Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saarinen (Eero) (suite)

Le Concordia Senior College de Fort Wayne, dans l’Indiana (1959), recourt à une construction volontairement traditionnelle aux murs de brique peinte et aux toits d’ardoise — l’ensemble s’ordonnant autour d’une grande chapelle rectangulaire dont la structure prismatique est entièrement réalisée en charpente : cet édifice, qui s’inspire du thème de la hutte indienne et qui, par sa verticalité prononcée, participe d’une architecture « parlante », a violemment choqué dans son irrationalité (l’idée n’en a pas moins été reprise — malheureusement avec un moindre talent — par Ieoh Ming Pei, d’une part, et l’agence Skidmore, Owings and Merrill, d’autre part). Dans le même ordre de recherches, Saarinen a dessiné en 1949 le projet du Jefferson National Expansion Memorial de Saint Louis (réalisation 1964) : un immense are d’aluminium — quelque chose comme un arc-en-ciel — domine une plate-forme sur les bords du fleuve Missouri. Ce monument géant, à l’échelle de la ville contemporaine, se présente beaucoup plus comme un signe dans l’espace urbain que comme une construction, tant l’élan graphique de son dessin s’oppose aux exigences techniques de l’ossature déguisée.

Symboles ou signes, les édifices de Saarinen se plient aux exigences de leur contexte, que celui-ci soit global ou immédiat : c’est ainsi que, pour les ambassades américaines d’Oslo et de Londres (1959 et 1955-1960), l’échelle des masses, le rythme des façades, la proportion des percées se teintent de l’écriture néo-classique de l’environnement ; à Londres, elles donnent en outre une image saisissante — dont on n’a pas pu dire si elle était volontaire — de l’impérialisme américain, représenté par l’envol puissant d’un aigle d’aluminium (dû au sculpteur Theodore Roszak) au-dessus de lourdes et monotones façades en schockbeton. Si l’ambassade américaine de Londres a pu prêter à quelques critiques, il n’en est pas de même des collèges Samuel F. B. Morse et Ezra Stiles, logements pour étudiants de l’université Yale à New Haven, dans le Connecticut (1958-1962). Dans cette dernière œuvre, Saarinen retrouve l’espace de l’architecture traditionnelle des collèges américains à travers de nouvelles formes et de nouveaux matériaux : panneaux préfabriqués de béton, revêtus d’un agrégat en celais de pierre calcaire de provenance locale, villages en verre bronzé.

Parce que son œuvre est à la fois novatrice dans les techniques, significative d’un état de la civilisation commerciale américaine et étroitement baignée dans un contexte culturel complexe à laquelle elle est profondément sensible (c’est une erreur de voir dans certaines œuvres, comme on l’a fait parfois, l’expression d’une timidité ou la marque d’un provincialisme maladroit), Saarinen apparaît aujourd’hui comme un précurseur de la génération des Louis Kahn* et des Robert Venturi, préoccupés de la valeur de l’architecture comme signe.

Eliel Saarinen

(Rantasalmi 1873 - Bloomfield Hills, Michigan, États-Unis, 1950.)

Il avait une formation non seulement d’architecte, mais aussi de peintre. Associé dès 1896 avec Herman Gesellius et Armas Lindgren, il réalise le pavillon de la Finlande* à l’Exposition universelle de Paris en 1900 : à travers un langage emprunté à l’art médiéval finlandais, il rejoint l’Art nouveau en lui imprimant un caractère spécifiquement nordique — qu’on retrouvera peu après dans la villa de Hvitträsk (près d’Helsinki), l’une des plus remarquables réalisations de l’architecture domestique avant 1914. En 1904, Eliel Saarinen donne les plans de la gare centrale d’Helsinki (réalisation 1910-1914), très proche des recherches contemporaines d’Otto Wagner en Autriche (v. Vienne) par son monumentalisme sévère, vertical, qu’atténuent la subtilité des couronnements et la remarquable intégration des éléments figurés.

Après la Première Guerre mondiale, Eliel Saarinen est l’auteur d’un projet d’urbanisme pour Canberra, en Australie, puis participe au concours du Chicago Tribune en 1922 : le second prix qu’il y remporte le pousse à s’expatrier aux États-Unis. C’est ainsi qu’à partir de 1924 et jusqu’à sa mort il dirige la section d’architecture de la fondation Cranbrook à Bloomfield Hills. Il construit de nombreux ensembles scolaires, dont les plus connus sont le groupe scolaire de Bloomfield Hills (1925) et l’académie de Cranbrook (1940).

Associé avec son fils Eero à partir de 1937, il se ressent de l’influence de celui-ci dès 1938 et beaucoup plus encore après la Seconde Guerre mondiale.

F. L.

➙ Design / Finlande.

 A. Christ-Janer, Eliel Saarinen (Chicago, 1948). / A. B. Saarinen, Eero Saarinen on his Work. A Selection of Buildings dating from 1947 to 1964 (New Haven, Connect., 1962 ; 2e éd., 1968). / A. Temko, Eero Saarinen (New York, 1962 ; 2e éd., 1966). / R. Spade et Y. Futagawa, Eero Saarinen (Londres, 1971).

Saba (Umberto)

Pseudonyme de Umberto Poli, porte italien (Trieste 1883 - Gorizia 1957).


Après avoir longtemps ignoré Saba, pour des raisons qui tiennent surtout, comme ce fut déjà le cas pour son concitoyen Svevo*, à l’excentricité de ses origines culturelles, ethniques et géographiques, la culture officielle italienne risque, aujourd’hui, de le confiner dans les anthologies scolaires en se méprenant sur l’apparente « simplicité » de quelques-unes de ses poésies les plus célèbres et sur le caractère « populaire » de ses thèmes favoris. S’il se tint à l’écart de l’actualité poétique italienne entre les deux guerres — des clameurs futuristes aux avatars symbolistes de l’« hermétisme » —, Saba fut très tôt attentif à quelques-unes des voix européennes les plus modernes : entre autres, Nietzsche et surtout Freud, dont Trieste fut le premier centre de diffusion en Italie. La lecture de Freud et l’expérience clinique d’une analyse jouèrent un grand rôle dans l’élaboration de son œuvre, qui est en grande partie autobiographique.

À la naissance de Saba, le père de celui-ci avait déjà abandonné le toit familial. Le poète renoncera plus tard au nom paternel (Poli) pour le pseudonyme hébraïque de Saba (« pain » en hébreu) en hommage à sa mère, qui était juive, et à sa nourrice Beppa Sabaz, à laquelle il était passionnément attaché.