Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cathédrale

Dans le monde chrétien, église épiscopale d’un diocèse, celle où se trouve le siège (lat. cathedra) de l’évêque.


Si le siège est occupé par un archevêque, un primat ou un patriarche, on parle d’église métropolitaine, primatiale ou patriarcale.


L’institution

Edifice parfois modeste en d’autres temps ou d’autres lieux, la cathédrale a pris dans le monde gothique un essor tel qu’elle en est devenue l’élément caractéristique ; on parle du xiiie s. comme du « siècle des cathédrales ». On sait le rôle polyvalent qu’avait avant la Révolution française la simple église paroissiale. Elle était un lieu de sanctification individuelle, du baptême à la sépulture, comme de participation collective au sacrifice et aux cérémonies saisonnières ; les confréries y avaient leur siège ; en même temps, c’était le lieu de la publicité judiciaire et administrative, de l’état civil, de la surveillance des écoles et de l’assistance. Tout en assumant déjà le rôle d’une mairie, l’église restait pour tous les paroissiens un lieu de communion préfigurant la Jérusalem céleste. Comment s’étonnerait-on, après avoir constaté cette diversité de fonctions en plein xviiie s., de voir l’église mère du diocèse jouer un rôle comparable dans la ville médiévale ?

Obligatoirement consacrée, la cathédrale est le temple par excellence ; si elle a perdu son exclusivité baptistérale, elle conserve celle de l’ordination des prêtres et du sacre des évêques ou des rois. Les grandes familles y ont leur sépulture, et certaines confréries leur siège, à proximité de l’official, la justice épiscopale. Mais la cathédrale est aussi un lieu public où, en maintes occasions, la population se réunit. Edifice principal de la ville, elle en est la fierté, jusqu’à figurer sur le sceau communal. N’est-elle pas le symbole des libertés urbaines, acquises, maintenues par la collaboration étroite de l’évêque et des communautés d’habitants, avec l’appui du roi de France, soucieux d’équilibrer la puissance féodale ? C’est même cette conjonction d’intérêts qui permet en moins d’un siècle la reconstruction de toutes les cathédrales du domaine royal, et qui laissera tant d’édifices inachevés quand, à la fin du xiiie s., elle se sera relâchée.

Le prodigieux essor de la cathédrale gothique ne saurait cependant tenir aux seules circonstances politiques ou sociales ; il est lié, pour une large part, à l’évolution de l’organisation épiscopale elle-même. Le cadre ecclésiastique avait été fixé très tôt et ne devait guère varier jusqu’à la Révolution. Il avait son siège dans la cité, c’est-à-dire au chef-lieu de la civitas, la circonscription provinciale de l’Empire romain. Primitivement, l’évêque résidait dans le faubourg où s’était constituée la première communauté chrétienne ; puis, au temps des invasions, il s’était réfugié dans l’enceinte, prenant bientôt la place de l’autorité civile défaillante. La cathédrale préromane n’était pas encore un édifice unique ; plusieurs sanctuaires — trois en général, dont le baptistère — formaient le groupe épiscopal et voisinaient avec les écoles et des logis, tant pour l’évêque, grand propriétaire terrien, que pour les chanoines, chargés de célébrer l’office divin.

À l’origine commensaux de l’évêque, ces chanoines forment, au ixe s., une communauté séparée, suivant la règle établie par Chrodegang (712-766) et diffusée en 816 au concile d’Aix. Une propriété collective assure d’abord à chaque membre sa prébende, sa part de revenus ; mais ce bien, réparti entre les intéressés au temps des invasions normandes, va désormais leur permettre de vivre isolément, sans pour cela diminuer leur influence. Tout au contraire, leur pouvoir ira croissant ; non contents d’élire l’évêque, de lui servir de conseil et d’assurer l’intérim en cas de vacance, ils constitueront, en tant que chapitre, une personne morale puissante, souvent seigneurie féodale distincte de celle, personnelle, du prélat. Pour les cadets des grandes familles de la ville, la possession d’une stalle richement prébendée n’est pas seulement une assurance spirituelle ou matérielle, c’est un moyen de participer aux affaires de la cité comme à celles du diocèse. C’est aussi l’occasion de témoigner leur magnificence en faisant de la cathédrale un édifice prestigieux ; les chanoines réguliers n’agissent pas autrement dans leurs collégiales.

La liturgie reste évidemment la raison d’être du temple ; les chanoines y célèbrent quotidiennement la messe canoniale, psalmodient les heures, assistent l’évêque durant l’office pontifical et les fêtes. Mais pour normaliser la prière publique dans tout le diocèse, pour veiller à la pureté de la langue rituelle et du chant, le collège des chanoines passe d’un rôle conservatoire au rôle d’éducateur : l’écolâtre, chargé de la formation des clercs, l’emporte sur le chantre, gardien de l’intégrité des textes. Cette mission a été confiée aux évêques comme aux monastères par le capitulaire de 789 ; elle fera de la cathédrale, dès le xe s., le foyer de toute culture urbaine (Chartres, Reims...). Ces écoles, à l’apogée de leur renommée au xiie s., donneront naissance aux universités, qui conserveront des rapports étroits avec la cathédrale.


L’édifice

De cet enseignement, nous retrouvons les grandes lignes inscrites dans le « livre de pierre », dans cet ensemble sculpté où les romantiques ont voulu voir la bible des illettrés, mais qui visait surtout à unifier le sacré et le profane, le passé et le présent pour célébrer la gloire divine. À ce propos, l’analyse d’Emile Zola, lorsqu’il évoque dans le Rêve les saints de la Légende dorée, semble préférable à celle de Victor Hugo, faisant appel à la cabale pour déchiffrer le portail de Notre-Dame de Paris.

Église mère, la cathédrale l’est encore par son architecture. C’est sur le chantier épiscopal que le système gothique, l’opus francigenum, va pouvoir être poussé à ses dernières conséquences en fait d’ampleur et de légèreté, aboutir aux solutions les plus audacieuses réalisées en Occident avant l’ère industrielle. Dans une société encore prélogique, mais avant tout réaliste, la cathédrale témoigne de l’apparition d’une conception neuve, fondée sur l’expérience et sur la plus stricte économie des moyens. Aux hésitations romanes, marquées de mysticisme, succède un art du trait qui annonce la géométrie descriptive. L’emploi généralisé du compas conduit à une composition ad triangulum et bientôt à une virtuosité qui relève de l’esprit baroque.