Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

La recherche du naturel qui caractérise la jeune prose s’inscrit dans la perspective plus générale d’une réaction contre le style monumental — avec ce qu’il peut avoir d’artificiel et de mensonger — de la période stalinienne. Le genre de la nouvelle, avec Iouri Markovitch Naguibine (né en 1920), Sergueï Petrovitch Antonov (né en 1915) et surtout Iouri Pavlovitch Kazakov (né en 1927), auteur de Na poloustanke (la Petite Gare, 1959), prend sa revanche sur le roman. La prose documentaire ou lyrique — esquisse (otcherk), carnet de route, journal intime, souvenirs composés, comme chez Paoustovski ou Ehrenbourg, ou dispersés au gré des associations, comme dans les Dnevnyïe zvezdy (Étoiles diurnes, 1959) d’Olga Berggolts ou dans Sviatoï kolodets (le Puits sacré, 1966), Trava zabvenia (l’Herbe d’oubli, 1967) et Koubik (le Petit Cube, 1969) de Kataïev — concurrence avec succès la fiction.

Ce souci d’authenticité permet à la littérature de retrouver une fonction sociale active. L’étouffement de l’esprit créateur par la sclérose bureaucratique est dénoncé par Vladimir Dmitrievitch Doudintsev (né en 1918) dans son roman Ne khlebom edinym (L’homme ne vit pas seulement de pain, 1956), qui suscite des controverses passionnées, et par Galina Nikolaïeva dans Bitva v pouti (l’Ingénieur Bakhirev, 1957). C’est surtout la campagne, où les contraintes bureaucratiques héritées de la collectivisation forcée sont les plus oppressives et créent une situation de marasme et de pénurie longtemps dissimulée, qui sert de cadre à celle littérature de critique sociale. La « prose rurale » est illustrée par le récit d’Aleksandr Iakovlevitch Iachine (1913-1970) Rytchagui (les Leviers, 1956), par les otcherki d’Efim Iakovlevitch Doroch (1908-1972 ; Derevenski dnevnik [le Journal villageois, 1958]), par les otcherki et les nouvelles de Vladimir Fedorovitch Tendriakov (né en 1923 ; Podenka-vek korotki [l’Éphémère, 1965]). Dans les romans Na Irtyche (Au bord de l’Irtych, 1964) et Solenaïa pad (1968), Sergueï Zalyguine (né en 1913) remonte à l’époque de la collectivisation et de la guerre civile pour y saisir l’origine des maux actuels. Dans les récits de Boris Andreïevitch Mojaïev (né en 1923 ; Iz jizni Fedora Kouzkina [Dans la vie de Fedor Kouzkine, 1966]), de Vassili Belov (né en 1933 ; Privytchnoïe delo [Une affaire courante, 1966]), dans les récits et le diptyque romanesque de Fedor Aleksandrovitch Abramov (né en 1920) Dve zimy i tri leta (Deux Hivers et trois étés, 1968) et Pouti-perepoutia (Chemins et carrefours, 1973), l’évocation des problèmes actuels de la campagne débouche sur une apologie des modes de vie traditionnels de la paysannerie et des valeurs spirituelles qu’elle recèle. La même tendance transposée en terrain exotique est sensible dans l’œuvre de l’écrivain kirghize Tchinguiz Aïtmatov (né en 1928 ; Prochtchaï Goulsary [Adieu Goulsary, 1968]), dont l’œuvre est partiellement écrite en russe. La revue Novyï Mir (Monde nouveau), dirigée par Tvardovski, est le principal point d’appui de la littérature « rurale ».

L’histoire de la guerre, et en particulier de ses premiers mois, marqués par des revers dont Staline porte la responsabilité, fait l’objet elle aussi d’un réexamen critique dans l’œuvre d’anciens combattants dont les débuts littéraires coïncident avec l’époque du XXe Congrès : Iouri Vassilievitch Bondarev (né en 1924 ; Batalony prossiat ognia [Les bataillons demandent le feu, 1957]) ; Grigori Iakovlevitch Baklanov (né en 1923), auteur du récit Piad zemli (Un pouce de terre, 1959) et du roman Ioul sorok pervogo goda (Juillet 1941, 1965) et enfin l’écrivain biélorusse (mais écrivant aussi en russe) Vassili Bykov (né en 1924), auteur du récit Mertvym ne bolno (Les morts ne souffrent pas, 1966) et Sotnikov (1970). La trilogie romanesque de Simonov (Jivyïe i mertvyïe [les Vivants et les morts, 1959] ; Soldatami ne rojdaïoutsia [On ne naît pas soldat, 1964] ; Posledneïe leto [le Dernier Été, 1971]) s’inscrit dans cette « nouvelle vague critique » de la littérature de guerre.

