Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Thorvaldsen (Bertel)

Sculpteur danois (Copenhague 1768 ou 1770 - id. 1844).


Représentant majeur du néo-classicisme (v. classicisme) et le plus célèbre artiste de son pays, il était le fils d’un modeste artisan du bois qu’il aida très tôt à sculpter des encadrements de miroir ou des figures de proue. Ses dispositions artistiques le firent admettre à l’école de l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague, dont il gravit les échelons, tout en continuant à travailler avec son père, jusqu’à obtenir en 1793 la médaille d’or qui en était la récompense suprême. Si, durant cette période, son caractère révèle déjà l’homme grave, instable et anxieux, mais doué d’un solide sens des réalités, sa personnalité artistique est plus lente à se définir : ses premières œuvres se ressentent de l’art rococo européen, cependant qu’il reçoit les leçons déjà néo-classiques du sculpteur Johannes Wiedewelt (1731-1802) et du peintre Nicolai A. Abildgaard (1743-1809), qui le fait participer aux décors d’un des palais d’Amalienborg. En dépit de cet enseignement, Thorvaldsen eut pourtant l’impression, lorsqu’une bourse de l’Académie lui permit de s’installer à Rome, que « la neige lui fondait des yeux », et, plus tard, il célébrera la date de son arrivée dans la capitale des arts, le 8 mars 1797, comme celle d’une nouvelle naissance.

Très ouvert, il trouve à Rome des compatriotes érudits qui l’initient à l’archéologie. Il produit d’abord peu, s’exerçant au travail du marbre par la copie de bustes antiques, puis se révèle avec le modèle en plâtre de Jason et la toison d’or (1801-1803), œuvre qui reprend le canon de Polyclète* et va plus loin dans l’inspiration antiquisante que tout ce qui a été produit à Rome depuis le milieu du xviiie s. Sa renommée s’établit alors : le grand Canova* salue la nouveauté de la statue, et l’amateur anglais Thomas Hope (1769-1831) passe commande du marbre définitif, aujourd’hui au musée Thorvaldsen à Copenhague (comme les œuvres citées plus loin, ou leur modèle, ou une réplique — sauf indication contraire).

Ce succès vient à point pour permettre à l’artiste de demeurer à Rome, sa bourse venue à expiration. Thorvaldsen y fera toute sa carrière jusqu’en 1838, ne retournant au Danemark que pour un voyage triomphal en 1819-20, au cours duquel il reçoit la commande du Christ et des douze apôtres de la cathédrale de Copenhague (1821-1842). Après le Jason, il trouve rapidement son style propre, qui n’évoluera que très peu par la suite — mais dans le sens d’une approche réaliste, en apparence interdite par le dogmatisme néo-classique auquel il adhère. Plus qu’un autre Nordique, le Suédois Johan Tobias Sergel (1740-1814), au style frémissant, il réalise en effet l’idéal de beauté sereine et abstraite, obtenue par des épurations successives du réel, qu’avait prôné J. J. Winckelmann (v. critique, la critique d’art). Dans le relief comme dans la ronde-bosse, il crée une harmonie équilibrée se fondant sur les mêmes rythmes tranquilles, la même distinction du contour linéaire.

La période de 1803 à 1819 est fertile en œuvres caractéristiques, tels le bas-relief de la Colère d’Achille (1803-1805, collection privée anglaise) — sujet déjà traité par Canova, avec qui Thorvaldsen rivalisera souvent —, Cupidon et Psyché (1807) — que suivront de nombreux reliefs consacrés à Cupidon —, la frise très admirée de l’Entrée d’Alexandre à Babylone (1812, palais du Quirinal) — trente-cinq mètres modelés en trois mois en prévision d’une visite de Napoléon à Rome, avec pour modèle les Panathénées de Phidias* —, le nu de la petite Georgiana Russell (1814-15), le buste de Byron (1817) — une statue suivra en 1830 —, le Petit Berger (1817), Mercure (1818-1822), le Lion érigé à Lucerne (1819-1821).

Pour répondre à la demande, Thorvaldsen recourt à une armée d’assistants et organise brillamment la technique de production de son atelier. Traversant l’Italie, l’Allemagne, la Pologne lors de son voyage au Danemark, il y reçoit de nouvelles commandes qui accentueront le processus. Déjà rendez-vous des artistes nordiques, l’atelier reçoit la visite de tous les connaisseurs de passage à Rome. Après la mort de Canova (1822), Thorvaldsen occupe une position de leader européen. Il donne des monuments, comme la statue équestre de Józef Poniatowski à Varsovie (1826-27), le tombeau de Pie VII à Saint-Pierre de Rome (1824-1831), deux statues pour Munich et le Schiller en bronze de Stuttgart (1835-1839), tout en poursuivant son abondante production de bas-reliefs ainsi que celle des bustes de contemporains — plus remarquables par leur recherche d’expression que par leur fidélité à l’antique. Immense est le succès du Christ de Copenhague, dont les copies se répandront dans les églises d’Europe.

Longtemps réclamé, le retour de Thorvaldsen au Danemark, sur une frégate royale, en 1838, est un événement national. L’artiste apporte avec lui un large éventail de son œuvre (dessins, esquisses sculptées et modèles, marbres) et les collections à l’acquisition desquelles il a consacré une partie importante de ses gains (sculptures et objets antiques, moulages d’antiques, peintures surtout contemporaines). L’ensemble constitue le noyau du musée Thorvaldsen à Copenhague (1839-1848), dont l’artiste a accepté le principe en 1837. C’est à partir de ce foyer que se développa son influence sur l’art danois, dans un sens qui, sans doute, ne pouvait qu’être académique. Il est permis, en effet, de juger superficielle l’imitation que Thorvaldsen donne de l’art grec, factice un idéal qui — en face de l’alexandrinisme de Canova — le conduit souvent à la froideur. Mais on peut aussi mettre l’accent sur l’élan qu’implique une œuvre immense, sur la grâce aisée, la fraîcheur d’inspiration qui s’y découvrent : par-delà la doctrine apparaît la sincérité d’une « rêverie » sur le passé — forme du romantisme — qui fait encore vivante l’entreprise de Thorvaldsen.

G. G.

 E. Plon, Thorvaldsen, sa vie et son œuvre (Plon, 1867). / J. Lange, Sergel et Thorvaldsen (en danois, Copenhague, 1886). / T. Oppermann, Thorvaldsen (en danois, Copenhague, 1924-1930 ; 3 vol.). / P. O. Rave, Thorvaldsen (Berlin, 1947). / E. K. Sass, les Portraits-bustes de Thorvaldsen (en danois, Copenhague, 1963-1965 ; 3 vol.).