Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

La crise de l’Empire

Le tableau séduisant de la paix romaine, de la prospérité d’un Empire où un commerce actif fait bénéficier les habitants des denrées de toutes les contrées se ternit très rapidement. Au ier s., l’Italie est malade de ses terres vides, de ses propriétaires endettés, de son prolétariat urbain. Pline l’Ancien annonce que le mal gagne les provinces. Elles aussi pâtissent des dévaluations, dont Néron est l’initiateur et qui ne font que commencer. Au iie s., l’industrie provinciale l’emporte : les vases de terre sigillée de Gaule s’expédient dans tout le monde antique. Mais la production, dans son ensemble, ne progresse pas. Les dépenses de l’État augmentent : l’administration, la défense des frontières, où les Barbares* se font plus nombreux et offensifs, rendent la fiscalité plus oppressive. L’économie est en crise. Le manque d’hommes se fait sentir là où ils seraient nécessaires. Au iiie s., la crise éclate : c’est l’anarchie, la révolution, la fuite généralisée. Cela résulte d’un concours de faits dont les historiens modernes, donnant d’ailleurs de plus en plus d’importance à l’économie, se révèlent embarrassés quand il s’agit de les hiérarchiser : le déséquilibre de l’Empire entre ses provinces besogneuses et sa capitale parasite ; l’excessif écart entre la richesse de quelques-uns et le dénuement de la masse ; la fainéantise de beaucoup, qui vivent de quasi-mendicité ; la pénurie de soldats et de laboureurs ; le vide des campagnes et le rétrécissement des villes dépeuplées, qui s’enserrent dans d’étroits remparts ; la dépopulation, qui explique en partie la situation ; les invasions barbares, qui deviennent de plus en plus fréquentes et dévastatrices et prennent parfois la forme de raids à longue distance ; la crise d’autorité, enfin, qui se manifeste à partir de 193. L’époque des Sévères a mérité d’être qualifiée de révolutionnaire. Les empereurs établissent un régime de terreur, où une théorie classique a vu la revanche des masses paysannes opprimées sur la bourgeoisie urbaine et les grands propriétaires. Le pouvoir impérial affiche un caractère militaire. Le iiie s. est le siècle des armées, des pronunciamientos militaires, des empereurs issus des camps pour un règne éphémère et qui se combattent les uns les autres. Après 235, l’anarchie politique s’ajoute à l’invasion barbare. La multiplication des empereurs rivaux fait donner à une série d’entre eux le nom de « trente tyrans ». En Gaule, un empire indépendant, fondé par Postumus en 258, se maintient pendant quelques années et s’étend sur l’Espagne et la Bretagne. Quand l’anarchie se tempère, comme c’est le cas sous les Sévères et sous les premiers empereurs illyriens, toutes les décisions impériales semblent dictées par les nécessités de cet état de siège que subit le monde romain. Les problèmes d’argent entraînent un dirigisme parfaitement admis par les théoriciens du pouvoir absolu du prince. L’État s’arroge des monopoles. Les métiers sont constitués en corporations, tandis que les bureaux se militarisent. Les Barbares du Nord, dont le nombre est de plus en plus minimisé par les estimations modernes, s’insinuent partout, et les Iraniens sont devenus agressifs. Rome doit combattre à la fois Perses et Germains. Il faut se résigner à abandonner certains territoires, surtout les derniers acquis (Bretagne, Dacie, Mésopotamie). Il faut reconsidérer l’armée. Celle-ci se sédentarise sous la forme de soldats-paysans, prêts à la moindre alerte. Elle joue aussi un rôle accru de police contre le brigandage. Elle participe à la construction des remparts des villes. Elle finit par se charger de la collecte des impôts et d’une partie de la justice. La population subit ce régime. Les riches sont victimes de confiscations et de réquisitions. S’ils sont des notables dans leur cité (décurions), ils sont responsables de l’impôt et paient pour les autres. Leur condition ingrate est rendue héréditaire. On imagine, facilement, à quel point le commerce a pu se trouver bloqué. Au mont Testaccio, où s’entassent les restes d’amphores du port de Rome, aucune de celles-ci ne porte de date postérieure à 255. En 252, la peste s’est mise de la partie. Après avoir payé tribut aux Barbares, Rome se résigne à les accueillir : à partir de 276, l’empereur Probus établit des colons goths et vandales en Pannonie. Ce n’est qu’un début.

Les empereurs illyriens, Aurélien, puis Dioclétien, parviennent à surmonter en partie une crise qui pouvait difficilement empirer. Avec le règne de Constantin ier, l’Empire subit une véritable mutation. Les institutions autoritaires qui sont nées de la nécessité sont toujours en place. Mais la situation militaire et politique s’est clarifiée. Enfin, peu après les dernières persécutions, l’Empire devient chrétien, officiellement, par la conversion de l’empereur. Il y a alors un bon moment dans l’histoire du Bas-Empire*. Les lettres reprennent quelque vigueur, les arts également, bien que marqués désormais au coin de la barbarie. L’Empire se partage en deux parties, avec la naissance d’une nouvelle capitale, Constantinople. La réaction païenne de l’empereur Julien* semble vouloir amorcer un illusoire retour aux mœurs anciennes. Mais les maux du iiie s. subsistent au ive, et les Anciens eux-mêmes en ont eu conscience et ne savaient trop qui accuser. Ils ont eu des réactions de défense, souvent malheureuses, limitées, égoïstes : le corporatisme, le patronat, l’anachorèse (fuite dans le désert), la fortification des villes, les pactes avec les Barbares. Rien n’a empêché, après le règne de Théodose Ier* le Grand, la rupture définitive entre deux empires, celui d’Orient et celui d’Occident, puis, en 476, la disparition totale de l’un d’eux sous les coups des Barbares. Ce fait brutal a laissé survivre bien des traces matérielles ou culturelles qu’on retrouve à travers l’Europe.

En particulier, la notion de Romania, de « romanité », est l’expression posthume du patriotisme romain et de la nostalgie, chez les ex-Romains des royaumes barbares, de la splendeur et de l’ordre passés.

R. H.