Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Châteauroux (suite)

Ville du centre de la France, Châteauroux commande, sur l’Indre, une position topographiquement assez médiocre. Hésitante dans le choix de son site dans une région de relief indifférencié (moins de 15 m entre plateau et vallée), elle n’abandonne qu’au xe s. une tête de pont antiquement occupée (Déols) pour un emplacement fortifié, œuvre d’un seigneur du lieu (castrum Radulphi, Château-Raoul). Sa situation régionale est meilleure. Point de convergence routière d’accès facile dans l’ouest de la Champagne berrichonne, étape sur l’axe Paris-Toulouse mis en valeur au xviiie s. par la route moderne, marché agricole du bas Berry au contact de la Champagne, du Boischaut et de la Petite Brenne, Châteauroux trouve en 1790, dans sa promotion à la tête du département de l’Indre, la consécration d’un état de fait. Centre de redistribution (alimentation, matériel d’équipement, chaussures, produits pharmaceutiques), centre administratif, Châteauroux emploie dans son secteur tertiaire 55 p. 100 de sa population active (14 200 sur 26 000).

L’originalité de l’économie castelroussine réside cependant surtout dans sa fonction industrielle. Au cœur d’une région vouée à l’élevage du mouton, Châteauroux a hérité du travail de la laine une vieille tradition textile. Une manufacture de draps fondée en 1751 fabrique aujourd’hui, reconvertie, tapis et moquettes (Balsan). La confection a gardé en atelier, puis en usine, une grande place (lingerie, chemiserie). À ses activités indigènes s’est ajouté aux xixe et xxe s. un large apport du dehors. Châteauroux accueillait en 1856 une manufacture de tabacs, en 1919 une fonderie d’aluminium (pièces automobiles et aéronautiques), en 1936 une usine d’aviation et une fabrique de pompes, étendue de nos jours à d’autres secteurs de fabrication (amortisseurs pour poids lourds, boîtes de vitesses pour tracteurs, centrifugeuses), après 1960 une imprimerie, des usines de constructions mécaniques, de céramique (faïence de bâtiment), de matériel de photocopie, de compteurs, de cartonnages, de plastiques. Elle compte aussi une importante biscotterie, un laboratoire de spécialités pharmaceutiques. L’industrie représentait, en 1968, 43 p. 100 des emplois de l’agglomération (11 200).

Châteauroux n’en a pas moins connu depuis quelques années une conjoncture difficile. Son axe parisien manque de grandes radiales : la fermeture au trafic des voyageurs des lignes ferroviaires de Tours et Montluçon en 1970 en est la dernière illustration. Surtout, la création d’une base militaire américaine à ses portes, décidée au lendemain de la signature du traité de l’Atlantique Nord de 1949 (O. T. A. N.), a faussé sa destinée. Choisie par l’état-major pour l’importance de ses installations déjà existantes (premier camp américain de la Martinerie en 1917, aérodrome et usine d’aviation de Déols en 1936), pour sa position centrale dans le Centre-Europe, pour la valeur aéronautique de son plateau, étendu, dégagé, Châteauroux allait vivre, dix-huit ans durant, à l’heure américaine, ses rues encombrées de voitures démesurées, son commerce stimulé par un gros apport d’argent frais, ses habitudes bourgeoises de petite province malmenées. La base employa jusqu’à 7 000 personnes. Sa fermeture en 1967, pourtant prévisible dès 1955, mais jamais sérieusement considérée, n’en fut que plus durement ressentie (effondrement de la masse salariale, chômage intense). Aucune mesure de substitution n’avait été prise à temps. Châteauroux, qui aurait dû créer un millier d’emplois par an, n’en créait en sept ans (1960-1966), par opérations de décentralisation souvent laborieuses, que 1800. En dépit de quelques résultats, de l’installation d’une nouvelle garnison (centres d’instruction du service du matériel), le marché de l’emploi est resté lourd. Les jeunes émigrent. La croissance de Châteauroux (avec Déols) entre 1962 et 1968 fut la plus faible des villes de la région, n’atteignant que 5,7 p. 100. Châteauroux entraîna dans la stagnation tout son département. Une nette reprise a été enregistrée à Châteauroux et surtout à Déols après 1968.

D’un centre mal venu, étiré, sans caractère, à l’image d’un carrefour resté mal articulé, la ville moderne s’est étendue sur son plateau vers le sud, en ondes concentriques, guidée par la gare et un boulevard de ceinture précocement tracé (enceinte d’octroi de 1836). Dans les angles morts d’une trame rayonnante de faubourgs tardifs (Beaulieu, route de Velles, avenue de La Châtre), des cités ont surgi depuis vingt ans (cités de Beaulieu - Champ Bossu, 2 000 logements ; des Grands Champs, 550 ; cité américaine de Tout-Vent, 1 200). Une zone industrielle occupe 136 ha. Une zone à urbaniser par priorité (Z. U. P. Saint-Jean-Champ-Auger) est en cours d’édification (4 200 logements). À 7 kilomètres de là, la commune du Poinçonnet (2 349 hab.) fait timidement son entrée dans l’agglomération. À l’est, sur la rive droite de l’Indre, une seconde zone industrielle de 75 ha se développe sur la Martinerie. Vers le nord, l’agglomération projette, au-delà des prairies inondables de l’Indre, les bourg et faubourg de rive de Déols surtout (5 693 hab.) et de Saint-Christophe. La base aérienne de Déols, sur la route de Paris, et la cité américaine de Brassioux, sur celle de Blois, ont préparé sur ces deux axes un ancrage déjà bien visible aujourd’hui.

