Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charlemagne ou Charles Ier le Grand (suite)

Cette méthode fait d’abord ses preuves en Aquitaine, qu’il a soumise rapidement en 769, mais où il n’impose la présence des comtes francs qu’à partir de 778, présence d’ailleurs bientôt compensée en 781 par l’érection de l’ancien duché en un royaume particulier ayant pour souverain le fils en bas âge de Charlemagne, le futur Louis Ier le Débonnaire. Il en est de même en Bavière, où le duc Tassilon, qui s’est reconnu vassal du roi franc en 757, s’est soustrait à son devoir militaire dès 763. Charlemagne lui impose d’abord la remise de douze otages et le renouvellement de son serment de vassalité en 781 et en 787, la seconde fois à la suite d’une campagne répressive qui se termine par la tenue du camp de Lechfeld le 3 octobre 787 ; puis, après une ultime révolte à laquelle le peuple de Bavière terrorisé refuse de participer, Charlemagne le condamne à Ingelheim en juin 788 à la pénitence perpétuelle sous l’habit monastique, à Jumièges puis à Worms. Tassilon sortira temporairement de son couvent en 794 pour réitérer publiquement devant l’assemblée générale de Francfort sa renonciation et celle de ses héritiers à tous leurs droits sur la Bavière et sur le protectorat de Carinthie. Soumise au droit commun de la monarchie, la Bavière conservera néanmoins son individualité puisqu’elle ne formera qu’une seule circonscription administrative (toujours divisée en Gaue) et religieuse (celle de l’archevêché de Salzbourg) et puisque ses habitants garderont sur le plan du droit privé le bénéfice de la lex Bajuvariorum.

Ainsi les Bavarois s’habituent peu à peu à voir dans la personne de Charlemagne non plus le destructeur de leurs libertés, mais l’héritier légitime de leurs ducs nationaux, ce qui facilite, évidemment, leur intégration au sein du regnum Francorum.

Avec les autres peuples qui menacent la sécurité de son royaume et dont il vise également à faciliter l’assimilation par le respect des particularismes locaux, Charlemagne doit, au préalable, faire usage de la force. Le recours à cette dernière est particulièrement nécessaire à l’encontre des irréductibles Saxons : la conquête franque ne peut être menée à bien qu’au terme de trente-deux années d’une lutte inexpiable (772-804), tempérée par des mesures qui visent, comme en Bavière, à respecter le droit privé des populations locales et à leur imposer un système de gouvernement faisant entrer la Saxe dans le droit commun.

À moindre prix et beaucoup plus rapidement, mais par les mêmes méthodes, Charlemagne est parvenu à soumettre les farouches Frisons, païens irréductibles qui se sont révoltés contre la domination franque en 784, à l’exemple des Saxons, mais qui doivent se soumettre définitivement en 785 lorsque ces derniers ont déposé les armes. Divisée en comtés administrés par des fonctionnaires francs contraints de fournir des hommes à l’ost royal, la Frise est définitivement évangélisée au début du ixe s., époque à laquelle est rédigée sur ordre de Charlemagne la lex Frisionum, oui facilite l’administration juridique dans le respect du droit national.

Avec l’annexion et la pacification définitive de la Lombardie, de la Bavière, de la Saxe et de la Frise, Charlemagne a pratiquement achevé de constituer territorialement son Empire, qui se caractérise par son immensité et par sa continentalité. Une tâche reste à accomplir : mettre l’Empire à l’abri des incursions qui menacent sa sécurité tant sur ses frontières terrestres (musulmans d’Espagne, Avars, Slaves et Bretons) que sur ses frontières maritimes (Normands).

Vis-à-vis de ses voisins, Charlemagne utilise à la fois l’offensive (raids en profondeur, livraison d’otages, versement d’un tribut, établissement d’un protectorat) et la défensive (constitution de marches destinées à couvrir militairement le territoire franc).

Il en est ainsi au sud des Pyrénées. Malgré le massacre de l’arrière-garde de l’armée royale à Roncevaux, le 15 août 778, au retour de l’expédition de Pampelune, Charlemagne parvient à occuper progressivement tous les territoires compris entre les Pyrénées et l’Èbre, et qui jusqu’alors font partie de l’émirat omeyyade de Cordoue. Établis à Gérone en 785, aux Baléares en 799, à Barcelone en 801, à Pampelune en 806, à Tortose enfin en 811, les Francs fondent finalement la marche d’Espagne, administrée par un comte résidant à Barcelone. Choisis parmi les Goths, tel le premier d’entre eux, Bera, les comtes de la marche facilitent l’assimilation rapide des populations locales, chrétiennes depuis longtemps et parmi lesquelles on ne rencontre pratiquement plus d’éléments musulmans, ces derniers s’étant retirés au sud de l’Èbre.

Représentant un danger très sérieux pour les possessions franques du Frioul et de Bavière, contre lesquelles ses forces multiplient les raids en 788, l’empire asiatique des Avars, implanté en Pannonie, est finalement rayé de la carte de l’Europe au terme de trois campagnes menées par Charlemagne et par ses fils en 791, en 795 et en 796, la première les ayant conduits jusqu’aux bords de la Raab et les deux dernières s’étant terminées par la prise du ring avar, c’est-à-dire de l’enceinte fortifiée sans doute établie entre Tisza et Danube et à l’intérieur de laquelle les Avars entassaient leurs richesses, lesquelles viennent dès lors grossir le trésor royal d’Aix-la-Chapelle.

Réduisant les Avars à l’état de peuple vassal doté d’un gouvernement autonome, dont le chef, le khaghān, embrasse même le christianisme en 805, Charlemagne, grâce à une évangélisation progressive et habile, parvient à assimiler rapidement cet empire menaçant pour le sien ; il peut désormais couvrir sa frontière par la constitution en Pannonie de la marche avare.

Avec encore plus de souplesse et sans tenter une conversion que leur éloignement du centre de l’Empire rend aléatoire, Charlemagne entreprend de transformer les pays slaves situés entre l’Elbe et l’Oder en un vaste glacis protecteur de son Empire. Très forte aux confins septentrionaux de ce dernier, où les Obodrites collaborent avec lui à la réduction de la puissance saxonne dès 785 et acceptent finalement de lui la désignation de leur duc, en partie en raison de l’institution de la marche danoise, l’influence du roi des Francs s’affaiblit vers le sud. Il faut en effet attendre 808 et 811 pour que les Linons de la région de la Havel renoncent partiellement à leur attitude agressive, 812 pour que les Wilzes du futur Mecklembourg, attaqués dès 782, se soumettent définitivement aux Francs, 806 pour que la Saale soit atteinte en plein pays sorabe, 805 et 806 enfin pour que les Bohêmes, plus méridionaux, soient également contraints à entrer dans la zone d’influence franque.