Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chorégraphie (suite)

Si des œuvres d’August Bournonville*, de Marius Petipa* ont pu être remontées et si elles se perpétuent grâce à une tradition constamment entretenue, certaines chorégraphies connaissent des versions nouvelles qui ont une qualité parallèle à la première ou, au contraire, une valeur absolument différente, telles celles du Lac des cygnes (Marius Petipa et Lev Ivanov, 1895 ; Vladimir Bourmeister, 1961), de l’Oiseau de feu (Michel Fokine, 1910 ; Maurice Béjart, 1970), de l’Après-Midi d’un faune (Vaslav Nijinski, 1912 ; Jerome Robbins, 1953), du Sacre du printemps (V. Nijinski, 1913 ; M. Béjart, 1959), du Fils prodigue (G. Balanchine, 1929 ; J. Lazzini, 1967).

Comme tous les arts, la chorégraphie évolue ; elle peut s’éloigner et de la tradition et des chemins battus en se séparant délibérément des cénacles. Ainsi, certains jeunes danseurs et chorégraphes de l’Opéra de Paris ont tenté leur chance au festival d’Avignon en 1970 ; en Grande-Bretagne, le Ballet Rambert n’a pas hésité à changer totalement sa raison d’être en ne produisant que des œuvres de jeunes chorégraphes ; même l’U. R. S. S. est touchée par cette tendance, comme en témoigne la version du Sacre du printemps qu’a donnée Natalia Kassatkina (au théâtre Bolchoï) en 1965. Les chorégraphes d’avant-garde comme Merce Cunningham (États-Unis) ou Hans Van Manen (Pays-Bas) ne craignent pas de pousser fort loin leurs expériences gestuelles et corporelles, tandis que l’improvisation collective est pratiquée par la troupe de Maurice Béjart (Variations pour une porte et un soupir, 1965) ou par celle de Joseph Lazzini (Granges gothiques de Negron, près d’Amboise, 1969).

H. H.

➙ Ballet / Danse / Notation chorégraphique.

Chostakovitch (Dmitri)

Compositeur soviétique (Saint-Pétersbourg 1906 - Moscou 1975).


Agé de onze ans seulement lors de la révolution d’Octobre, n’ayant, d’autre part — contrairement à Prokofiev —, jamais séjourné hors d’U. R. S. S. de manière prolongée, il est donc le premier grand musicien purement soviétique. Sa carrière n’a pas été sans heurts ni crises graves. Officiellement, elle se présente comme une alternance de consécrations (nombreux prix Staline, puis Lénine, décernés à ses œuvres les plus conformistes, comme la septième symphonie, le Chant des forêts, etc.) et de blâmes, assortis de sévères rappels à l’ordre, affectant certains de ses meilleurs ouvrages (Lady Macbeth de Mtsensk, quatrième et treizième symphonies, etc.). Pour juger l’œuvre, il est indispensable de l’examiner dans son ensemble et de replacer l’auteur dans un juste contexte éthique et social. On découvrira alors un créateur infiniment complexe et tourmenté, aux contradictions parfois déroutantes. Ce tempérament épique et introspectif, doué pour la fresque, mais aussi pour la méditation intime, est en fait un écorché, un hypersensible, qui cherche refuge dans le sarcasme ou la grimace, un peu comme un Gustav Mahler, dont il est, dans ses grandes symphonies, le descendant le plus authentique. C’est dire que l’optimisme de commande, la simplification brutale, prônés par l’idéologie officielle de son pays, lui conviennent mal. Or — et ce n’est pas son moindre paradoxe —, Chostakovitch est sans aucun doute un communiste sincère, dont l’idéal éthique et artistique est de toucher le plus grand nombre d’auditeurs. Le drame, c’est que ses œuvres les plus subjectives, les plus intérieures, les plus intimes sont d’une valeur incomparablement supérieure à celle de ses musiques à « programme » idéologique : les symphonies « abstraites » (nos 4, 6, 8, 10) surpassent de haut celles qui veulent célébrer des aspects de la vie politique de l’U. R. S. S. (nos 3, 7, 11, 12), qui tombent trop souvent dans la platitude et l’emphase. Aussi, le compositeur trouve-t-il de plus en plus un refuge dans la musique de chambre : inaugurée sur le tard, l’admirable série de ses quatuors à cordes a graduellement pris le pas sur sa production symphonique, qui s’en rapproche singulièrement dans sa manifestation la plus récente (quatorzième symphonie, pour 2 voix solistes et 19 instruments : cordes et percussions). La condamnation imméritée de son opéra Katerina Izmaïlova (alias Lady Macbeth de Mtsensk), « réhabilité » seulement un quart de siècle plus tard, nous a privés d’une production dramatique qui eût pu faire pendant à ses symphonies et à ses quatuors. À bien des égards, Katerina Izmaïlova (op. 29, 1932-1962) demeure l’œuvre capitale de son auteur, celle dans laquelle il s’exprime le plus totalement et le plus audacieusement. Non moins riche, sa quatrième symphonie a souffert d’un discrédit également prolongé. Durant les années les plus noires du stalinisme (entre 1947 et 1953), Chostakovitch a conservé par devers soi des ouvrages qu’il n’a rendus publics que plus tard (premier concerto pour violon, quatrième et cinquième quatuor). Plus récemment, sa treizième symphonie (1962), pour basse, chœur de basses et orchestre, sur cinq poèmes d’Evgueni Evtouchenko flétrissant le stalinisme et en particulier l’antisémitisme (l’œuvre débute par le fameux poème « Babi Iar »), a été interdite en U. R. S. S. à l’issue de ses premières auditions. Ces épreuves, jointes à une santé déficiente, permettent d’expliquer l’inspiration presque uniformément sombre des œuvres récentes de Chostakovitch, hantées par la mort, telle sa quatorzième symphonie, sorte de requiem profane. De pair avec les récents quatuors (nos 7 à 13, 1960-1970) ou l’énigmatique deuxième concerto pour violoncelle (1966), elle oblige à reconsidérer le stéréotype du « musicien soviétique officiel » : Chostakovitch, retrouvant les thèmes éternels de l’humanisme russe, utilisant un langage d’une liberté, d’une originalité et d’une hardiesse croissantes, crée des œuvres fortes et concentrées, puissamment personnelles et que la postérité retiendra à l’égal des pages d’une juvénile audace qui le rendirent célèbre à vingt ans.