Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Castro (Fidel) (suite)

La période 1959-1961

En 1959, Fidel incarne la Révolution aux yeux des Cubains ; cela lui permet d’écarter très facilement les autres courants révolutionnaires, et d’abord les gens du directoire. L’an I de la révolution est marqué par la défection du chef de l’armée rebelle, P. L. Diaz Lanz, la démission forcée du président Urrutia et le procès d’Hubert Matos, l’un des chefs prestigieux de la Sierra. L’unité a été sauvegardée grâce à la volonté de Castro : le leader de la révolution a été capable d’unir des hommes qui, le tyran une fois abattu, allaient se battre pour le pouvoir ; il a offert au pays un programme, vague, certes, mais capable de stimuler les énergies et de provoquer les sacrifices. Ce rôle de Castro explique la phrase d’un dirigeant : « Vous, en Europe, vous avez tendance à sous-estimer le rôle d’une grande personnalité dans l’histoire. » Che Guevara* affirme justement : « Le premier et le plus important facteur de l’exceptionnelle révolution cubaine est cette force de la nature qui s’appelle Fidel Castro. »

L’objectif essentiel de Castro est d’obtenir une révision des rapports américano-cubains ; après, on échappera à la monoculture sucrière et on diversifiera l’économie. Or, si son idéologie n’est pas marxiste, son nationalisme radical, véritablement révolutionnaire, menace les positions acquises de gros intérêts, qui s’inquiètent de cette révolution. La presse américaine, qui a acclamé Castro à ses débuts, présente maintenant l’image d’une dictature terroriste et condamne « le nouveau bain de sang de Cuba », « le monstre barbu » qui « ne vaut pas mieux que Batista » ; 1960 marque la rupture entre les États-Unis et la révolution cubaine.

La réforme agraire promulguée en 1959 a mécontenté les États-Unis, qui, malgré les avertissements du sénateur J. W. Fulbright, réagissent en refusant d’acheter le reliquat du quota sucrier pour 1960, soit 700 000 t. Le gouvernement soviétique se porte immédiatement acquéreur du sucre cubain. À Cuba, Castro exploite ces événements avec succès, et les sentiments de solidarité anti-yankee se fortifient.

La politique américaine des sanctions économiques entraîne la riposte cubaine des nationalisations : les trente-six centrales sucrières, les raffineries, la compagnie de téléphone américaines, soit 800 millions de dollars. Le 15 août 1960, les États-Unis font condamner Cuba par l’Organisation des États américains. En octobre, Castro nationalise 382 entreprises étrangères, et, le 19 octobre, les États-Unis déclarent l’embargo sur le commerce avec Cuba. Le 3 janvier 1961, ils rompent les relations diplomatiques. Le 15 avril, les aéroports de La Havane et Santiago sont bombardés par les exilés de Floride ; le 16, Castro proclame le caractère socialiste de la révolution ; le 17, le corps expéditionnaire contre-révolutionnaire débarque dans la baie des Cochons 1 200 hommes, qui en 48 heures sont tués ou faits prisonniers. La collusion entre le gouvernement américain et les exilés, batistiens ou non, conduira, par réaction, Castro à fonder, a posteriori, la légitimité socialiste de sa révolution, déclarant qu’il a toujours été un marxiste-léniniste, ce qui est historiquement faux.


Cuba socialiste

Le désastre de la baie des Cochons est dû à une méconnaissance absolue de l’influence de Castro. Celui-ci n’est pas un tyran, mais un chef populaire, considéré par son peuple comme un nouveau Moïse. La tentative américaine confirme la révolution dans son cours radical. Pendant les deux années qui suivent le débarquement, il n’y aura plus de défections au sein du régime castriste, et le pays sera transformé sur le modèle soviétique. Fidel Castro est alors conduit à s’appuyer sur le seul appareil existant, celui du parti communiste, auquel ni le peuple ni Castro n’avaient pardonné la non-participation à la guerre de libération, suivie d’un ralliement de dernière heure pour voler au secours de la victoire. Pourquoi Castro confie-t-il tant de responsabilités aux communistes ? Le programme accéléré de socialisation et de planification sur le modèle soviétique exige un organisme et des cadres que le castrisme n’a pas. Les communistes en ont, et Castro les utilise, tout comme il reçoit l’aide de l’Union soviétique. Et la révolution cubaine en est transformée, perdant de son originalité, de son romantisme, de son prosélytisme, mais y gagnant en permanence et en résistance.

La révolution entre dans l’ère de la planification de la bureaucratie, de la mystique du développement. Le primat donné à l’économique conduit à la concentration des énergies sur les problèmes nationaux plutôt qu’internationaux, et Che Guevara s’écarte de ce nationalisme de gauche qui enferme Cuba dans une révolution alignée sur le modèle soviétique. Cet alignement de Castro sur Moscou, mis en lumière lors de la crise des Caraïbes en octobre 1962, lorsque à propos des fusées russes installées à Cuba les deux Grands s’affrontent, devient, malgré des manifestations de mauvaise humeur passagères et périodiques, la règle : Cuba ne peut vivre sans les cinq millions de tonnes annuelles de pétrole soviétique. Un pétrolier russe arrivant tous les deux jours à La Havane, cela explique l’alignement sur Moscou autant que la nécessité de s’appuyer sur le parti communiste pour organiser la révolution. Che Guevara, de 1963 à 1965, voyage autour du monde, s’éloignant de la politique de Castro, et prononce son dernier discours public en Algérie, le 20 février 1965, critiquant les méthodes et l’aide des pays socialistes européens. Puis, fin mars, il disparaît de la scène cubaine. Fidel Castro déclare : « Le commandant Guevara se trouve là où il est le plus utile à la révolution. »

Entre 1965 et 1970, Castro lance son pays dans la bataille de la production, durcissant toujours plus son régime pour briser les résistances à l’effort demandé. Au cours de cette période, il prend la décision de laisser partir ceux qui le désirent, pour éviter d’avoir à combattre à l’intérieur une dangereuse contre-révolution. Ce deuxième exode, s’ajoutant à celui des toutes premières années, porte à 600 000 le nombre des Cubains qui ont quitté l’île en dix ans. Le remplacement des cadres, partis en masse, n’a pas pu être fait, et l’effort économique en souffre. En 1969, Castro est obligé de rationner le sucre, dernier produit encore en vente libre.