Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chartisme (suite)

La « Charte du peuple »

C’est le document qui donne son nom au mouvement. Le texte, élaboré en commun en 1838 par deux artisans de l’Association des travailleurs de Londres, Lovett et Hetherington, et par le politicien radical Francis Place, comporte six revendications politiques :
1o le suffrage universel ;
2o le renouvellement annuel du Parlement ;
3o le scrutin secret ;
4o une indemnité parlementaire pour les députés ;
5o la suppression du cens pour être élu député ;
6o l’égalisation des circonscriptions électorales.

Trois grandes pétitions successives présentent la Charte au Parlement : la première, en 1839, recueille 1 200 000 signatures ; la deuxième, en 1842, en rassemble plus de 3 millions, mais le Parlement la rejette après un grand débat sur le suffrage universel ; la dernière, en 1848, apportée par O’Connor à Westminster, est un nouvel échec, d’autant que de nombreuses signatures se révèlent fantaisistes.


Le déclin

Après 1842, le chartisme, ravagé par les querelles de personnes et de doctrines, se fractionne en multiples courants. Une agitation menée par la classe moyenne pour l’abolition des lois sur les blés lui fait une concurrence sérieuse en entraînant derrière elle beaucoup d’ouvriers. O’Connor se lance pendant ce temps dans une tentative fumeuse de colonies agricoles qui fait misérablement faillite. Cependant se produit en 1847 une nouvelle poussée révolutionnaire, qui aboutit à la convocation à Londres d’une troisième Convention chartiste. Mais la grande marche organisée le 10 avril 1848 de Kennington à la Chambre des communes et contre laquelle les autorités mobilisent d’énormes forces de police échoue complètement. L’agitation se poursuit sporadiquement dans le nord du pays. Au début de l’été 1848, le mouvement s’éteint dans la déception générale.

Après 1849-50, deux hommes tentent de ranimer le chartisme ; ce sont Julian Harney et Ernest Jones, tous deux fortement influencés par Marx, dont ils s’efforcent de propager les idées (c’est Harney qui assure la publication en anglais du Manifeste communiste). Symbole du nouveau style révolutionnaire du chartisme, le drapeau, qui, jusqu’à 1848, était vert, devient rouge. Mais cette action militante n’arrive pas à rallier les supporters épars ni à surmonter les découragements. Il en va de même du côté d’O’Brien, qui fonde la Ligue nationale pour la Réforme avec un programme de démocratie sociale avancée. La plupart de ces efforts ne rencontrent qu’indifférence dans le monde ouvrier. Les trade-unions restent étrangers aux préoccupations politiques et, a fortiori, aux menées révolutionnaires. Las de ne pouvoir mobiliser les énergies, la plupart des chartistes finissent par accepter l’alliance avec la bourgeoisie radicale en vue de réformes politiques : d’où l’agitation pour la réforme électorale qui se développe à partir de 1860. Malgré l’échec final, certains anciens militants chartistes seront parmi les premiers à accueillir avec empressement la renaissance du socialisme anglais après 1880.

F. B.


Les grandes figures du chartisme

Figures principales


William Lovett

(Newlyn, près de Penzance, 1800 - Londres 1877). Né en Cornouailles dans une famille de pêcheurs, il vient gagner sa vie à Londres comme ébéniste. Il fréquente les clubs ouvriers et les instituts de culture populaire. Gagné aux idées radicales et au socialisme owénien, il devient l’un des animateurs du mouvement ouvrier dans la capitale et est nommé secrétaire du Comité des métiers de Londres. L’un des créateurs du chartisme, il en représente la figure dominante pendant la première phase de l’agitation. Toute sa vie, il s’est passionné pour l’éducation du peuple autant que pour l’action politique. Intelligent, honnête, courageux, cet idéaliste incarne le courant de la « force morale » ; à ce titre, il a bénéficié des appréciations les plus louangeuses des historiens libéraux et travaillistes.


James Bronterre O’Brien

(Granard, comté de Longford, 1805 - † 1864). Appelé « le maître d’école du chartisme », cet avocat d’origine irlandaise est à la fois théoricien, publiciste et homme d’action. Sa puissance oratoire lui assure des auditoires enthousiastes. Admirateur de Robespierre et de Babeuf, il dénonce avec véhémence les injustices de l’ordre social et s’approche de positions socialistes. Il abandonne le parti de la « force physique » pour se rallier après 1848 à une forme de démocratie sociale qu’il soutient au moyen de la Ligue nationale pour la Réforme.


Feargus Edward O’Connor

(Connorville, Irlande, 1794 ou 1796 - Londres 1855). Sans être le démagogue brouillon dépeint par ses adversaires, O’Connor introduit dans le chartisme une note révolutionnaire de passion et de violence, mais sans une claire vision de la tactique à suivre. Ses talents d’orateur et ses qualités de journaliste (il dirige le journal populaire Northern Star) lui confèrent une immense popularité. Patriote irlandais en même temps que chef du parti de la « force physique », c’est lui qui annonce en une formule célèbre l’appel aux « vestes de futaine » et aux « mentons mal rasés » d’Angleterre. Après les échecs de ses tentatives de colonisation agricole, O’Connor est élu au Parlement. Il sombre vers 1851 dans la folie, mais, en 1855, son enterrement donne lieu à un grand rassemblement chartiste.


Ernest Charles Jones

(Berlin 1819 - Manchester 1869). C’est le dernier leader du chartisme. Né dans une famille de la gentry, il adhère tard au chartisme, vers 1846, mais s’impose vite comme leader. Ses Chansons chartistes (The Song of the Lower Classes, 1856) lui valent une grande popularité. Excellent journaliste, il a du style, du flair, le sens inné de l’organisation et de la propagande. En relations suivies avec K. Marx de 1850 à 1856, il introduit et répand les thèmes marxistes dans le chartisme. Après 1858, découragé, il s’installe à Manchester, où il milite dans les rangs des radicaux pour la réforme électorale.

Figures secondaires


Thomas Attwood

(Halesowen, Worcestershire, 1783 - Great Malvern 1856). Banquier radical de Birmingham, il fonde en décembre 1829 l’Union politique de Birmingham dans le cadre de l’agitation pour la réforme du Parlement. Il se rallie au mouvement chartiste et présente lui-même la première « pétition nationale » au Parlement de 1839.


Thomas Cooper

(Leicester 1805 - Lincoln 1892). Né dans une famille pauvre, orphelin de bonne heure, il se fait tour à tour cordonnier, musicien, prédicateur wesléyen, journaliste, conférencier, poète. Cet autodidacte, qui a appris le latin, le grec, le français, les mathématiques, est un leader passionné, toujours prompt à s’enflammer, qui bénéficie d’une immense popularité vers 1841-42.


John Frost