Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

calcaire (relief) (suite)

Au bout d’un certain temps, le travail de dissolution est tel que de véritables cavités se forment. Sous le poids des terrains susjacents, leur voûte s’affaisse parfois : les blocs effondrés, baignés par les eaux, sont rapidement digérés, et c’est ainsi que se développent de vastes salles. Mais. quand les galeries grandissent, elles finissent par ne plus être complètement remplies par les eaux ; dès lors, les eaux qui suintent de la voûte pénètrent dans une atmosphère à faible teneur en CO2, la pression diminuant brusquement : le bicarbonate en excédent est immédiatement précipité, et de sa lente accumulation naissent et grandissent les stalactites et les stalagmites.

Les répercussions du développement du réseau souterrain sur le modelé de surface sont de deux ordres : en premier lieu, les organismes hydrographiques qui avaient pu s’établir au départ et s’étaient maintenus tant que les fissures demeuraient suffisamment étroites pour que l’infiltration soit lente sont complètement désorganisés par la perte croissante de leurs eaux. Si une rivière vient à disparaître dans un gouffre, le creusement continue à l’amont quand il a cessé à l’aval : ainsi se forment les vallées aveugles. Finalement, en dehors des grandes artères qui parviennent à creuser des cañons, tout le réseau hydrographique s’assèche. En second lieu, la dissolution en profondeur crée des appels au vide qui provoquent des tassements de terrain à l’origine des dolines à versants raides, ou même des effondrements de voûtes qui expliquent certains cañons. Mais les petites dolines semblent résulter de la simple dissolution superficielle d’un volume rocheux fortement fissuré à l’intersection de grandes diaclases.

Les ouvalas et, à plus grande échelle, les poljés, ont été interprétés comme des dépressions nées de la coalescence de multiples dolines. Si cette explication vaut pour certains poljés, plus souvent il est clair que ces plaines se développent latéralement aux dépens de leur cadre rocheux par l’action corrosive qu’exerce la nappe d’inondation, qui en envahit le fond temporairement. C’est pourquoi les poljés sont souvent liés à des situations tectoniques favorisant l’apparition d’une nappe d’inondation : fossé d’effondrement, fond de synclinal, dépression monoclinale, écaille imbriquée. La présence d’un barrage de roches imperméables à l’aval du poljé, empêchant les eaux enfouies dans la masse calcaire de trouver une issue, entraîne la saturation des conduits à proximité de la surface et favorise donc également la constitution d’une nappe d’inondation. Enfin, l’accumulation sur le fond du poljé des impuretés insolubles du calcaire tend à boucher les fissures et à gêner l’évacuation des eaux, le diamètre des ponors étant insuffisant à absorber les eaux en période de fortes pluies.


Différents types de karsts

Les karsts se différencient d’abord par leur évolution plus ou moins avancée, depuis les karsts naissants, où n’apparaissent que quelques dolines et où le réseau souterrain n’est pas encore constitué, jusqu’aux karsts très évolués, où la masse calcaire est profondément karstifiée. Cependant, l’évolution en profondeur est limitée par l’apparition d’un niveau imperméable bloquant l’enfouissement des eaux et que l’on appelle niveau de base karstique. Une fois ce niveau atteint, la dissolution progressant dans la masse calcaire, certains auteurs ont imaginé la possibilité d’une complète digestion du calcaire et la reconstitution d’un réseau hydrographique superficiel. Ce cycle karstique, selon leur expression, exigerait un temps d’autant plus long que la masse calcaire à dissoudre est plus épaisse ; il pourrait d’ailleurs être abrégé si, par suite d’une genèse complexe, l’érosion karstique bénéficie de l’héritage d’une karstification ancienne, d’un capital karstique.

Mais le modelé d’un karst ne dépend pas seulement de son degré d’évolution. Le rôle du climat est primordial : il exerce en effet une triple action. En premier lieu, plus l’eau est froide, plus elle peut dissoudre de CO2 et, par suite, plus elle est agressive ; l’eau de fonte de la neige, en particulier, est très riche en CO2 dissous. En revanche, à température élevée, la réaction de la dissolution est activée, ce qui peut compenser, dans certaines conditions, la faible teneur en CO2. En second lieu, la pluviosité est un facteur essentiel de la karstification : même des eaux peu agressives peuvent exercer une action dissolvante importante si elles circulent en abondance dans les conduits souterrains ; c’est pourquoi les karsts les plus évolués s’observent dans les régions fortement arrosées. Enfin, le climat a une action indirecte sur la karstification par l’intermédiaire du couvert végétal, dont il commande la densité et le mode de décomposition de la matière organique. Ces diverses données permettent d’esquisser un tableau zonal du modelé karstique à la surface de la Terre.

Dans les régions froides, les eaux sont très agressives : elles cisèlent des réseaux de fentes anastomosées, aux flancs dentelés de microlapiés, en mailles d’autant plus serrées que le gel favorise la fissuration de la roche. En revanche, les formes souterraines sont peu développées, car la présence d’un sous-sol gelé en permanence empêche l’infiltration des eaux. Le karst reste donc superficiel.

Dans les régions tempérées humides, les eaux sont encore assez fraîches pour disposer d’un fort pouvoir dissolvant ; en outre, la présence d’une couverture végétale continue contribue à en accroître l’agressivité, surtout dans les premiers mètres du sous-sol. À l’inverse des régions froides, la roche est rarement à nu et les lapiés sont rares : ce sont des karsts couverts. Vallées sèches et dolines en sont les formes les plus caractéristiques. Les formes souterraines sont pourtant souvent fort développées, et des cavernes gigantesques ont été recensées ; mais il est toujours difficile de faire la part du climat actuel dans ces formes, la plupart des karsts tempérés ayant connu une longue évolution sous des climats très variés.