Y. B.

➙ Berry / Centre / Indre.

Chaucer (Geoffrey)

Poète anglais (Londres v. 1340 - Westminster 1400).


Fils d’un marchand bourgeois de Londres, attiré par la Cour et les lettres, Chaucer domine la seconde moitié du xive s. littéraire anglais de sa personnalité exceptionnelle. Alors que ses contemporains Wyclif, Langland et son ami le « moral » Gower ne représentent que les goûts, les tendances de leur temps, qu’ils expriment avec les seuls moyens de leur temps, il va, lui, introduire dans la poésie des formes, des rythmes originaux et créer une œuvre qui, par-delà l’empreinte d’une époque, porte déjà la marque de l’universalité. Pourtant, dès l’abord, son art ne semble pas lui être apparu comme sa vocation profonde. Il tendrait plutôt à l’assimiler à un devoir de cette charge qu’il assume, jeune page, dans la maison de la comtesse Elizabeth d’Ulster, puis vers 1359 à la cour d’Édouard III (il épouse en 1366 une demoiselle d’honneur de la reine), et qui est encore la sienne quand il passe en 1369 au service de la duchesse de Lancastre, première femme de Jean de Gand, son protecteur et ami de toujours. On ne s’étonnera donc pas que certains de ses poèmes soient essentiellement des œuvres circonstancielles, de courtisan, tels The Book of the Duchess (le Livre de la duchesse), élégie écrite en 1369 au moment de la mort de Blanche, première femme de Jean de Gand, ou The Parliament of Fowls (le Parlement des oiseaux), donné en 1382 à l’occasion des fiançailles de Richard II et d’Anne de Bohême. Chaucer n’échappe pas non plus aux conventions poétiques de son siècle. Profondément marqué par le Roman de la Rose, qu’il a traduit, il lui emprunte allégorie, personnification des abstractions et cette sentimentalité courtoise qu’on retrouve également dans The House of Fame (la Maison de la renommée, v. 1374-1382) ou encore dans The Legend of Good Women (Légende des dames exemplaires, v. 1368 ; 2e version v. 1395). Sur le plan technique, quand il a recours à un rêve pour introduire l’allégorie, il ne fait que reprendre un procédé utilisé par nombre d’autres écrivains : aussi bien par l’auteur inconnu de la Perle que par Langland et Gower. Mais à travers les maladresses de ses premiers écrits, sous les influences de toutes sortes, on découvre déjà la grâce poétique alliée à un bon sens teinté d’ironie, qualités qui dénotent une intelligence vive, indépendante et un riche tempérament. Cet esprit curieux, avide de connaissances, passionné de lecture — car « ... des vieux livres, assurément, sort toute cette science qu’enseignent les hommes » —, ne saurait se satisfaire de ce que lui offre le Moyen Âge et dont s’accommodent ses confrères. Se détournant des voies de la littérature anglo-saxonne, sombre et tourmentée, aussi bien que de celles de la littérature anglo-normande, sèche et appauvrie, c’est sur le continent que celui qu’on considère comme le père de la première littérature vraiment nationale de l’Angleterre va chercher ses maîtres et élargir les horizons de sa culture. Envoyé du roi en Europe, chargé de missions diplomatiques ou pour affaires concernant la Couronne, il séjourne en France à différentes reprises, notamment en 1368, 1369 et 1370. C’est un admirateur passionné d’auteurs comme Guillaume de Machaut, Jean Froissart ou Eustache Deschamps. Il a voyagé aussi en Italie, d’abord sous le règne d’Édouard III (1372), puis de Richard II (1378), et en a rapporté le goût des grands humanistes de la péninsule, Dante, Pétrarque, Boccace aussi, avec qui il a bien des points communs et dont on retrouve l’influence dans son Troilus and Criseyde (Troïlus et Crisède, v. 1385), adapté du Filotrasto. Aux uns, il emprunte vérité et réalisme de l’écriture. Aux autres, la finesse et la poésie courtoise. Il y ajoute humour, modération, ce solide bon sens qui deviendra la marque distinctive de tant de ses lointains successeurs. Par sa recherche d’un art où les considérations didactiques ne ressortent plus comme l’objet essentiel, il apparaît longtemps avant la Renaissance anglaise comme le type déjà esquissé de la Renaissance européenne. Enfin, il mérite bien le titre de « premier inventeur de notre beau langage » que lui décerne son contemporain Thomas Hoccleve. Le matériau de son œuvre n’est ni le latin, ni le français alors en usage, mais le dialecte du centre-est de l’Angleterre ; et son outil, plus que l’octosyllabe communément utilisé, c’est le décasyllabe, qu’il a ramené de France. Ce dialecte, celui de Londres, deviendra la langue nationale. Ce vers, qu’on appellera plus tard le vers « héroïque », s’installera en conquérant dans les lettres anglaises.