Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanteurs et chanteuses (suite)

1965, la voix libre

À la suite de Ray Charles, la plupart des vocalistes ne résistent pas aux attraits du rock and roll et de la chanson pop. Côté jazz, il reste Oscar Brown Jr., qui tentera de donner au jazz funky un équivalent vocal ; Carmen McRae, qui prolonge les traditions vocales issues du bop ; Nina Simone, Roberta Flack et Abbey Lincoln, qui revaloriseront et actualiseront l’apparente simplicité et les cris des traditions vocales africaines ; Leon Thomas qui, en compagnie de musiciens du free jazz, hypertrophie le scat jusqu’à atteindre une sorte de délire vocal évoquant à la fois le chant jodlé et certains appels africains ; Patty Waters et Jeanne Lee, seules chanteuses qui ont su s’intégrer avec bonheur au mouvement « free » de la fin des années 60, pratiquant une sorte d’hystérie contrôlée qu’annonçait Abbey Lincoln.


Aux frontières du jazz

Il existait depuis 1936 environ, originaire principalement de Chicago et de Kansas City, une tendance à l’exaltation rythmique du blues noir qu’illustraient des chanteurs comme Joe Turner, Sonny Parker, Louis Jordan, Eddie Vinson, Wynonie Harris, Lavern Baker et Fats Domino. En 1954 naissait le rock and roll blanc, fruit du mariage de ce blues et de la musique campagnarde blanche (country and western) représentée par Hank Williams et Tennessee Ernie Ford. Les deux premières vedettes du genre, Bill Haley et Elvis Presley, déclenchèrent une mode musicale qui devait marquer et révolutionner la chanson populaire dans le monde entier. Elle suscita un nombre impressionnant de vocations : Ricky Nelson, Paul Anka, Frankie Avalon, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Eddie Cochran, Gene Vincent pour les Blancs ; Little Richard, Screamin Jay Hawkins, Brook Benton, Chuck Berry pour les Noirs. En France, elle fut à l’origine de la carrière de Johnny Hallyday. Durant les années 60, ce nouvel univers musical se partagea en fonction de deux pôles : le rock nègre, qui évolua vers le soûl avec Ray Charles, Chubby Checker, Wilson Pickett, Solomon Burke, Joe Tex, Otis Redding, James Brown et Little Stevie Wonder, et le rock anglo-saxon, né de l’« école » de Liverpool, dont les représentants les plus fameux furent les Beatles (George Harrison, John Lennon, Paul McCartney et Ringo Starr) et les Rolling Stones (avec Mick Jagger). En Angleterre, le rock se diversifiait en s’enrichissant de réminiscences du folklore celte (Donovan) ou de musique élisabéthaine (pour les Beatles), tandis qu’Eric Burdon, les Moody Blues, John Mayall, Eric Clapton et, un peu plus tard, Joe Cocker, un des plus remarquables disciples de Ray Charles, infléchissaient leurs œuvres vers le blues, voire le jazz. À la fin des années 60, sous l’influence de Bob Dylan, Pete Seeger, Joan Baez, Woody Guthrie et Peter Paul and Mary, critiques de la civilisation occidentale capitaliste, commentaires sociaux et politiques et contestations apparurent dans les textes (protest song ou folk song), soutenus par des harmonies empruntées à la fois au blues et aux folklores occidentaux (mariage qui définit la manière de Richie Havens, Janis Joplin et Melanie). Puis ce furent l’explosion et la multiplication des groupes « psychédéliques », où la place accordée aux sonorités électroniques de la guitare et de l’orgue devint aussi importante que celle des vocaux. Soumise aussi aux influences orientales (Ravi Shankar), cette musique — dont les chefs de file sont Jimi Hendrix, Frank Zappa, les Pink Floyd, Chicago Transit Authority, Blood Sweat and Tears, Ten Years After, Creedence Clearwater Revival, Led Zeppelin — a recours au jazz en tant que citation plutôt que par vocation profonde.

Groupes vocaux

Il n’existe — en dehors des chorales de negro spirituals — que peu de groupes vocaux de jazz authentique. Seul le trio de Dave Lambert, Jon Hendricks et Annie Ross (remplacée en 1962 par Yolanda Bavan) interprétait un répertoire uniquement constitué de thèmes de jazz, puisque sa formule consistait à harmoniser pour les voix, avec l’aide du rerecording, des orchestrations célèbres. Le groupe fonctionna de 1958 à 1964. Il suscita en France la création des Double Six de Mimi Perrin, qui exploita la même formule. D’autres groupes vocaux se destinaient plutôt à l’interprétation de mélodies à succès. Parmi eux, citons les Revellers (très connus en Europe dès 1930), les Mills Brothers (célèbres à la fin des années 30 pour leurs imitations d’instruments), les Ink Spots, les Boswell Sisters, les Andrews Sisters (ces deux derniers composés d’artistes blancs), les Platters, les Supremes, Sam and Dave, tous groupes exclusivement vocaux pour les distinguer des groupes mixtes, tels les Beatles ou les Rolling Stones, où la part instrumentale est essentielle. Enfin, mentionnons les Swingle Singers, rassemblés à Paris en 1962, spécialistes de l’interprétation plus ou moins jazzifiée de thèmes classiques.

F. T.

 B. Holiday, Lady sings the Blues (New York, 1956).


Quelques biographies


Cab Calloway,

chanteur, comédien et chef d’orchestre américain (Rochester, New York, 1907). Frère de la chanteuse Blanche Calloway (Baltimore 1904), très actif à la fin des années 30 — il dirige les Alabamians puis les Missourians —, il est l’une des grandes vedettes de comédies musicales négro-américaines et contribue beaucoup à populariser le jazz aux États-Unis comme en Europe. Entouré d’un excellent grand orchestre qui comprend des solistes éminents tels que Chu Berry, Ben Webster, Jonah Jones, Dizzy Gillespie et Cozy Cole, il étonne et surprend par des vocalises échevelées où le baroque nègre issu aussi bien des chants du negro spiritual que de ceux des minstrels se mêle à des audaces qui annoncent les brisures rythmiques et mélodiques des années 40.

Utilisant — et créant — un argot cocasse (le jive), poussant le scat jusqu’au délire verbal, il sut choisir un répertoire intelligemment commercial. À partir de 1950, il se consacre au théâtre musical et interprète souvent Porgy and Bess dans le rôle de Sportin’Life.

Enregistrements : Minnie the Moocher (1931) ; Jumpin’ Jive (1939).


Ray Charles,