Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

Certaines de ces réalisations antérieures perdurèrent à l’époque carolingienne, sans changer quoi que ce soit à leur esprit, et elles se répandirent même largement hors de leur domaine d’origine, en profitant des conditions favorables offertes par l’unification politique de l’Europe occidentale. C’est le cas notamment d’un type de sculpture né dans l’Italie lombarde et caractérisé par un décor d’entrelacs, de croix, d’hélices et de pampres, auxquels se mêlent parfois des scènes figurées très stylisées et traitées en méplat. Utilisés le plus communément pour orner les clôtures de pierre qui séparaient les clercs des simples fidèles, ces motifs de tradition méditerranéenne servirent également à décorer l’autel et son baldaquin. On a dénombré une foule de sculptures appartenant à ce style dans une vaste région allant du Languedoc à la Dalmatie, de Rome à la Suisse et à l’Autriche. La vogue de ces motifs se prolongera pour le mobilier d’autel pendant le xe s., et on les trouvera encore aux origines d’une certaine sculpture romane monumentale.

Le plus souvent, cependant, les diverses traditions locales de l’Europe précarolingienne se combinèrent dans les synthèses qui furent opérées au début du gouvernement de Charlemagne. On observe ce processus dans la formation du premier style de l’enluminure carolingienne, celui de l’école du palais. Comme sources de ces manuscrits somptueux — Évangéliaire de Charlemagne, Évangiles de Saint-Riquier, d’Ada, de Saint-Médard de Soissons et de Lorsch —, on a discerné des apports irlandais et anglais certains, ainsi que des éléments beaucoup plus complexes venant d’Italie et aussi de Byzance.

On touche ici à l’une des sources majeures du style antiquisant qui se fit jour dans l’Empire carolingien : l’influence de l’art byzantin*, pour lequel les leçons de l’Antiquité n’avaient jamais été tout à fait oubliées. On cherchera en Italie les premières rencontres entre l’Orient antiquisant et l’Occident. Depuis longtemps, l’attention a été attirée sur la théorie de saintes qui se développe, avec un vif sens plastique, au-dessus de la porte d’entrée et au revers de la façade du Tempietto de Cividale del Friuli. Ces figures, exécutées en plein relief dans le stuc, s’essaient à la marche, même si leurs pieds ne réussissent pas à suivre le mouvement du corps et des jambes dans le contrapposto. À leur monde influencé par l’antique appartient aussi la frise représentant des martyrs qui est peinte au-dessous d’elles et qui se prolonge sur les murs nord et sud du Tempietto. Il convient d’en rapprocher aussi un certain nombre de peintures du viiie s. décorant l’église romaine de Santa Maria Antiqua sur le forum. Sans doute doit-on voir dans cette production marquée du sceau des influences byzantines l’œuvre d’artistes qui avaient été chassés d’Orient par la « querelle des images ». C’est aussi l’origine la plus satisfaisante à proposer pour les fresques de Castelseprio, dont la découverte en 1944, dans le site sauvage de l’antique Sibrium, à 45 kilomètres de Milan, constitua une révélation.

Ces créations auront une filiation directe ou indirecte en Italie et dans la région des Alpes, à l’époque carolingienne, avec les peintures et les stucs de la basilique San Salvatore de Brescia, le vaste cycle des peintures murales de Saint-Jean de Müstair, les fresques et les stucs de San Benedetto de Malles Venosta, mais c’est surtout par l’action quelles exercèrent sur la formation du goût des conquérants francs qu’elles modifièrent d’une manière profonde et durable l’évolution de l’art en Occident.

Sans doute ont-elles contribué à rendre possible la révolution stylistique qui s’opéra à la cour de Charlemagne avec l’apparition du style illusionniste dans la peinture des livres. Le principal représentant de cette manière toute nouvelle est constitué par les Évangiles du Trésor de Vienne, que l’empereur Otton III aurait trouvés sur les genoux de Charlemagne lors de l’ouverture de son tombeau vers l’an 1000, et qui servirent par la suite au couronnement des empereurs. Leur profonde originalité, par rapport au style antérieur, provient de ce qu’ils interprètent le monde visible en concept de lumière et de couleur. Cette œuvre, à laquelle collaborèrent probablement des peintres grecs, constitua la base de l’évolution ultérieure sous le règne de Louis le Pieux. Sa manière fut surtout cultivée par l’école de Reims, d’où sont sortis le frémissant Psautier d’Utrecht ainsi que les Évangiles d’Ebbon.

Les rapports étroits qu’il entretenait avec l’enluminure expliquent, jusqu’à un certain point, que le travail de l’ivoire ait connu le même retour à l’antique. L’imitation des compositions paléochrétiennes apparaît flagrante dans une pièce voisine de l’an 800 et caractéristique du groupe dit « Ada » : la célèbre reliure de l’Évangéliaire de Lorsch (partagée entre le Vatican et le Victoria and Albert Museum de Londres). Durant toute l’époque carolingienne, les influences antiques s’exercèrent également sur un autre art somptuaire : l’orfèvrerie. On en possède une manifestation brillante avec l’autel en or de Sant’Ambrogio de Milan, qui porte les figures de l’évêque Angilbert (824-859) et de l’artiste Vuolvinius.

Il est très remarquable que ce soit cette référence à l’Antiquité, devenue plus sûre et plus précise, qui ait rendu possible la solution des problèmes posés par l’évolution historique, qu’il s’agisse des besoins nouveaux de la cour, de la réforme de la liturgie et du monachisme, ou encore des progrès des dévotions contemporaines comme le culte du Sauveur et celui des reliques. On assiste même à la renaissance de l’urbanisme dans des villes qui font sauter la ceinture de leurs murailles et reconstruisent leurs cathédrales selon des partis ambitieux. Partout, après avoir appris à copier les modèles antiques et s’être imprégnés de leur esprit, les artistes carolingiens se montrèrent à leur tour capables de créer.