Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

violon (suite)

À ces progrès techniques s’ajoute une promotion sociale et artistique. Le même Lully donne un essor nouveau (à côté de la grande bande royale, composée, à son avis, de « Maîtres Aliborons ») la bande des petits violons, qui deviendront à la fin du siècle les petits violons du cabinet. Ceux-ci accompagnent la vie privée du souverain pour son souper, son coucher, ses déplacements, coutume que la noblesse voudra imiter. Enfin, il faudra créer des formes musicales nouvelles pour traduire ces progrès. Si la suite de danses reste la préférée, elle s’affine peu à peu, s’éloigne de sa destination initiale pour se couler dans le moule plus élaboré de la sonate, acquérant une unité tonale, parfois thématique qui en fait non plus une œuvre fonctionnelle, mais une œuvre d’art.

En terminant le travail de son prédécesseur, le xviiie s. devient le siècle d’or du violon, qui acquiert à cette époque une facture achevée, l’essentiel de sa technique et une pléiade prestigieuse de solistes.


La facture

En fait, l’instrument a peu varié au cours des âges, puisqu’il possède dès la fin du xvie s. ses lignes générales actuelles. Cependant, entre 1700 et 1726, A. Stradivarius* trouvera pour lui des proportions définitives et une perfection d’exécution que la postérité n’a jamais dépassée. Notre époque moderne n’aura plus qu’à y ajouter le renversement et l’allongement de la touche, l’élévation du chevalet, l’épaississement de l’âme et de la barre d’harmonie. Plus profonde encore est la transformation subie par l’archet. En l’espace d’une cinquantaine d’années, entre 1730 et 1780, son profil convexe s’inverse totalement pour devenir légèrement concave. Cela, joint à d’autres perfectionnements, accroît la souplesse et la variété du phrasé (v. lutherie). C’est à la fin de ce xviiie s. encore que l’ancienne famille des violons se constituera en quatuor, avec suppression de l’ancien ténor et accord de la basse (violoncelle*) haussé d’un ton : do1, sol1, 2, la2.


La technique

Ces progrès sont le résultat d’une large collaboration entre luthiers et interprètes. Ces derniers acquièrent maintenant une maîtrise qui leur permet de faire la synthèse de leurs découvertes empiriques sous la forme codifiée, rationnelle et graduée des premières méthodes. Avec elles, nous allons faire le point.

La tenue s’établit définitivement à la fin du siècle dans ses normes actuelles. Le violon est posé sur la clavicule gauche, maintenu par le menton dans une direction à peu près horizontale, la volute légèrement surélevée. Celle de l’archet évolue profondément ; elle passe de la prise de la hausse à pleine main (le pouce placé sous la mèche pour en régler la tension) à une position des doigts plus dégagée, au-dessus et un peu en avant de la hausse : pouce et médius se font alors face pour former une sorte d’anneau. La technique de la main gauche consiste à assurer la justesse et la vélocité. Si la tessiture est très limitée au début, les Italiens parcourent rapidement la touche dans toute sa longueur, et Pietro Antonio Locatelli, dès 1733, atteindra les 13e et 14e positions. Sans doute a-t-il été devancé par nombre de virtuoses dans les improvisations qu’ils rajoutaient habituellement au texte. Un stade plus avancé comprend l’emploi des accords et des doubles cordes, seuls moyens pour les instruments monodiques de retrouver l’ancienne polyphonie. Si ces moyens sont présents dès le début du xviie s. chez Mersenne, Bach leur donnera un développement imprévu grâce à ses mélodies accompagnées et au contrepoint de ses fugues.

Dans la main droite réside l’intelligence du phrasé, la variété de l’expression. Détachés fermes, précis voisinent avec staccatos, spiccatos, sautillés au rebondissement léger ou moqueur. Les longues phrases mélodiques ont à leur service le legato, auquel les nuances, progressives ou contrastées, apportent une infinie diversité. À la fin du xviiie s., les violonistes maîtrisent tous les éléments de cette technique. Ils y ajoutent certains effets particuliers, comme les pizzicati, qui imitent luths et guitares — connus dès Monteverdi —, le vibrato — signalé par Mersenne —, qui rend la sonorité vivante et chaude, les harmoniques, sons flûtes naturels et artificiels, utilisés pour la première fois par Jean Joseph Cassanéa de Mondonville* en 1738.


Les œuvres

Ces effets variés s’expriment dans des œuvres aux formes assez élaborées : sonates et concertos. La primauté du violon s’affirme dès la sonate en trio, dans laquelle il se manifeste en soliste au cours de nombreux intermèdes. Le violon se trouvera de plus en plus mis en valeur dans la sonate avec basse continue et le concerto. Trois écoles se partagent la suprématie en Europe occidentale. Toutes trois contribuent à créer, puis à enrichir le répertoire de l’instrument. La première est la brillante école italienne. Les sonates de A. Corelli* paraissent entre 1681 et 1712. Puis viennent les concertos de Vivaldi*. Tomaso Albinoni, P. A. Locatelli expriment dans le même moule leur tempérament particulier, pendant que Francesco Geminiani et Giuseppe Tartini font plutôt œuvre de pédagogues en publiant, le premier L’Arte di sonare il violino (1751), le second l’Arte dell’arco (1754).

L’influence des Italiens se fait sentir directement en Allemagne à travers la production de Johann Christian Cannabich, de Johann Gottlieb Graun, puis de G. F. Händel* et de G. P. Telemann*. Bach*, qui a été violoniste dans l’orchestre de la cour de Weimar, se souviendra de cette expérience dans ses sonates et partitas pour violon seul, pour violon et clavecin et dans ses concertos. L’écriture très polyphonique de ces œuvres en fait non seulement un sommet musical, mais encore une performance technique. À la fin du siècle, W. A. Mozart* et J. Haydn* manifesteront aussi leur intérêt pour l’instrument, alors que Leopold Mozart publie sa méthode en 1756, l’année même de la naissance de son fils.