Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Auguste (suite)

Mais ce ne peut être suffisant ; le sénat lui décerne le surnom d’Augustus, qui entoure celui qui le porte de ferveur religieuse ; c’est lui donner la primauté dans la possession des auspices et rappeler qu’il est un nouveau fondateur de Rome à l’exemple de Romulus, premier augure de la ville. Auguste est ainsi enveloppé de tout le prestige sacré d’un fondateur. Il reçoit le droit d’orner sa maison de lauriers et de porter, de façon permanente, la couronne civique, qui souligne l’idée que Rome lui doit sa liberté retrouvée. C’est cet aspect qui lui donne son auctoritas (Auguste emploie lui-même le mot dans ses Res gestae, son « testament », résumé de son œuvre qu’il a légué à la postérité), qui se présente comme une autorité morale supérieure à celle de tous les autres Romains. Mais cette « autorité » ne reste pas sur le plan moral ; elle peut avoir des effets juridiques et elle permet d’exercer un contrôle sur les affaires publiques. Elle est d’autant plus forte que ses contours sont impossibles à tracer avec précision. Par elle, Auguste a la possibilité d’intervenir dans les domaines les plus divers et de trancher souverainement.

Parallèlement à cette notion impalpable, Auguste peut proclamer qu’il n’a pas de compétence légale (potestas) supérieure à celle de ses collègues magistrats. C’est exact, puisque Auguste reste consul (avec un collègue chaque année) de 31 à 23 ; il reçoit aussi du sénat un imperium proconsulaire sur les provinces frontières, ou qui ne sont pas encore pacifiées ; il possède ainsi la haute main sur les armées stationnées dans ces provinces, appelées maintenant « impériales », et qui sont gouvernées par des sénateurs dépendant directement de lui, les légats. Les autres provinces (les plus anciennes) sont dites « sénatoriales », et leurs gouverneurs ne dépendent, théoriquement, que du sénat.

Le régime, pourtant, n’en reste pas à ce stade d’équilibre. En 23, un complot est découvert ; il regroupe de hauts personnages de l’entourage d’Auguste. Celui-ci en est profondément affecté ; il est obligé d’éloigner certains de ses amis les plus chers (dont Mécène). De plus, il tombe malade et pense qu’il va mourir. En même temps, une crise économique ébranle l’Italie. Nombreux sont les citoyens à réclamer un renforcement des pouvoirs du prince, jusqu’à la dictature s’il le faut.

Les décisions prises par Auguste infléchissent alors le principat vers l’absolutisme monarchique. En premier lieu, il dépose le consulat le 11 juillet 23 ; c’est marquer l’abandon pour lui-même des magistratures traditionnelles. Mais il revêt immédiatement d’autres pouvoirs. Le sénat lui accorde un imperium proconsulaire supérieur à celui de tous les autres magistrats, à vie et en dehors de toute magistrature ; il a désormais le droit de lever des troupes et d’intervenir partout dans l’empire. C’est aussi un renforcement de la mystique impériale ; dorénavant, Auguste, par l’intermédiaire de ses généraux, est toujours victorieux et tire le bénéfice de la victoire, même s’il n’est pas présent au combat.

La décision la plus importante est prise le 1er juillet de la même année ; Auguste se fait de nouveau attribuer la puissance tribunicienne, qui lui sera désormais renouvelée tous les ans, et qui permettra, dans les titulatures, de compter les années de règne. C’est lui donner les pouvoirs des anciens tribuns de la plèbe ; c’est absorber dans une même personne les pouvoirs exécutifs et le droit de contrôle que possèdent les tribuns. Auguste, dès lors, détient les rouages vitaux de l’État ; le princeps peut légalement convoquer et présider le sénat et les comices, et leur soumettre des projets de loi. Par cet intermédiaire, Auguste peut accomplir son œuvre législatrice et réformatrice.

Après cette date, Auguste refuse toutes les charges républicaines que le sénat ou le peuple veulent lui donner ; il n’en a plus besoin et elles peuvent, tout au contraire, être un obstacle à sa puissance (en particulier la censure à vie et la dictature). Cependant, en 19, il accepte le pouvoir consulaire viager. Il reçoit aussi la curatelle des lois et des mœurs, mais il ne s’en sert pas directement, alors que cette fonction comporte des prérogatives considérables (dont le droit de procéder au recensement).

Auguste a ainsi créé un régime nouveau, mais un régime qui ne s’est pas immédiatement affirmé. Le princeps n’a pas voulu exécuter ses réformes avec brutalité ; il a infléchi ce qui formait le substrat de l’État en se servant des plus vieilles fonctions de la res publica, mais en leur donnant un aspect nouveau non choquant pour ses contemporains. Il n’y a pas, de ce fait, de concept unitaire du pouvoir impérial ; Auguste possède un pouvoir qui n’est pas une entité institutionnelle, mais est le regroupement de diverses prérogatives, les unes juridiques, les autres religieuses. Il est à la fois magistrat et chef religieux par l’intermédiaire du titre de grand pontife qui lui est donné en 12 av. J.-C., à la mort de Lépide.


Auguste réorganise la cité

Après la période des guerres civiles, il faut recréer une société ordonnée où chacun ait une place et un rang définis qui permettent à tous de faire montre de leurs qualités.

Désormais, chaque classe sociale est nettement définie. Dans le sénat qu’Octave avait trouvé à son retour à Rome, après Actium, il y avait de nombreux magistrats qui n’avaient dû leur place qu’à leurs intrigues, leur influence ou leurs mœurs, et non à leurs qualités propres et à leur « dignité ». Dès 28, Octave, appuyé dans son action par les conseils éclairés d’Agrippa, révisa la liste des sénateurs et en exclut les plus tarés. Mais, surtout, il fit des sénateurs les composants d’un ordre officiel. Il décida qu’il n’y aurait plus que 600 sénateurs et que ne pourraient accéder à l’assemblée que les personnes possédant au moins, comme fortune personnelle, un million de sesterces. La somme était assez peu élevée, mais elle permettait de garantir la tenue du rang. D’ailleurs, chaque fois qu’il le jugea bon, Auguste donna l’argent nécessaire à ceux qu’il voulait voir dans le sénat et qui ne possédaient pas le cens (en particulier de vieilles familles patriciennes financièrement déchues). L’entrée du sénat est toujours réservée aux magistrats qui ont rempli les premières charges de la carrière des honneurs ; mais, là aussi, Auguste exerce son contrôle, puisqu’il a le droit de proposer des candidats aux charges officielles et que le candidat du prince est sûr d’être élu.