Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Lieux et espaces théâtraux improvisés

L’exploitation dramaturgique de sites ou de lieux historiques a été l’occasion de multiplier les festivals et de favoriser ainsi la découverte d’espaces nouveaux. D’autre part, grands magasins, parkings et autres lieux théâtralement insolites ont fourni, au cours de la mode éphémère du happening*, vers 1960, quelques-uns des prétextes de sociodrames pour spectateurs-acteurs, révélant ainsi spontanément — entre autres apports — la valeur dramaturgique de certains espaces et de certains contacts facilités par ces espaces — réintroduction, aussi, de la vie dans l’art.

Un autre type d’interventions, celles d’un théâtre politique, révolutionnaire, illustrées par les troupes d’Agit-Prop (agitation-propagande) ou du théâtre de rue et du théâtre de guérilla, échappe, en revanche, à l’attraction d’un lieu et tend à toucher un public nouveau là où il se trouve : places, rues, cours d’usine, marchés, parcs, camps de travail, lieux de meeting des syndicats, etc. La San Francisco Mime Troop, fondée en 1959, ou l’El Teatro Campesino, théâtre des ouvriers agricoles, à partir de 1965 en Californie, le Bread and Puppet Theatre à partir de 1965, le teatro de la Carriera à partir de 1970 dans les villages du sud de la France dénoncent les injustices sociales et certains types de régime politique ou l’oppression subie par des minorités.

Interdit, poursuivi par la police, l’efficacité de ce « théâtre à la sauvette » exige de frapper vite et fort : l’utilisation de l’espace, les conditions de jeu et le contact avec le public requièrent d’autant plus de rigueur. Créer un événement, capter l’attention, opérer une rupture avec l’environnement nécessitent, le plus souvent, l’emploi de masques, de maquillages, de costumes, d’instruments à percussions, mais aussi une communication claire du propos par la mise en valeur du jeu (dialogue, gestes, mouvements, circulations) ainsi qu’une adaptation constante aux réactions des spectateurs.


Spectacles sans théâtre

Les riches perspectives ouvertes par la conception de structures architecturales nouvelles, l’assurance fournie par la science de rendre techniquement réalisable les projets les plus audacieux, le souci de voir les œuvres d’art refléter les grandes ambitions de la science ont conduit les artistes et les ingénieurs les plus hardis à dépasser les frontières du théâtre proprement dites et à imaginer un art nouveau dont le scénographe serait l’animateur. Le Poème électronique de Le Corbusier, réalisé à l’Exposition internationale de Bruxelles en 1958, peut se rattacher à cette conception. Il en est de même de son projet de Boîte à miracles, présenté à Tōkyō en 1957-58. Le théâtre spatio-dynamique de Nicolas Schöffer* a franchi, pour certains de ses éléments tout au moins, le cap difficile de la théorie et des maquettes.

Le projet de ce théâtre prévoit, dans une enveloppe circulaire au profil acoustique de 100 à 250 m de diamètre, des ballets de sculptures électroniques et des ballets humains évoluant devant différentes surfaces alternées placées sur la paroi intérieure. Une des surfaces est animée par des mouvements d’éléments polychromes, une autre est constituée d’un écran de cinéma. Des appareils électro-acoustiques produisent des sons. Des « poésies » mobiles seraient recomposées par des cerveaux électroniques. Des ballets spatiaux peuvent être dansés par des sculptures volantes. Une piste circulaire permettrait les manifestations d’un théâtre abstrait. Le public, placé au milieu de l’enveloppe, se tient sur un dispositif circulaire pivotant. La double rotation de la coquille et du public permet d’offrir à ce dernier des visions perpétuellement changeantes. Le spectacle est dirigé d’une tour de contrôle avec laquelle chaque spectateur, qui dispose d’un tableau de commande, peut communiquer afin de lui donner des ordres ou de lui transmettre des impressions.

De leur côté, Renucci et le Laboratoire des arts ont présenté à la Biennale de Paris en 1963 un spectacle constitué d’un jeu d’éléments mobiles empruntés aux différents arts.

L’argument du ballet-spectacle Gamme de 7 (Saint-Denis, théâtre Gérard - Philipe, octobre 1964) a été conçu par Jacques Polieri en vue de créer des rapports d’expression plastique et spatiale comportant trois actions différentes qui se déroulent sur plusieurs types de scènes : la scène à l’italienne, une triple scène et une scène occupant les trois dimensions de la salle. Ont été utilisées ainsi simultanément huit scènes, une neuvième étant une image électronique géante (emploi pour la première fois de caméra électronique et de l’Eidophore dans un spectacle en direct) reproduisant immédiatement en contrepoint certains signes gestuels et plastiques.

Les éléments gestuels, pour chacune des parties du spectacle, correspondent aux différentes conceptions spatiales et scéniques.

La structure générale de l’action organise les signes gestuels qui progressent de l’espace, perspective simple, à la perspective multiple, pour aboutir finalement à l’espace tridimensionnel : une sorte de conquête de l’espace se trouve ainsi présentée. La première partie du spectacle s’inscrit dans le cadre de scène traditionnel, délimitant l’espace appelé scène centrale (profondeur 10 m, largeur 9 m, hauteur 8 m). Les scènes latérales (jardin et cour : largeur, 4 m ; longueur, 14 m ; hauteur, 1,10 m), réservées à la seconde partie du ballet, sont destinées à une simultanéité d’actions. Pour la troisième partie du ballet, il a été prévu cinq scènes qui se trouvent à trois niveaux différents. Le premier niveau est situé sur le même plan que les scènes latérales. Le deuxième niveau, sensiblement plus élevé (hauteur, 4 m ; largeur, 3 m), se trouve à l’extrémité des scènes latérales, et le troisième niveau surplombe l’ensemble des autres scènes (hauteur, 10 m ; longueur, 11 m ; profondeur, 4 m). On a choisi le verre et la charpente tubulaire comme matériaux pour ces différentes « scènes-niveaux » en vue de les différencier des autres praticables scéniques. On a tenté, au moyen de la lumière et du matériau employé, de créer une impression aérienne et d’apesanteur. Comme dans Gamme de 7, il s’agit d’établir, mais uniquement pour le danseur, une succession d’expressions plastiques et gestuelles constituant une sorte de « clavier » et reliant entre eux les différents moyens d’expression du geste. Les personnages qui se trouvent aux extrémités de la gamme linéaire, point de départ et exposition de l’action, sont reliés, par les signes et par l’action scénique, au personnage central, les quatre personnages intermédiaires servant de liaison entre les trois personnages principaux, interprètes du geste pur.