Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Loin de se contredire, la théorie du yinyang et celle des cinq éléments se complètent. Les auteurs des « Commandements mensuels » (chapitre du Lüshi Chunqiu [Lu-che Tch’ouen-ts’ieou] du iiie s. av. J.-C.) — almanach qui indique au souverain et aux hommes en général les devoirs à accomplir suivant les mois pour être en harmonie avec la nature — ont ingénieusement combiné les deux théories pour expliquer le retour des saisons. Cela revêt une importance particulière pour une société agraire.

Plus tard, l’école du yinyang assimila encore le mystère des nombres en incorporant à leur cosmologie les hexagrammes du Livre des mutations (Yijing [Yi-king]). On connaît mal l’origine des huit trigrammes, dont chacun est composé de trois lignes divisées ou non divisées :

Selon la tradition, Fu Xi (Fou Hi), le premier souverain légendaire de la Chine, fut l’inventeur des huit trigrammes. En combinant deux de ces trigrammes, on arrive à faire 64 hexagrammes. Le Livre des mutations fut d’abord un livre à l’usage des devins, qui utilisaient les hexagrammes dans leur divination. Mais des interprétations complémentaires, les unes morales, les autres métaphysiques ou cosmologiques, s’y ajoutèrent. Le livre devint un des cinq grands classiques du confucianisme. Les philosophes du yinyang empruntèrent au Livre des mutations le symbolisme du nombre pour donner à leur cosmologie un aspect plus mathématique. Par exemple, la ligne non divisée __ est le symbole du yang, et la ligne divisée _ _ celui du yin ; ainsi les nombres du yang sont toujours impairs, et ceux du yin, pairs. Le trigramme

est le symbole du yang et représente le ciel, le père, etc. ; le trigramme
est le symbole du yin et représente la terre, la mère, etc.

Zou Yan (Tseou Yen) fut le plus important représentant de cette école (iiie s. av. J.-C.). Il a beaucoup écrit, mais malheureusement tout a été perdu. D’après les Mémoires historiques de Sima Qian (Sseu-ma Ts’ien), nous avons une idée approximative de la théorie de Zou Yan, purement matérialiste, sur la structure de l’univers et les étapes de l’histoire à partir de la création du ciel et de la terre.

Dans le taoïsme, Laozi (Lao-tseu) a pris les termes yin et yang. Mais, au temps du néo-taoïsme (ve s.), l’intérêt philosophique s’est concentré sur les problèmes de l’être et du non-être, de l’agir et du non-agir. Les problèmes du yin et du yang ainsi que des cinq éléments sont empruntés et assumés par la religion taoïste et les arts occultes.

Au xie s., ce fut Zhou Dunyi (Tcheou Touen-yi) qui mit en ordre ces notions pour créer une cosmologie pseudo-scientifique et en déduisit une morale confucéenne. Shao Yong (Chao Yong, 1011-1077), Zhang Zai (Tchang Tsai, 1020-1077) continuèrent à élaborer le système, et ce fut le début du néo-confucianisme.

Il est intéressant de noter que non seulement il existait une école philosophique yinyang, mais encore que cette vue matérialiste du monde était acceptée aussi bien par les confucianistes que par les taoïstes comme objectivement vraie. L’importance de cette école réside dans sa tentative d’expliquer l’ordre et la structure de l’univers d’une manière matérialiste. La théorie aurait pu devenir scientifique — comme l’alchimie du Moyen Âge en Europe a évolué vers la chimie —, mais, malheureusement, cette ou ces théories sont restées une cosmogonie mystique pour, sans doute, deux raisons :
1. La théorie semble tellement parfaite que les Chinois ne l’ont jamais mise en doute ;
2. La théorie reste centrée sur l’homme. Les philosophes veulent établir un rapport entre la conduite de l’homme et les phénomènes de la nature. Ils ont mécanisé en quelque sorte les phénomènes humains et humanisé les phénomènes naturels. Cette ambiguïté constitua un obstacle aux études vraiment scientifiques.

La théorie du yinyang a trouvé son application dans divers domaines, comme l’astronomie, la géographie, l’histoire, la musique, et surtout la médecine.

À l’époque des Han, Wang Chong (Wang Tch’ong) [27-97 apr. J.-C.], grand penseur à l’esprit scientifique, critiqua vigoureusement la doctrine de l’école du yinyang et nia l’existence d’une interaction entre le ciel et l’homme.


L’école des sophistes

Cette école est appelée en chinois ming-jia (l’école des noms). Les sophistes étaient, à l’origine, des juristes. En défendant leurs clients, ils analysaient les textes, surtout les « noms », et cherchaient à redéfinir les mots. La langue chinoise est fondamentalement monosyllabique, sans conjugaisons ni déclinaisons ; les catégories et les relations grammaticales sont peu distinguées, et elles ne favorisent pas la pensée abstraite. Cette école a contribué à attirer l’attention du philosophe sur l’analyse des concepts et du discours.

Hui Shi (Houei Che) et Gongsun Long (Kong-souen Long) sont les deux plus importantes figures des sophistes.

Hui Shi (350-260 av. J.-C.), originaire de l’État de Song et Premier ministre du roi Hui (Houei) de Wei, écrivit énormément, mais tous ses ouvrages sont perdus. Tout ce que nous connaissons de ses idées se réduit aux « dix arguments », qui proviennent du chapitre « le Monde » du Zhuongzi (Tchouang-tseu) :
1. Le plus grand n’a rien qui soit en dehors de lui, et il est appelé le Grand Un. Le plus petit n’a rien qui soit à l’intérieur de lui et il est appelé le Petit Un ;
2. Ce qui n’a pas d’épaisseur ne peut s’additionner en épaisseur, mais sa grandeur est de mille li ;
3. Le ciel est aussi bas que la terre ; les montagnes sont au même niveau que les marais ;
4. La grande similitude ressemble à la petite similitude et diffère de celle-ci : c’est ce qu’on appelle petite similitude et différence. Toutes choses se ressemblent et diffèrent les unes des autres : c’est ce qu’on appelle grande similitude et différence ;
5. Le sud n’a pas de limites et est limité ;
6. Je vais aujourd’hui à l’État de Yue et j’y arrive hier ;
7. Je connais le centre du monde. Il est au nord de Yan (Yen) [État du nord de la Chine] et au sud de Yue (État du sud de la Chine) ;
8. Des anneaux de jade taillé enfilés les uns dans les autres sont séparables ;
9. Le soleil vient d’atteindre le zénith et il vient d’obliquer. Un être vient de naître et il vient de mourir ;
10. Aimer toutes les choses ; le ciel et la terre sont un seul corps.