L’aspect le plus odieux du passé stalinien, la terreur policière et les camps de travail forcé, n’est évoqué d’abord que de façon indirecte (par Nekrassov dans la nouvelle Kira Gueorguievna, 1961 ; par Bondarev dans le roman Tichina [le Silence, 1962] ; par Ehrenbourg dans ses souvenirs Lioudi, gody, jizn [Hommes et événements, 1960-1963]). En novembre 1962, la publication expressément autorisée par Khrouchtchev du récit d’Aleksandr I. Soljenitsyne* (né en 1918) Odine den Ivana Denissovitcha (Une journée d’Ivan Denissovitch) ouvre la voie à une série de témoignages d’anciens détenus et de récits évoquant les années de terreur, comme celui de Iouri Ossipovitch Dombrovski (né en 1909) Khranitel Drevnosteï (le Conservateur des antiquités, 1964). Cependant, après la chute de Khrouchtchev (1964), le sujet redevient tabou, malgré les souvenirs de camp de Ievguenia Guinzbourg Kroutoï marchrout (le Vertige, 1967), les nouvelles de Varlam Tikhonovitch Chalamov (né en 1907) Kolymskie rasskazy (Récits de Kolyma, 1969), les romans de Lydia Korneïevna Tchoukovskaïa (née en 1907) comme Opoustely dom (la Demeure abandonnée) et de Grossmann (Vse tetchet [Tout s’écoule, 1970]), de même que le roman de Soljenitsyne V krougue pervom (le Premier Cercle, écrit en 1955-1958) et son « essai de recherche artistique » Arkhipelag Goulag (l’Archipel Goulag, écrit en 1968-1972), à la fois acte d’accusation passionné et somme historique de la terreur et de l’univers concentrationnaire soviétiques.

La critique des séquelles du stalinisme et la dénonciation de ses crimes tendent à s’élargir en une remise en question des postulats historiques et philosophiques du marxisme. On en trouve le premier témoignage dans le roman de Pasternak Doktor Jivago (le Docteur Jivago, achevé en 1957 et resté inédit en U. R. S. S.), où l’attitude révolutionnaire est condamnée d’un point de vue chrétien. Les contes fantastiques et satiriques du critique Andreï Donatovitch Siniavski (né en 1925), Gololeditsa (le Verglas, 1956), Lioubimov (1964), et son pamphlet Tchto takoïe sotsialistitcheski realizm ? (Qu’est-ce que le réalisme socialiste ?, 1959) contestent les présupposés métaphysiques de l’esthétique officielle. Dans les romans de Soljenitsyne Rakovyï korpous (le Pavillon des cancéreux, 1967) et Avgoust tchetyrnadtsatogo (Août quatorze, 1971), ainsi que dans les souvenirs de Nadejda Mandelstam, veuve du poète (Vospominania [1970] et Vtoraïa kniga [1972], traduits sous le titre Contre tout espoir I et II), la réflexion morale et historique sur les sources de la terreur remet également en question les dogmes officiels. Moins explicite, cette recherche de valeurs nouvelles en dehors de l’idéologie officielle est également sensible dans la prose « rurale », ainsi que dans la renaissance que connaît la science-fiction à tendance philosophique, comme chez Ivan A. Efremov (ou Iefremov, 1907-1972 ; Toumannost Andromedy [la Nébuleuse d’Andromède, 1957]), ou satirique comme chez les frères Arkadi (né en 1925) et Boris (né en 1933) Strougatski (Skazka o troïke [le Conte de la troïka, 1968] ; Oulitka na sklone [l’Escargot sur la pente, 1968]).