Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rosso (le)

Peintre italien (Florence 1494 - Paris 1540).


Giovanni Battista di Iacopo de Rossi, dit il Rosso Fiorentino, est un des grands maîtres de la peinture maniériste*. Formé à Florence, il n’adhéra pas, semble-t-il, aux styles en vogue, mais se forgea très tôt une manière révolutionnaire où l’on reconnaît cependant la forte emprise exercée par Michel-Ange*. Il surenchérit encore sur la « terribilità » de son illustre compatriote, et son contemporain Vasari*, qui le connut bien et fut l’historien de l’art de son temps, assure qu’on refusa un de ses retables qui épouvantait le client par les « aspects cruels et désespérés des figures ». On peut le rapprocher du Pontormo*, autre maniériste d’origine toscane, le tempérament instable, tourmenté et encore plus sombre du Rosso se traduisant par un style nettement plus saccadé et dramatique.

De ses premiers travaux à Florence, il convient de retenir la fresque de l’Assomption de la Vierge (1517), complétant le cycle laissé inachevé dans le cloître de l’Annunziata par Andrea del Sarto (1486-1530), dont les délicatesses contrastent avec la dureté presque géométrique des draperies de Rosso. L’année suivante, il peint pour le recteur de Santa Maria Novella une Madonne entre quatre saints (Offices), et en 1521 la grande Déposition de Croix de Volterra, tableau le plus significatif de la première partie de sa carrière. Plus que la composition insolite, c’est la construction et la mimique des personnages qui frappent, enchevêtrés bizarrement, avec des expressions hallucinées que renforce un éclairage sulfureux, dont l’intensité accuse brutalement le découpage des drapés et des musculatures et jette des ombres livides sur cette scène de cauchemar, tout en décolorant les teintes remarquablement fausses. La même poésie morbide se dégage des œuvres qui suivent, le tableau d’autel commandé par la famille Dei à Santo Spirito, de 1522 (palais Pitti), le Mariage de la Vierge de San Lorenzo, de 1523, Moïse défendant les filles de Jethro, à peu près contemporain (Offices). Le Rosso montre dans ce dernier tableau la frénésie de son imagination enfiévrée, transposant la réalité en une pure fantaisie de formes : ainsi les corps amoncelés et désarticulés du premier plan, soumis à des raccourcis brutaux, à des effets presque « sadiques » qui dépassent Michel-Ange en audace et en intensité. Cette disposition insolite des plans, cette obsession du corps humain, ce pathétique qui va jusqu’au malaise et à la cruauté constituent assurément des éléments essentiels du maniérisme, en plus de la lumière froide et irréelle qui contribue à l’atmosphère inquiétante de la scène.

À partir de 1523, il se trouve à Rome, où il peut étudier directement l’œuvre de Raphaël* et surtout celle de Michel-Ange, mais ce séjour semble avoir augmenté son déséquilibre, et ce qu’il en reste n’ajoute guère à sa gloire, sauf le bouleversant Christ mort du Fogg Art Museum (Harvard University, Boston), récemment découvert. Chassé de Rome par le sac de 1527, il erre en Italie centrale et ne parvient à se fixer ni à Pérouse, ni à Città di Castello, où il laisse une autre Déposition de Croix (1528), ni à Arezzo, où il peint Jésus portant sa Croix. Il gagne Venise à l’instigation de son ami l’Arétin*, grâce auquel, sans doute, il reçoit une invitation de François Ier : en 1530, le Rosso abandonne définitivement son pays d’origine et cherche en France une seconde carrière et un impossible équilibre.

Nommé premier peintre du roi, il devient « maître Roux », et son imagination diabolique va pouvoir s’épanouir dans les rébus de la galerie de François Ier à Fontainebleau*. Cette entreprise, bien à sa mesure, revêt une importance majeure dans le nouveau contexte artistique, auquel il imprime définitivement sa marque en assurant au système et aux formes maniéristes une diffusion internationale grâce au retentissement de cette œuvre royale, grâce aussi au véhicule des estampes qui en multiplie la leçon. Sa manière intéresse non seulement la peinture, mais aussi la sculpture, la décoration. Dessinateur infatigable, il donne, pour encadrer les fresques, des modèles de stucs d’une étourdissante variété, et le tout se fond en une synthèse qui s’impose à ceux qu’on lui adjoindra bientôt, tel un Primatice*. Il délaisse ainsi l’iconographie religieuse de la quasi-totalité de son œuvre en Italie pour les phantasmes d’une mythologie pleine de sous-entendus. Et cependant, la Pietà du Louvre, commandée par Anne de Montmorency pour la chapelle du château d’Ecouen, est assurément un des chefs-d’œuvre de l’art religieux : l’angoisse y atteint au sublime à travers une composition tout à la fois tendue et harmonieuse, un dessin dense et heurté, des expressions hagardes dans la désespérance, des rencontres de couleurs inédites, mauve, violet, orange marbré et vert intense, avec des dégradés prodigieux, des reflets et des lueurs d’orage, de malédiction et de fin du monde.

Certes, chez le Rosso, la névrose confinait au génie. Sa propre fin reste enveloppée de mystère : Vasari raconte qu’il se suicida à la suite d’insinuations calomnieuses. Il est l’incarnation la plus parfaite du peintre maniériste, miné par une insatisfaction qu’il tente en vain de dénouer dans la fulgurance d’une imagination anxieuse, toujours inassouvie.

F. S.

 K. Kusenberg, Rosso Fiorentino (Heitz, 1931). / P. Barocchi, Il Rosso Fiorentino (Rome, 1950).

Rosso (Medardo)

Peintre et sculpteur italien (Turin 1858 - Milan 1928).


Dans l’un de ses derniers articles (13 juill. 1918, l’Europe nouvelle), Apollinaire* déclare : « La mort de Rodin n’a pas donné l’occasion aux critiques de reparler de M. Medardo Rosso, qui est maintenant sans aucun doute le plus grand sculpteur vivant. L’injustice dont a toujours été victime ce prodigieux sculpteur n’est pas près semble-t-il d’être réparée. » En cherchant à donner l’illusion de la pénombre, de la lumière, de la vitesse du temps qui passe, Rosso avait, en fait, donné un équivalent magistral de l’impressionnisme* en sculpture. L’antinomie complète qui opposait son art insolite au classicisme de Canova*, dont l’Italie gardait amoureusement le souvenir, avait provoqué l’incompréhension de ses concitoyens. Il éveillait plus d’intérêt à l’étranger, mais ne devait connaître quelque gloire qu’assez tardivement.