Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

biens (suite)

Quant aux biens publics ou collectifs — biens fournis par l’État à la suite d’une décision politique —, c’est en se demandant si l’économie publique produit trop ou insuffisamment de « biens » par rapport à l’économie privée que l’analyse économique les a pris en considération. Soulever cette question des biens publics revenait à s’interroger sur le problème classique de la définition des tâches de l’État et de l’extension optimale du secteur public. Ce problème des biens publics a d’ailleurs été longtemps négligé. Cette lacune peut sembler n’être que le reflet de la prépondérance accordée originellement par la science économique au fonctionnement de l’économie privée à une époque où l’intervention de l’État faisait figure d’exception à la règle. En fait, c’est la croissance* économique elle-même qui se trouve à l’origine de la notion de biens publics : il s’agit de savoir ce qui doit être produit dans les économies contemporaines. Or, la croissance se traduit bien souvent par la production de biens peu utiles aux individus et à la collectivité. En conséquence, le relais doit être pris par l’État pour produire des biens dont ne veut pas se charger le secteur privé.

Le meilleur exemple est lié à l’inventaire très complet de tous les effets néfastes de la croissance sur la consommation de biens cessant d’être libres (air, espace, eau, etc.) ou de produits fournis par le marché, mais de qualité jugée contestable par rapport à d’autres, pour lesquels les individus n’expriment pas spontanément de préférences.

Dès que l’État en vient à assurer la fourniture de ces biens, ceux-ci doivent être considérés « biens publics ».

G. R.

biens nationaux

Ensemble de biens, collectifs ou privés, appropriés par l’État pendant la période révolutionnaire.


Pour résoudre la crise financière de la monarchie, les États généraux, devenus Assemblée nationale, envisagèrent, au mois d’août 1789, l’aliénation des biens ecclésiastiques. C’était satisfaire un vœu de beaucoup de paysans, exprimé dans les cahiers de doléances : celui de mettre en vente des terres figées dans une propriété collective qui ne changeait jamais de mains. C’était mettre en pratique la conception économique née au xviiie s. : la propriété est individuelle et circulante.

Ces biens appartenaient au clergé, qui, en tant que corps, était soumis à la loi pour son existence et ses possessions. On cherchait à supprimer l’Ordre ; reprendre ses propriétés était inévitable. Il s’agissait bien, en effet, d’une reprise ; car, pour les constituants, les biens n’avaient été que prêtés à l’Église pour l’aider dans l’accomplissement de ses tâches charitables et dans celles du culte. Si l’on subvenait d’une autre manière à ses besoins, les terres, meubles et immeubles, de l’Église pourraient revenir à la nation. Le clergé n’était donc pas un propriétaire véritable ; il avait seulement l’usufruit et non la faculté d’« abuser », c’est-à-dire de disposer à sa guise de ses biens. À ces arguments historiques ou juridiques, on ajoutait l’exemple donné par la monarchie : le roi ne s’était-il pas approprié, de 1768 à 1780, les biens de neuf congrégations ?

Les membres du haut clergé rétorquèrent : la propriété n’est pas un droit naturel comme le prétend la bourgeoisie, qui veut spolier l’Église, c’est une création sociale. À ce titre, la propriété d’un corps est aussi pleine et entière que celle d’un individu. Toucher aux biens d’Église, n’est-ce pas d’ailleurs franchir une étape vers la loi agraire qui remettrait en cause toutes les propriétés ? Il y avait là un langage propre à inquiéter plus d’un bourgeois.

Mais l’État avait trop besoin d’argent ; l’Assemblée passa outre et, le 2 novembre 1789, elle décréta, par 568 voix contre 346, que « tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation ». Au domaine national ainsi constitué, d’autres biens vinrent s’ajouter ; on les nomma biens nationaux de seconde origine : il s’agissait de ceux des Jésuites, des fabriques de paroisse, de l’ordre de Malte, des abbayes et des communautés étrangères, des collèges et des hôpitaux, mais surtout de ceux des émigrés. Ajoutés aux domaines de la Couronne, ils représentèrent plus de 3 milliards de livres tournois. De quoi faire face largement à la dette et aux dépenses courantes.

La vente des biens nationaux fut donc très étroitement liée à la mise en circulation des assignats, que l’on compare à tort, du moins pour les premières émissions, à un papier-monnaie. En fait, il s’agissait d’une assignation sur la valeur de la vente attendue des biens nationaux. C’était donc une reconnaissance de dettes, portant intérêt, qui était donnée aux créanciers de l’État. Ceux-ci avaient toute liberté de s’en servir pour acheter, s’ils le désiraient, des biens nationaux.

Mais la vente de la première tranche de biens nationaux (400 millions) devait rapidement se dérouler, tant les besoins de l’État étaient pressants. Cela explique les modalités de vente. Celle-ci se fit aux enchères, au chef-lieu de district, et porta sur des lots relativement vastes et qui ne devaient ni ne pouvaient être morcelés. Une exception toutefois : la division d’un lot était possible si le total des enchères partielles était supérieur au prix le plus élevé offert par l’achat en bloc. Mais cette modalité, jointe aux conditions du paiement (premier versement de 12 p. 100, le reste en douze annuités), ne fut pas suffisante pour favoriser les moins riches. Ce que l’on recherchait, c’était l’adjudicataire aisé, habitant la ville et capable de détourner par la surenchère les moins fortunés.

Les petits paysans ne comprirent pas toujours que la loi n’était pas faite pour eux, témoin cette scène rapportée par l’historien Georges Lefebvre. Dans un village des environs d’Étampes, le notaire s’adresse aux paysans qui sont venus le voir :
« De quoi s’agit-il mes enfants ?
— C’est pour le partage, vous savez bien ?
— Quel partage ?
— Le partage des biens de la nation ; nous venons pour que vous partagiez ça entre nous... »