la prison et souvent les locaux où étaient pratiquées les exécutions.

chambre à gaz, local fermé ayant l’apparence de douches et destiné à l’extermination par inhalation de gaz « cyclon B » (acide prussique). En dehors de celles des camps (Auschwitz, Birkenau, Majdanek, Struthof, Ravensbrück, Oranienburg...), il existait des chambres à gaz mobiles.

expérimentations. Les SS, considérant les détenus comme du matériel humain, pratiquèrent dans des blocs d’isolement de monstrueuses expériences sur certains d’entre eux pris comme cobayes : expériences de résistance à la pression, à l’altitude et au froid, à la malaria (Dachau), sur le typhus et la castration (Buchenwald), la gangrène, la stérilisation de femmes et d’enfants (Ravensbrück et Auschwitz), toutes sortes de vaccination, etc.

faim. En dépit du travail exigé, l’alimentation des détenus est volontairement réduite au-dessous du minimum vital ; moyen d’extermination, la faim entraîne amaigrissement squelettique, œdème, psychose, etc. À Mauthausen, les détenus reçoivent le matin 1/4 de litre d’ersatz de thé, à midi 3/4 de litre de soupe au rutabaga ou au chou-rave, le soir 400 g de pain et 30 g de saucisse.

kapo, détenu investi par les SS d’une certaine autorité vis-à-vis de ses camarades, soit dans le service intérieur du camp (le kapo de cuisine était un poste clé), soit dans les commandos de travail.

KL ou KZ (abrév. de Konzentrationslager), camp de concentration.

Lagerältester, doyen de camp (hiérarchie des détenus).

Lagerschreiber, secrétaire de camp (hiérarchie des détenus) adjoint au Lagerältester, chargé de toute la partie administrative et coiffant en particulier l’Arbeitsstatistik.

musulman, déporté qui a atteint les extrêmes limites de l’épuisement et dont l’absence de toute réaction fait penser au fatalisme musulman.

NN-Erlass, décret Nuit et Brouillard.

Prominente, ensemble des notabilités de la hiérarchie des détenus.

Revier, infirmerie des détenus où, malgré médecins et infirmiers SS qui la contrôlent, des médecins détenus parvinrent par leur dévouement et leur intelligence à sauver de nombreuses vies humaines.

sélection, choix, opéré par des médecins SS, des détenus jugés par eux incurables ou inaptes au travail et désignés ainsi pour l’extermination par gaz, piqûre, etc.

triangle, pièce triangulaire cousue sur la tenue rayée des détenus et surchargée d’une lettre indiquant leur nationalité. La couleur du triangle variait avec leur catégorie : rouge (politique), verte (droit commun), noire (cas sociaux, souvent aussi Tziganes), rose (homosexuels), violette (sectateurs de la Bible ou objecteurs de conscience). Les juifs portaient l’étoile jaune, ou parfois (comme à Mauthausen) une étoile bicolore formée de deux triangles, l’un jaune, l’autre indiquant la catégorie.

Le commando de Melk
KZ de Mauthausen

Créé le 21 avril 1944 pour la construction d’une usine souterraine de roulements à billes, il fut initialement constitué à 95 p. 100 par un convoi de déportés français formé à Compiègne au début d’avril pour Mauthausen. De ce fait, les Français purent occuper et conserver à Melk quelques postes clés : Schreibstube, Arbeitsstatistik, Block-Schreiber, kapos de commandos de travail et même à la fin Lagerälteste. Tous ces postes étant détenus par les triangles rouges, la solidarité nationale y fut particulièrement remarquable. Elle unissait des groupes très divers, soit politiques (en grande majorité communistes), soit religieux (animés par quelques prêtres ayant réussi à camoufler leur identité), soit professionnels (militaires), tous également et farouchement décidés à s’entraider pour survivre. C’est ainsi que maintes vies humaines pourront être épargnées, tel ce sauvetage qui compte parmi les plus beaux exemples de cette solidarité. H..., kapo français, précieux par sa connaissance parfaite de l’allemand, son sens de l’humain et son abnégation sans limite, est perdu. Atteint d’une mastoïdite, il est à l’infirmerie, où le chirurgien déporté grec qui opère est dans l’incapacité d’intervenir faute d’outillage adapté. L’alerte est donnée à la Schreibstube ; il y a concertation de tous les groupes et accord : on va tout faire pour tenter de sauver H... En 24 heures, les cotes des instruments de chirurgie sont transmises par l’infirmerie. Le Schlüsserkommando (serrurier chargé de l’entretien du camp) les forge en un temps record et on réussit ensuite à les introduire à l’infirmerie en déjouant la fouille systématique. L’intervention a lieu au nez et à la barbe du médecin-chef SS (qui n’a d’ailleurs de médecin que le nom). H... est sauvé !