Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stratégie (suite)

stratégie militaire, art, à l’échelon le plus élevé du commandement des armées, de concevoir et d’organiser les forces en temps de paix et, en temps de crise ou de conflit, de préparer leur engagement ou de diriger les opérations en vue de concourir dans le cadre de la stratégie générale à la réalisation des objectifs fixés par le pouvoir politique. (En France, la compétence des grands commandements responsables de l’emploi des forces est définie par l’ordonnance du 7 janvier 1959 sur l’organisation de la défense. On notera, cependant, que la responsabilité de l’emploi d’armes nucléaires, même tactiques, est considérée par toutes les puissances nucléaires comme une décision relevant exclusivement du pouvoir politique.) [V. nucléaire (arme).]

stratégique, se dit de toute arme, de toute force ou de toute action, de quelque nature qu’elle soit (politique, économique ou militaire), susceptible d’influer directement sur la prévention, le déroulement ou la conclusion d’un conflit (armé ou non).

tactique, activité proprement militaire, ayant pour objet, en adaptant et en combinant par la manœuvre l’action des différents moyens de combat, d’obtenir sur les forces adverses un résultat déterminé. (La tactique est la partie exécutive de la stratégie militaire ; directement ordonnée au combat, elle est fonction de l’état des armées, de l’armement dont celles-ci disposent, du terrain et du milieu dans lequel elles agissent, des caractéristiques de l’adversaire qui leur est opposé. La tactique est donc en continuelle évolution ; alors que la stratégie se caractérise par son unité, il y a un grand nombre de tactiques : tactiques aérienne, navale, d’infanterie, de blindés...)

théâtre d’opérations, zone géographique présentant une unité politique, économique ou stratégique et dans laquelle se déroulent ou peuvent se dérouler des opérations militaires. (On dit aussi zone stratégique, car le théâtre d’opérations est l’espace à l’intérieur duquel toutes les actions visent un même objectif stratégique.)


Guerres mondiales et stratégie

L’apparition dans les tranchées, à Noël 1914, d’un nouveau type de guerre qu’aucun théoricien n’avait su imaginer marque un tournant important de l’histoire de la stratégie. Certaines de ses données nouvelles sont communes à tous les belligérants, telles que l’importance des effectifs exigés par des opérations menées sur plusieurs immenses fronts, le problème de la fabrication d’armements et de munitions qui font de l’activité industrielle un élément de la décision stratégique, les difficultés entre alliés à définir une stratégie commune et, plus encore, à instituer un haut commandement reconnu et accepté de tous... Mais la Première Guerre mondiale souligne aussi combien les stratégies sont liées aux facteurs géographiques et nationaux.

Pour les Anglais, l’engagement massif et inattendu de leurs forces terrestres sur le front français et les lourdes pertes qui en résultèrent apparaîtront surtout comme un exemple à ne pas renouveler et renforceront leur attachement à une stratégie indirecte, visant à atteindre l’Allemagne par le blocus et par des actions limitées sur des fronts secondaires.

Les Allemands, au contraire, sont ceux qui s’adapteront le plus facilement à cette nouvelle guerre, que la stratégie complexe du général Erik von Falkenhayn (1861-1922) cherche à utiliser pour réaliser les objectifs permanents de la politique allemande en Europe.

Pour les Français, enfin, un grave blocage s’opère : de 1915 à 1918, en effet, tous les efforts de la direction politique de la guerre, ceux du haut commandement, voire des échelons subordonnés, tendent à un seul but, la « libération du territoire » qui tient lieu à la fois de motivation politique, de but stratégique et d’objectif tactique. Tout se résume à réaliser la fameuse « percée » du front permettant de reconduire l’adversaire aux frontières, et cette pensée, devenue une hantise, est commune aux chefs de gouvernements, aux commandants en chef, voire aux commandants de divisions. Cette identité, aussi fortuite qu’exceptionnelle, entre le domaine de la politique, de la conduite stratégique des opérations et de la tactique, « figée » par la victoire de 1918, pèsera lourdement sur la pensée militaire française de l’entre-deux-guerres.

Continuant, au contraire, sur sa lancée politique, l’Allemagne, qui n’a jamais admis sa défaite, peut réaliser un plan stratégique de mainmise sur l’Europe : préparé par des accords économiques qui subordonnent à Berlin les petits États de l’Europe centrale, ce plan sera exécuté par un type nouveau de force de frappe militaire, le couple char-avion, instrument opérationnel de la guerre éclair. La guerre qui s’ouvre en 1939, et qui sera le dernier grand conflit de la stratégie classique, apparaît aujourd’hui très proche de la précédente dans le domaine de la stratégie. Comme la Première Guerre mondiale, le nouveau conflit est une guerre des puissances maritimes contre le bloc continental d’un nouvel empire allemand. Comme elle, il sera dominé par l’importance encore accrue de la production industrielle d’armements de plus en plus complexes, ce qui, en raison de la puissance de l’économie américaine, donnera un rôle déterminant à la stratégie élaborée par le Pentagone. Toutefois, le caractère mondial de la guerre est beaucoup plus marqué de 1939 à 1945 que de 1914 à 1918, et c’est à une échelle intercontinentale que les choix et les décisions stratégiques doivent être élaborés au cours de conférences politico-militaires qui mobilisent les plus hauts échelons de gouvernements et de commandements. Ce caractère mondial, imposant en outre, de l’Atlantique à l’Extrême-Orient, le déplacement de forces et d’approvisionnements considérables sur des théâtres éloignés de milliers de kilomètres, a donné à la logistique* une importance encore accrue et en a fait un facteur essentiel de toute option stratégique.