Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

scandinaves (littératures) (suite)

Piétisme et préromantisme

Aux tendances critiques et rationalistes s’oppose bientôt une poussée de lyrisme, avant-garde du préromantisme.

Au Danemark, Hans Adolf Brorson (1694-1764) se place sous le signe du piétisme : il écrit deux recueils de psaumes, le Bijou inestimable de la foi (1739) et le Chant du cygne (éd. posthume, 1765). Ambrosius Stub (1705-1758) compose des chansons à boire et des arias souvent moralisantes. Norvégien d’origine, Christian Tullin (1728-1765) s’inspire de Pope et chante la nature dans son poème Jour de mai.

En Suède, Hedvig Charlotta Nordenflycht (1718-1763) exprime en vers ses émotions personnelles ; son poème la Tourterelle éplorée (1743) est d’un lyrisme très pur. Gustaf Philip Creutz (1731-1785) compose des poèmes idylliques assez précieux, et Gustaf Frederic Gyllenborg (1731-1808) des poèmes d’inspiration stoïcienne plus réalistes. Mais le plus grand poète de cette époque est incontestablement Carl Michaël Bellman (1740-1795), qui met en musique ses propres compositions, où coïncident légèreté et tragique. Ses Épîtres de Fredman (1790) et ses Chansons (1791) sont une suite de tableaux, d’incidents dont le réalisme est très discret.

À la fin du xviiie s., les pays scandinaves montrent un intérêt croissant pour la littérature et le théâtre. C’est l’époque où fleurissent les sociétés littéraires, notamment la « Société norvégienne » à Copenhague. L’Islande elle-même s’apprête à sortir de son engourdissement et à s’éveiller à l’influence des courants européens.

Au Danemark, Johannes Ewald (1743-1781) porte le préromantisme à son apogée. Ses poèmes expriment avec un lyrisme inégalé les passions qui le hantent. Il puise le sujet de ses drames tantôt dans l’œuvre de Saxo Grammaticus (Rolf Krage, 1770 ; la Mort de Balder, 1775), tantôt dans la vie de tous les jours (les Pêcheurs, 1779).

Le Norvégien Johan Herman Wessel (1742-1785) écrit une amusante parodie de la tragédie française (l’Amour sans chaussettes, 1772) et d’excellentes fables. Jens Baggesen (1764-1826), poète trop versatile, est l’auteur de Récits comiques (1785) et de Lettres rimées et fantaisistes (1806).

En Suède, Johan Henrik Kellgren (1751-1795) est la figure de proue du classicisme de l’époque gustavienne. Il manie aussi bien la prose que les vers et pratique les attaques à la Voltaire. Son célèbre poème la Vie d’un niais (1791) satirise l’existence humaine. Anna Maria Lenngren (1754-1815) écrit poèmes et satires. Portant la marque des influences anglaise et allemande, le préromantisme est représenté par Thomas Thorild (1759-1808), théoricien avant tout, par Bengt Lidner (1757-1793), personnage exalté, dont le poème le plus fameux est une ode intitulée la Mort de la comtesse Spastara (1783), et par Frans Michael Franzén (1772-1847), auteur d’odes philosophiques et d’idylles sentimentales.


Romantisme et réalisme

Le romantisme triomphe dans les premières décennies du xixe s. au Danemark, puis en Suède et, par contrecoup, en Norvège.

Adam Oehlenschläger (1779-1850) est le chef de file du romantisme danois : son poème les Cornes d’or (1802) en est en quelque sorte l’article de foi. Oehlenschläger redécouvre l’amour et la nature, et il s’inspire des vieux thèmes scandinaves. Il écrit de très beaux poèmes, plusieurs cycles de romances et les premières tragédies historiques danoises. Le pasteur Nikolai F. S. Grundtvig* (1783-1872) marque profondément la vie intellectuelle et sociale du Danemark de cette époque. Partageant l’enthousiasme des romantiques pour l’antiquité nordique, il traduit Saxo Grammaticus et Snorri Sturluson ainsi que l’épopée anglo-saxonne Beowulf et se passionne de mythologie. Après une longue évolution spirituelle, il parvient à un christianisme communautaire inspiré de l’Église primitive. Son message s’exprime dans l’ensemble de ses Psaumes et de ses Chants spirituels. Bernhard Severin Ingemann (1789-1862) écrit des romans historiques inspirés par ceux de Walter Scott. Poul Martin Møller (1794-1838) est l’auteur des Aventures d’un étudiant danois (éd. posthume, 1843), le premier roman à traiter d’événements contemporains.

En Suède, le romantisme est foncièrement conservateur. Per Daniel Atterbom (1790-1855) est le principal représentant du mouvement « phosphoriste » (du nom du périodique Phosphore). Son œuvre maîtresse, l’Île de la félicité (1824-1827), est un conte dramatisé, lyrique et philosophique. Inconnu de son vivant, Erik Johan Stagnelius (1793-1823) est le type même du poète maudit. Ses poèmes le montrent partagé entre l’idéalisme mystique et l’érotisme. De son côté, Erik Gustaf Geijer (1783-1847) influence la « Société gothique », qui se donne pour but de ressusciter le passé scandinave. Ses poèmes sont d’une apparente simplicité, tel le Petit Charbonnier. Il publie en 1825 ses Annales du royaume de Suède. Esaias Tegnér (1782-1846), le plus brillant des romantiques suédois, écrit surtout des poèmes sur des sujets contemporains : dans Svea (1811), il exalte la liberté du Nord ; dans le Héros (1813), il fait l’éloge de Napoléon. Son chef-d’œuvre, la Saga de Frithiof (1825), est un long poème épique d’après le vieux récit islandais.

Au milieu du xixe s. (1830-1860), le romantisme cède la place au réalisme.

Au Danemark, Steen Steensen Blicher (1782-1848) se plaît à évoquer son Jylland natal. D’abord influencée par Ossian, sa poésie prend ensuite un tour très personnel. Le Journal d’un bedeau de campagne (1824) est la première d’une longue série de nouvelles, dont une, intitulée la Chambre à tricoter (1842), est entièrement rédigée en dialecte jyllandais. Fort différent de Blicher, Johan Ludvig Heiberg (1791-1860) s’efforce de faire revivre le théâtre à Copenhague en y introduisant le vaudeville, avec notamment Poisson d’avril (1826) et la Colline des elfes (1828). Pour Henrik Hertz (1797-1870), la forme est plus importante que le fond : c’est ce qu’il expose dans ses Lettres d’un revenant (1830). Christian Winther (1796-1876) compte parmi les meilleurs poètes danois. Ses poèmes d’amour, tels Vole, oiseau, vole ou Une nuit d’été, ne renient pas tout à fait les élans romantiques ; son long poème épique, la Fuite du cerf (1855), reste son œuvre la plus populaire. Emil Aarestrup (1800-1856) va plus loin que lui et pénètre dans le champ inexploré de la sensualité avec un recueil de poèmes intitulé Situations érotiques.