Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bauhaus (suite)

Le changement de cap de 1923, suivi, en 1925, du transfert à Dessau dans des bâtiments offrant des locaux et un équipement technique adéquats, donna une impulsion nouvelle au travail des ateliers. Ceux-ci s’orientent désormais vers la mise au point de prototypes pour l’industrie, en pleine expansion depuis l’introduction du Rentenmark, et, pour les ateliers graphiques, vers l’étude des problèmes de communication visuelle. C’est ainsi que l’atelier de décoration murale passe de la fresque à la polychromie architecturale, à la signalisation et à la création de papiers peints ; l’atelier de travail sur métaux, sous l’impulsion de Moholy-Nagy*, abandonne argenterie et bijouterie pour la mise au point d’objets de grande diffusion, en particulier d’appareils d’éclairage (Marianne Brandt) ; la menuiserie se reconvertit également : Marcel Breuer y élabore de nouveaux types de sièges et de tables en tubes d’acier chromé, complétés par toute une gamme d’éléments de rangement et proches des équipements mobiliers créés à la même époque par Mies* van der Rohe et Le Corbusier*.

C’est dans la même perspective de production de série que furent étudiés au Bauhaus les problèmes de l’architecture. Sans doute, les bâtiments de Dessau demeurent-ils comme un des monuments les plus spectaculaires de l’architecture des années 20. Cependant, c’est dans l’étude de systèmes de préfabrication légère que s’exprime le mieux l’esprit de recherches déterminées par le souci de créer entre contenus et contenants, entre les objets d’usage et le cadre de vie de l’homme moderne une totale consonance. Sous la direction de Hannes Meyer, l’accent sera mis, aux dépens des expériences sur la forme, sur l’analyse scientifique des données économiques, techniques et sociales de la construction.

Apparemment en marge, mais en réalité profondément accroché à la volonté fondamentale du Bauhaus de traiter l’environnement sensoriel de l’homme comme un tout indissoluble, l’atelier scénique accomplit un travail remarquable, bien que sans lendemain. Le Ballet triadique, présenté en 1922, mais mis au point par Schlemmer bien avant sa venue à Weimar, compte, avec les réalisations contemporaines de Léger* et de Picabia*, parmi les événements les plus importants en ce domaine dans l’entre-deux-guerres. Il faut aussi faire mention des essais de spectacle abstrait, « programmé » électro-mécaniquement, de Moholy-Nagy et de Kandinsky*.

Plus encore peut-être que par les réalisations de ses ateliers, c’est pour avoir instauré, dans le cadre d’un cours préliminaire de six mois (Vorkurs), une pédagogie nouvelle de l’expression que le Bauhaus marque une étape décisive dans l’histoire de la création de formes au xxe s. Pour la première fois, en effet, dans un établissement d’enseignement artistique, l’élève n’était plus soumis à un dressage visant à lui faire assimiler un corps de préceptes résumant une tradition technique de culture figurative : on faisait, au contraire, exclusivement appel à son expérience des matériaux, des rythmes, des lois de l’équilibre, à son sens de l’économie du geste et de la matière, en vue non pas de le préparer à acquérir une technique déterminée, ni même de lui donner une initiation générale aux différentes techniques d’expression artistique, mais de lui permettre de développer harmonieusement ses facultés créatrices. Ni propédeutique ni cycle d’orientation, ce cours devait amener l’apprenti à découvrir ce que Moholy-Nagy appelait le « centre de gravité biologique » à partir duquel il pourrait tenter des expériences significatives de création de formes. La pédagogie du Bauhaus s’inscrit donc dans le mouvement de réforme pédagogique né en Allemagne et en Autriche vers le début du siècle, qui tend à substituer à un apport extérieur de connaissances l’éveil global de la personnalité au moyen d’expériences menées par le sujet lui-même.

Si différentes que fussent leurs conceptions, ni Moholy-Nagy ni Albers, qui succédèrent à Itten à la direction du Vorkurs, ne revinrent sur l’orientation fondamentale que lui avait donnée son créateur. Itten mettait sans doute plus nettement l’accent sur la liberté de la création, sans autre but que la découverte de l’équilibre personnel ; Moholy-Nagy insiste, au contraire, sur l’assimilation des données esthétiques du monde contemporain, et Albers sur l’invention de systèmes généralisables d’organisation de l’espace : tous trois, néanmoins, sont implicitement d’accord pour affirmer que tout individu est créateur et que c’est en l’incitant à découvrir par lui-même l’orientation spécifique de ses facultés créatrices que l’on peut l’aider à libérer celles-ci.

M. B.


Les maîtres du Bauhaus

(V. les articles : Breuer, Gropius, Kandinsky, Klee, Mies van der Rohe, Moholy-Nagy.)


Josef Albers

(Bottrop 1888 - New Haven, Connecticut, 1976). Il avait déjà suivi pendant sept ans l’enseignement de diverses écoles d’art lorsqu’il arriva au Bauhaus en 1920. Il devait y rester treize ans, comme apprenti, comme compagnon, puis comme maître, chargé du cours préliminaire et de la direction de plusieurs ateliers. Passé aux États-Unis dès 1933, il y reprenait aussitôt son enseignement, au Black Mountain College et dans diverses universités, avant d’être professeur à Yale (1950-1960).

Ce sont à la fois sa culture musicale et l’enseignement de Paul Klee qui semblent avoir mis Albers sur la voie de la méthode « sérielle » qu’il introduisit le premier dans le domaine de l’expression plastique. Alors que Moholy-Nagy avait cherché, dans le cours préliminaire, à développer chez l’élève le sens de la construction, c’est vers l’invention non de formes, mais de systèmes qu’Albers s’attache à orienter l’imagination, le but recherché étant, grâce à une claire conscience des implications de chaque geste, de réduire au minimum la matière et le travail mis en œuvre. Une telle façon de faire peut servir de règle à l’activité créatrice dans les domaines les plus divers : architecture, typographie, design, composition plastique pure, voire urbanisme. Mais, si grande que soit l’importance qu’il attache à l’analyse de tout problème de forme, Albers n’en tient pas moins l’entraînement au travail manuel pour essentiel : il considère la perfection de l’exécution comme le corollaire de la clarté et de l’économie de la conception.